Brexit avec ou sans accord : quelle différence ?
Billet du 21 janvier 2019
D’un point de vue économique, un Brexit sans accord signifie que les relations commerciales entre l’UE et le RU seront régulées par les règles de l’OMC. Mais ce n’est pas tout : à court terme, l’impréparation du processus de sortie et l’absence d’accord sur un certain nombre de questions cruciales devraient générer des désordres et des coûts supplémentaires. Prenons chacune de ces dimensions dans l’ordre.
Quelle différence pour l’économie britannique ? Et européenne ?
Le retour au cadre de l’OMC signifie que le Royaume-Uni sera traité comme tout autre partenaire commercial avec lequel l’UE n’a pas d’accord (et inversement), c'est-à-dire comme les États-Unis par exemple. Cela implique l’instauration de droits de douane sur les importations en provenance du Royaume-Uni ; en moyenne faibles (de l’ordre de 3 % en moyenne), ces taxes à l’importation peuvent être très élevées dans certains secteurs (13 % en moyenne dans l’agriculture par exemple, et près de 40 % pour les produits laitiers)[1].
Plus important, la sortie de l’UE sans accord signifie la fin de la reconnaissance mutuelle des normes et des standards, qui permet à tout producteur britannique vendant sur son marché domestique de vendre librement aux autres consommateurs européens. Cela implique ce que l’on appelle des barrières non tarifaires au commerce, qui sont aujourd’hui les principales barrières au commerce international : ces barrières comprennent aussi bien les règles sanitaires et phytosanitaires dans l’agriculture visant à protéger les consommateurs que les normes techniques (de la taille des jouets des jeunes enfants à la largeur des pneus des voitures) ou environnementales (les normes fixant les rejets de CO2 ou de particules fines dans l’automobile par exemple). Concrètement, cela signifie que demain, pour vendre aux consommateurs européens, les exportateurs britanniques devront prouver qu’ils respectent les règles européennes. Ces règles ont beau être similaires aujourd’hui, il faudra demain le prouver, ce qui est couteux, et elles peuvent diverger dans le futur (c’est d’ailleurs bien là l’un des enjeux du Brexit, pouvoir s’affranchir de certaines règles européennes). Ces barrières non tarifaires sont importantes en moyenne, particulièrement dans certains secteurs - elles atteignent par exemple l’équivalent d’un droit de douane de 74 % pour les produits laitiers, 36 % pour certaines machines et appareils, 20 % pour les produits chimiques et 11 % pour le secteur automobile[2] -, renchérissant d’autant le prix pour le consommateur.
Que se passera-t-il le 30 mars ?
Un Brexit sans accord implique qu’il n’y aura pas de période de transition, qui aurait permis de négocier un nouvel accord et de se préparer au changement de cadre juridique (l’accord de sortie prévoit une période de transition jusqu’au 31 décembre 2020, qui pourrait être étendue, pendant laquelle les règles du marché unique continueraient à s’appliquer). Concrètement, cette sortie brutale du marché unique engendrera non seulement une incertitude juridique sur un grand nombre de sujets mais également des coûts liés à l’impréparation côté européen comme britannique. Il suffit pour cela de regarder les domaines couverts par l’accord de sortie[4]. Les trois principaux concernent le règlement de la « facture » du Brexit, liée aux engagements britanniques dans les programmes européens, le traitement des européens résidant et/ou travaillant au Royaume-Uni et des britanniques dans l’UE, qui concerne des millions de citoyens dont le statut juridique dépendra alors des décisions des gouvernements nationaux, et la frontière irlandaise et la préservation de l’accord de paix du Vendredi Saint. Mais l’accord de retrait couvre également une multitude de domaines, allant de la coopération policière et judiciaire aux questions nucléaires ou au statut de Chypre et de Gibraltar. L’absence d’accord créera dans l’ensemble de ces domaines une forte incertitude juridique puisque leur traitement dépendra des décisions de chaque gouvernement impliqué. Ces questions fondamentales ne disparaitront pas d’elles même en cas de Brexit sans accord, et devront être négociées d’une manière ou d’une autre dans le futur.
