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Faut-il négocier un accord de libre-échange entre l’UE et la Chine ?

L’idée d’un accord de libre-échange entre l’UE et la Chine suscite de vives craintes. D’un point de vue commercial, c’est pourtant l’absence d’accord avec la Chine qui risque d’être bientôt difficilement justifiable. Mais cette perspective pose d’autres questions.
Par Sébastien Jean
 Billet du 10 avril 2014


Lors de sa récente visite en Europe, le président chinois Xi Jinping a invité les européens à « explorer activement » la possibilité d’un accord commercial bilatéral. Ce n’est pas la première fois qu’une telle perspective est mise en avant. Wen Jiabao, alors premier ministre, l’avait déjà évoquée en 2012 et David Cameron l’a publiquement soutenue en décembre dernier. Sa simple évocation fait souvent office de repoussoir, pour ne pas dire d’épouvantail chez de nombreux responsables européens, en particulier français. De fait, l’invitation du président Xi a reçu une réponse qui peut s’interpréter comme un refus poli.

L’accueil est cependant beaucoup moins froid qu’il ne l’a été dans le passé. En témoigne le communiqué commun sino-européen publié le 31 mars, qui évoque « la volonté d’envisager des ambitions plus larges y compris, lorsque les conditions seront réunies, vers la perspective de long terme d’un accord de libre-échange global et approfondi ». Faut-il y voir une nouvelle preuve de naïveté, dont la Commission est parfois accusée en matière commerciale ?

La concurrence commerciale de la Chine suscite évidemment de vives craintes. De fait, le commerce de l’Union européenne avec la Chine est fortement déficitaire : ces dernières années, ses importations de biens ont été le plus souvent approximativement le double des exportations, pour un déficit commercial d’environ 150 Mds € par an entre 2010 et 2012, et 60 Mds € environ au premier semestre 2013. On peut considérer que multiplier ces ordres de grandeurs par 1,5 (c’est, en gros, l’effet moyen d’un accord sur les échanges bilatéraux, d’après les études économétriques) ne serait pas nécessairement une bonne nouvelle. On peut également craindre que l’accroissement de la pression concurrentielle en provenance de Chine n’accélère encore un peu plus le déclin de notre industrie. Il serait pourtant simpliste de s’en tenir là.

Notons tout d’abord que ces craintes ne s’appliquent pas à l’investissement, pour lequel la négociation d’un traité bilatéral est en cours. Evidemment, les flux vont ici majoritairement d’Europe vers la Chine, ce qui modifie la problématique, mais il s’agit bien de renforcer les liens économiques bilatéraux. C’est aussi l’occasion de souligner que cette négociation sur l’investissement soulève beaucoup moins de résistances que celles avec les Etats-Unis. Notre confiance dans le système judiciaire du partenaire n’est pas le même dans les deux cas, mais cela pose malgré tout une question de cohérence.

Soulignons ensuite qu’un accord de libre-échange est un traité de partenariat dont la portée dépasse sa dimension purement économique. S’engager dans une négociation constituerait un geste politique conséquent envers la Chine, en particulier dans un contexte où les Etats-Unis n’ont pas engagé une telle négociation.

Même d’un point de vue purement commercial, un tel accord bilatéral entre la Chine et l’UE ne serait pas nécessairement une hérésie. D’une part, l’importance de l’UE comme débouché commercial de la Chine la placerait plutôt en position de force dans les négociations. D’autre part, les barrières commerciales sont plus élevées du côté chinois : d’après les calculs du CEPII, les exportations européennes vers la Chine font face à un droit de douane moyen de 20 % pour les produits agricoles et 7,5 % pour les produits non agricoles, tandis que les exportations chinoises vers l’UE sont respectivement taxées à 16 % et 3,5 %. Un accord serait également une opportunité unique de permettre un meilleur accès des exportateurs européens aux marchés publics chinois, de peser plus efficacement sur le respect des droits de propriété intellectuelle ainsi que sur le respect des indications géographiques, d’améliorer les conditions de la concurrence et l’accès aux marchés des services en Chine et d’accroître la compatibilité de leurs mesures de régulation techniques et sanitaires avec les nôtres. Les gains sont potentiellement très importants.

