Le blog du CEPII

Éclairage sur la balance commerciale 2023 : entre défis énergétiques et résilience sectorielle, le déficit s’installe

Le solde commercial de la France, qui a atteint son plus bas niveau historique en 2022, s’améliore légèrement en 2023 grâce à la baisse des prix de l’énergie. Cette tendance est soutenue par des exportations dynamiques dans les secteurs de spécialisation de la France ainsi que des services. Le déficit reste important, bien supérieur à celui affiché par nos voisins européens. À l'échelle de l'UE, la baisse des prix de l'énergie conduit au rétablissement d'un excédent commercial.
Par Manon Madec
 Faits & Chiffres du 29 janvier 2024


En 2022, le solde commercial de la France a atteint son plus bas niveau en raison de l’impact de la hausse des prix des produits énergétiques sur les importations en valeur et d'une réduction de la production nucléaire. En 2023, la baisse de la valeur des importations énergétiques réduit le déficit, qui demeure important. Le solde hors énergie reste stable depuis 2021, soulignant le rôle des prix de l’énergie dans la dégradation du solde commercial français en 2022. Les exportations de services, particulièrement dynamiques dans les secteurs du tourisme et financier, alimentent la réduction du déficit courant en 2023. Les échanges de la France suivent une évolution similaire à celle de ses voisins européens. 

Solde commercial : une normalisation menacée par les hausses du prix de l’énergie

En 2022, le solde commercial global a atteint son plus bas niveau (-189Mds€ ; graphique 1) à la suite de la dégradation du solde énergétique consécutive au déclenchement de la guerre en Ukraine
(-115,5Mds€ en 2022 contre - 44,8Mds € en 2021 ; DGDDI)
Outre cet effet prix, le niveau inédit de déficit provient d’une réduction de la production au sein des parcs électronucléaires (- 82TWh en 2022) affectant le solde dans le secteur de l’électricité (3,8% du solde global en 2022). Les volumes d’exportation ont diminué et, constat plus alarmant, la baisse de la production a fait du pays un importateur net d’électricité, une première depuis 1980 (+372% pour les importations entre 2021 et 2022 ; graphique 2). Dans un scénario où la France aurait maintenu son statut d’exportateur net en 2022, son solde commercial aurait été supérieur de 16Mds€ sans cette contrainte productive.
 
En novembre 2023, le solde commercial cumulé sur 12 mois s’améliore de 56M€ pour atteindre -132Mds€, sans pour autant retrouver sa valeur d’avant crise (-58,9Mds€ en 2019 ; DGDDI). La baisse des  prix sur le marché de l’énergie explique cette amélioration. L’allègement de la facture énergétique se traduit ainsi par une baisse des importations en valeur (-2% ; graphique 1) tandis que les importations en volume restent stables. Avec la stabilité des volumes importés, leur origine a enregistré une diversification en réponse à l’embargo sur le pétrole brut russe décidé par le Conseil de l’Union européenne en juin 2022.  Conformément aux attentes, les importations en provenance de Russie ont chuté (- 1,8 millions de tonnes entre 2022 et 2023), et de nouveaux fournisseurs, parmi lesquels le Brésil et le Guyana, auxquels s’ajoutent des fournisseurs établis comme la Norvège, se sont substitués à la Russie. Le constat est identique concernant les importations de gaz naturel liquéfié (GNL), pour lequel les Etats-Unis ont assuré l’approvisionnement et plus que doublé leurs exportations vers l’Union européenne (+140% entre 2021 et 2022). Par conséquent, le solde des produits énergétiques n’a pas été affecté par la réduction drastique des importations d’énergie en provenance de Russie.
Dans le secteur de l’électricité, la France affiche un solde relativement stable en 2023, grâce à une hausse des exportations en volume qui compense la baisse du prix de l’électricité, mais surtout une baisse considérable des importations en valeur (-71,3% ; graphique 2). Le rétablissement des exportations d’électricité tient notamment au rétablissement des capacités productives du parc électronucléaire, dont les problèmes de corrosion sous contrainte ont été résolus.        Le pays a ainsi retrouvé son statut d’exportateur net dans ce secteur.
 