Par ailleurs, les délais sont aujourd’hui tels qu’une sortie sans accord implique un degré d’impréparation des deux côtés. La réinstauration de contrôles aux frontières pour les échanges de biens (inexistants au sein du marché unique) pose des problèmes d’infrastructures dans les ports concernés (notamment Douvres côté britannique et Calais côté français) et de recrutement d’agents des douanes notamment. Des chercheurs de l’Imperial College de Londres ont ainsi calculé que deux minutes supplémentaires de transit pour les (milliers de) camions passant par Douvres entraineraient des embouteillages de 47km sur l’autoroute M20 y menant[5]. Ces délais posent également des questions logistiques pour les productions dépendant de pièces importées, pour lesquelles les capacités de stockage sont limitées aujourd’hui au Royaume-Uni. Plusieurs usines automobiles ont ainsi d’ores et déjà prévu de fermer ou réduire leurs opérations au début du mois d’avril. S’ajoutent des problèmes spécifiques à certains secteurs : le secteur aérien par exemple, les autorisations de vol de certaines compagnies pouvant être remises en cause[6], ou le secteur bancaire pour lequel un certain nombre de questions de supervision se posent (les autorités européennes ont déjà prévu d’autoriser de manière temporaire certaines activités de compensation en euro de Londres[7] mais d’autres questions restent entières). Les conséquences à court terme de ces contingences sont d’autant plus difficiles à prédire que leur impact réel dépendra des mesures prises par les différents gouvernements pour en atténuer le coût.
So what ?
Les gouvernements britannique comme européens ont clairement affiché leur volonté d’éviter de tels désordres inhérents à un Brexit sans accord. Du côté du parlement britannique également, l’option d’une sortie sans accord ne semble pas emporter la majorité. Cela suffira-t-il à l’éviter pour autant ? La date butoir du 29 mars approchant, les entreprises, qui ont fait preuve d’une étonnante résilience à l’incertitude politique jusqu’à maintenant, vont devoir faire des choix qui pourraient s’avérer irréversibles, mettant ainsi encore plus sous pression le processus politique. Il est possible de repousser la date effective du Brexit, mais seulement de manière limitée étant donné qu’aller au-delà de fin mai obligerait à tenir des élections européennes au Royaume-Uni, ce que personne ne veut. Par ailleurs, une telle prolongation pose la question de sa finalité : étant donné le blocage au parlement britannique, quelle serait la perspective d’un tel allongement ? La préparation d’un second référendum nécessite d’aller au-delà des élections européennes[8] alors que la perspective de la renégociation de l’accord de retrait apparait limitée côté européen[9]. L’Union européenne a été claire sur le fait qu’elle ne négociera pas un accord sur les relations futures avant que celui sur le retrait britannique soit ratifié, et que cet accord inclura une clause de « backstop » sur la frontière irlandaise. De telle sorte que l’accord sur la table ne changera pas fondamentalement. C’est surement du côté de la déclaration politique accompagnant l’accord de retrait que des évolutions peuvent se faire jour, mais celle-ci n’a pas la valeur légale de l’accord de retrait. Le refus du parlement britannique n’a donc pas changé fondamentalement l’éventail des choix britanniques. Il ne faut cependant pas oublier que si une sortie sans accord serait particulièrement couteuse pour le Royaume-Uni, la perspective d’avoir un grand pays voisin non coopératif serait désastreuse à terme pour les pays européens. L’Union européenne et ses pays membres ont souvent fait preuve de créativité dans les derniers instants de négociations cruciales tendues ; il faut compter sur une telle créativité aujourd’hui.
[1] http://visualdata.cepii.fr/panorama/fr/?country=France
[2] Pour plus de détail, voir http://www.cepii.fr/BLOG/bi/post.asp?IDcommunique=579
[3] T. Mayer, V. Vicard et S. Zignago « The cost of Non-Europe, revisited », version révisée du document de travail du CEPII, CEPII WP2018-06 ;
[4] http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-18-6422_en.htm
[5] https://www.imperial.ac.uk/people/k.han/document/4041/Han %20- %20BBC %20Dover %20ICON %20report/?Han %20- %20BBC %20Dover %20ICON %20report.pdf
[6] https://www.economist.com/briefing/2018/11/24/what-to-expect-from-a-no-deal-brexit
[7] https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/0600059368101-compensation-bruxelles-veut-eviter-le-chaos-en-cas-de-brexit-sans-accord-2217878.php
[8] http://ukandeu.ac.uk/how-and-when-might-a-second-referendum-on-brexit-come-about/#.XARDv0Y9-Tg.twitter
[9] Reste la possibilité d’un retrait unilatéral de la procédure de retrait par le Royaume-Uni, dont la Cours de justice de l’Union européenne a confirmé la possibilité.
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