A bien y réfléchir, c’est l’absence d’accord avec la Chine qui risque bientôt d’être difficilement justifiable, d’un point de vue purement commercial. En effet, si l’UE venait à signer les accords bilatéraux en négociation avec les Etats-Unis et le Japon, cela signifierait que très peu d’importations rencontreraient des droits de douane à l’entrée dans l’Union : les pays les moins avancés sont couverts par l’initiative « Tout sauf les armes », qui offre un accès libre de droits et de contingents ; les pays en développement éligibles (41 au total en dehors des pays les moins avancés, dont la Chine mais seulement pour quelques secteurs) bénéficient du Système de préférences généralisé ; les pays voisins ont signé des accords de libre-échange (accord avec l’AELE ; union douanière pour les produits industriels avec la Turquie ; accords Euromed ; accords de partenariats avec les voisins de l’Est, dans le cadre ou non du Partenariat oriental) ; des Accords de Partenariat Economique sont signés ou en négociation avec les ACP ; des accords bilatéraux ont été signés avec de nombreux partenaires parmi lesquels le Mexique, l’Afrique du Sud, le Chili, la Corée, le Canada, et sont en négociation notamment avec l’Inde, la Malaisie et le Mercosur, même si certaines de ces négociations semblent actuellement en panne.

Quelles importations européennes subissent donc en pratique les droits de douane dits de « la clause de la nation la plus favorisée », censés s’appliquer par défaut, et surtout lesquelles les subiraient si les accords en négociations étaient signés ? Très peu à vrai dire, mis à part celles sur quelques produits sensibles et celles provenant d’une poignée de pays parmi lesquels la Russie, l’Australie, la Nouvelle-Zélande… et la Chine.

Pourquoi donc taxer un jouet ou un meuble en provenance de Chine, là où celui en provenance de Turquie, du Mexique ou de Malaisie entrerait librement ? Un tel schéma n’est pas seulement difficilement défendable dans son principe, il est inefficace. Il donne lieu à des phénomènes de détournement de commerce, qui amènent à ne pas s’approvisionner auprès du meilleur fournisseur, mais auprès d’un autre qui bénéficie d’un régime commercial plus avantageux.

Négocier un accord avec la Chine ne constituerait pas une solution miracle pour autant : on ne peut tout négocier à la fois, et l’agenda de l’UE est déjà bien chargé. Une négociation avec la Chine poserait d’ailleurs immanquablement la question de la cohérence avec celle engagée avec les Etats-Unis, sauf à supposer que les chinois soient prêts à s’aligner sur les résultats de la négociation transatlantique, ce qui semble peu probable. Avec cette proposition, c’est le caractère paradoxal et peu cohérent de la flambée du régionalisme qui se révèle un peu plus : si tout le monde veut négocier avec tout le monde, il est beaucoup plus simple de le faire dans un cadre multilatéral. C’est également beaucoup plus efficace, parce qu’un certain nombre de dossiers comme les règles concernant les subventions ou les entreprises d’Etat ont des conséquences qui ne sont pas spécifiques à un partenaire, et sont donc traités de façon beaucoup plus cohérentes dans un cadre multilatéral. C’est enfin plus légitime et juste, parce que tout le monde se voit appliquer les mêmes règles. Là réside sans doute la meilleure raison de ne pas se précipiter sur un accord commercial avec la Chine : ce serait prendre le risque de saper un peu plus les ressorts possibles d’une reprise des négociations multilatérales. Si une volonté commune de faire évoluer les règles commerciales existe vraiment entre l’UE et la Chine, qu’ils la mettent au service d’une négociation globale !

 

Le Club du CEPII organise, le 10 avril, une séance pour faire le point sur les investissements chinois à l’étranger. Pour plus d’information ou pour s’inscrire, cliquer ici.

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