CEPII, Recherche et Expertise sur l'economie mondiale
Les mutations du système monétaire international


Éric Monnet

Dans les années 1990 a dominé l’idée d’un monde où le système monétaire international fonctionnerait de manière quasiment automatique, réglé par la liberté des flux de capitaux et la flexibilité des taux de change. Les capitaux circuleraient librement, déterminant ainsi la valeur des monnaies les unes par rapport aux autres – les taux de change –, la puissance publique n’aurait plus grand-chose à dire sur la circulation de ces capitaux, et le rôle des banques centrales se limiterait à stabiliser l’inflation. Trente ans plus tard, force est de constater que la mondialisation financière n’a pas disparu, mais qu’elle a pris une autre tournure que ce que l’illusion libérale avait laissé penser. Depuis la crise financière de 2008-2009, les flux internationaux de capitaux – rapportés au revenu mondial – ont fortement chuté et ont retrouvé leur valeur de la fin du XXe siècle [Ilzetzki et al., 2021 ; Bensidoun, 2022]. Même si ce niveau reste supérieur à tout ce qui avait été connu auparavant au XXe siècle (y compris lors de la « première mondialisation » avant 1914), il ne s’accompagne plus des discours libéraux triomphants des années 1990, qui misaient sur toujours plus de mondialisation financière et toujours moins d’intervention publique. Les discours ont beaucoup changé, autant sur le recours aux contrôles de capitaux que sur la légitimité des États à intervenir sur les marchés internationaux pour limiter la fluctuation des taux de change, même dans des pays qui déclarent officiellement que leur taux de change est flexible. Les interventions des banques centrales sur le marché des changes ne sont certes pas nouvelles, et le nombre de pays en change fixe avait même augmenté au cours des années 1990, alors que le « consensus de Washington » prédisait à tort que les taux de change flexibles s’imposeraient comme l’indispensable corollaire du nouveau libéralisme et de la mondialisation financière. Mais les dix dernières années ont donné lieu à de nouvelles justifications et actions visant à rendre compatibles les interventions sur les taux de change avec la mondialisation financière. Ainsi, les banques centrales prennent de plus en plus de mesures qui influencent les flux de capitaux, avec des implications géo­politiques. Il peut s’agir d’achats ou de ventes de devises ou titres en monnaie étrangère sur les marchés des changes, de mesures réglementaires limitant les flux de capitaux ou de prêts entre banques centrales. Le nouveau type de mondialisation et de système monétaire international que cela façonne pose de nombreuses questions. D’abord, le retour d’aides financières bilatérales entre banques centrales rend-il caduc le multilatéralisme hérité de la fin des années 1940 (et en particulier le rôle du Fonds monétaire international – FMI) ? Ensuite, le rôle du dollar comme monnaie de réserve internationale s’en trouve-t-il remis en cause ? Enfin, dans les démocraties, comment rendre plus transparent et légitime le rôle croissant des banques centrales dans la politique financière étrangère ? S’il est encore difficile d’apporter des réponses définitives à ces questions, nous verrons que se dégage une tendance vers un système monétaire international où les autorités publiques (gouvernements et banques centrales) jouent un rôle plus important dans la détermination des flux de capitaux et des taux de change. Ceci s’est accompagné d’une évolution des théories économiques et de la doctrine libérale pour justifier un plus fort encadrement des flux financiers internationaux. Mais cette évolution est encore très incomplète et peine à saisir les enjeux politiques des bouleversements de la mondialisation.
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 L'économie mondiale 2024
La Découverte, 2023

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