Hors énergie, les exportations des secteurs de spécialisation français soutiennent la réduction du déficit 

Hors énergie et matériel militaire, le solde commercial cumulé sur 12 mois reste stable en 2023 (-56,7Mds€ ; graphique 1). Le déficit s’est résorbé de 7 milliards d’euros par rapport à la fin d’exercice 2022 (-26%), résorption impliquée par une baisse des importations en valeur et une hausse des exportations en valeur et en volume des biens et des services. Sur ce point, l’année 2023 enregistre un nombre record d'entreprises exportatrices, celui-ci dépassant les 146 000 opérateurs étrangers résidents et non-résidents (+1,4% sur douze mois). La réduction du déficit hors énergie et matériel militaire est néanmoins inférieure à celle du déficit commercial global (-30%), lequel est largement influencé par l’évolution du solde énergétique.

Cette tendance à la réduction du déficit est notable dans le secteur des produits manufacturés, qui regroupe les sous-secteurs « Industries agroalimentaire », « Équipements », « Matériels de transport » et « Autres produits industriels ». Les mécanismes sous-jacents à cette réduction varient selon le sous-secteur, mais tous concourent à l’augmentation des exportations de produits manufacturés (+12,5% ; graphique 3).

Tout d’abord, la réduction du déficit commercial dans le secteur des matériels de transport provient d’un rebond significatif des exportations aéronautiques et automobiles (+20,2%, ; graphique 3). Cette hausse est surtout liée à des exportations exceptionnelles de « navires et bateaux » et de l’aéronautique au premier semestre 2023 (vente d’un navire de croisière à l’armateur italo-suisse MSC pour plus d’un milliard d’euros ; vente d’avions pour 27Mds€).

Les exportations cumulées sur douze mois du sous-secteur « Équipements mécaniques, matériel électrique, électronique et informatique » ont augmenté de 6,5% en novembre 2023, contrastant avec la hausse de 12,5% enregistrée à la même période en 2022 (graphique 3).  

Dans le secteur des autres produits industriels, la réduction du déficit commercial est entretenue par une baisse soutenue des importations (-4% ; graphique 3), tandis que les exportations restent stables (-0,7%). En particulier, la baisse des importations de parfums et cosmétiques et des articles textiles en provenance de Chine et de Hong-Kong a favorisé la contraction du déficit commercial dans ces sous-secteurs. En parallèle, une nouvelle fenêtre d’opportunité pour les exportations françaises vers la zone asiatique, et surtout vers la Chine (+7,3% des exportations vers le pays au deuxième semestre 2022), a renforcé la tendance à la réduction du déficit dans les échanges d’autres produits industriels.
 
En 2023, contrairement aux autres secteurs, celui des produits de l’agriculture est marqué par une baisse de ses exportations en valeur. Cette évolution est imputable à une baisse des prix des produits agricoles bruts (-15,4% de l’Indice des prix des céréales de la FAO). Cela se traduit par un excédent commercial des produits agricoles (1,3Mds€ ; graphique 3) en-dessous de sa valeur inédite de 2022 (4,8Mds€). L’année dernière, les performances observées dans ce secteur illustraient avant tout un effet prix (+46% pour les prix à l’exportation entre 2021 et 2022).
 

Balance courante : réduction du déficit portée par une amélioration de la balance commerciale et des exportations de services dynamiques

Les échanges de biens demeurent la composante principale du solde des transactions courantes (graphique 4). Ainsi, la hausse du déficit global due à la hausse des prix de l’énergie en 2022 s’est lourdement répercutée sur le solde de la balance courante (-53Mds€). En 2023, la dynamique s’inverse :  la baisse du prix de l’énergie conduit à la réduction du déficit de la balance courante (-26Mds€ ; graphique 4). 

Cette réduction est également attribuable à un excédent relativement stable dans les échanges de services, à hauteur de 31Mds€ de décembre 2022 à novembre 2023. Les exportations de services financiers, qui ont cru après le Brexit et les transferts d’activités vers la France, ont largement favorisé la croissance des échanges (+5,6Mds€ de solde en 2023 contre +3,6Mds€ en 2019). En 2023, le solde dans ce secteur se stabilise autour de 5Mds€, indiquant que l’effet positif du Brexit et de la relocalisation des banques à Paris est durable en matière d’exportations de services financiers. Les voyages étant de nouveau autorisés depuis 2022, les exportations dans le secteur du tourisme (services de voyages) ont également contribué à l’excédent élevé observé l’an dernier (14,3Mds€ en 2022 contre 5,1Mds€ en 2021) et cette année (18Mds€). En 2023, les exportations totales de services  sont toujours élevées, bien qu’un retour à des valeurs plus habituelles du solde opère depuis le début de l’année. Cette légère baisse de l’excédent s’explique notamment par la baisse du taux de fret maritime, que les transporteurs répercutent sur le prix des services de transport. Ainsi, la baisse de la demande de fret a conduit à une réduction du prix à l’exportation dans ce secteur et à une forte contraction des exportations (-107% entre 2023 et 2022). L’excédent reste toutefois supérieur à celui d’avant crise (+20Mds€ en 2023 contre +12,5Mds€ en moyenne en 2019), maintenu grâce à la résilience des exportations de services de voyages et de services financiers.
 

Les pays de l’Union européenne ont connu une évolution similaire de leur balance commerciale en 2023

Dans l’ensemble, tous les pays de l’Union ont expérimenté l’enchaînement d’une aggravation de leur déficit commercial en 2022 suivie d’une réduction de leur facture énergétique en 2023.  A ce titre, la balance commerciale de l’UE accusait un déficit en fin d’année 2022 (432Mds€ ; graphique 5). En 2023, le solde commercial était de retour à l’excédent dès le mois de février, et converge depuis vers sa valeur de 2021  (87Mds € cumulés en novembre 2023 ; graphique 5).
Avec la valeur positive du solde commercial, il y a pourtant une contraction des exportations extra-européennes (-9,3% entre 2022 et 2023). À cela s’ajoute une réduction des exportations intra-européennes (-15,5% entre 2022 et 2023) . Les explications à cette réduction diffèrent selon les pays.

La France fait figure d’exception en 2023, avec un solde déficitaire alors même que tous ses voisins sont parvenus à rétablir un excédent commercial, à l’exception de l’Espagne (graphique 6). Malgré le rebond d’activité de 2022, cette tendance est confirmée en 2023 (graphique 6). Il est toutefois à noter que la diminution des exportations de biens entre 2022 et 2023 est moins importante en France que chez la plupart de ses voisins (-4%, contre -8,2% en Allemagne, -8,2% aux Pays-Bas, -5,6% en Espagne et -5,7% en Italie).

En Allemagne, la baisse des exportations résulte de diverses faiblesses ayant progressivement affecté son système productif depuis la sortie de la crise du Covid-19, conjuguées à un contexte économique peu propice à l'activité des entreprises exportatrices. En effet, si l’Allemagne enregistre un solde excédentaire, le pays est tout de même en tête de liste des victimes de la contraction de la demande chinoise. Le creusement du déficit bilatéral entre les deux partenaires (-8% des importations chinoises cumulées sur 12 mois en octobre 2023) est accentué par la substitution des biens allemands désormais produits par le géant asiatique, notamment dans le secteur de l’automobile où le marché chinois de la voiture électrique tend à capturer les parts de marchés des entreprises allemandes.

La baisse du niveau des exportations extra-européennes est néanmoins compensée par une baisse plus rapide des importations en provenance du reste du monde (-23,9%). Sous l’effet d’un allègement de la facture énergétique, la réduction des importations au sein de l’ensemble des principaux pays soutient ainsi le retour à un excédent commercial dans l’Union (graphique 6). Les importations diminuent à un taux plus marqué pour l’Italie (-14,2% entre 2022 et 2023), les Pays-Bas (-15%) et l’Allemagne (-13,4%) relativement à l’Espagne (-12,5%) et la France (-9%).


 
 
 
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