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L’AIIB (1/3) : La « Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures » entre en action 

Initiée par la Chine fin 2013, la banque asiatique d'investissement pour les infrastructures est officiellement entrée en exploitation en janvier 2016.
Par Christophe Destais
 Billet du 23 mai 2016


La Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures ou Asia Infrastructures Investment Bank (AIIB) est officiellement entrée en exploitation le 16 janvier 2016 depuis son siège de Pékin. Ses premiers prêts devraient être approuvés cette année. Cette mise en place effective est particulièrement rapide puisqu’elle intervient à peine plus de deux ans après que le président chinois Xi Jinping en a pour la première fois évoqué l’idée en octobre 2013, à peine plus d’un an après la signature d’une déclaration d’intention à Pékin par plus de 20 pays asiatiques [1] et neuf mois après que ces pays ont été rejoints en tant que membres fondateurs de la banque, par 35 autres, dont la quasi-totalité des pays d’Europe occidentale. Les États-Unis, le Canada, le Mexique et le Japon n’ont en revanche pas souhaité devenir membre de l’AIIB. Les États-Unis ont tenté en vain de dissuader leurs alliés traditionnels, notamment le Royaume-Uni, de le faire.

Répartition du capital, droits de vote, statuts

Le capital autorisé de l’AIIB est de 100 milliards de dollars dont 20  % sont exigibles immédiatement. La part du capital autorisé pour chaque pays est calculée sur la base du PIB nominal (60  %) et du PIB en parité de pouvoir d’achat (40  %). La Chine détient 30  % du capital. L’égale répartition des droits de vote au prorata de la part du capital est altérée par la distribution de 12  % des droits de vote de manière égale entre tous les membres. Les membres fondateurs bénéficient d’un « bonus » supplémentaire. L’application de ces mécanismes donne à la Chine 26  % des droits de vote, soit une minorité de blocage pour les votes à la majorité qualifiée. À lire les statuts de la banque, le vote à la majorité qualifiée devrait toutefois être l’exception, la règle étant que les décisions sont adoptées à une majorité simple.

Des dispositions garantissent que les membres « régionaux » de l’AIIB (c'est-à-dire les pays de la zone Asie-Océanie) disposent de ¾ des droits de vote et des sièges au Conseil de la Banque.

Si les financements de l’AIIB doivent concerner exclusivement la région ou des institutions « préoccupées » (concerned) par le développement de la région Asie-Pacifique, les statuts sont très souples quant à l’objet et à la nature des interventions de la banque, d’une part, et ses bénéficiaires d’autre part.

Bien que le terme « infrastructure » figure dans le nom de l’institution, les champs d’intervention possibles de la Banque s’étendent à l’ensemble du développement économique. Il y a toutefois une convergence d’intérêt pour que les infrastructures constituent, au moins dans un premier temps, l’essentiel des projets financés. D’une part, la Chine a massivement investi dans ce domaine depuis 10 ans. Elle s’est constituée un savoir-faire important mais aussi des capacités industrielles excédentaires auxquelles des financements de l’AIIB permettraient de remédier partiellement. D’autre part, de nombreuses études [2] font état d’un besoin massif d’infrastructures dans l’Asie en développement, hors Chine, notamment en Asie du Sud, en Indonésie, aux Philippines et dans les pays pauvres d’Asie du Sud Est. Les estimations varient cependant d’une source à l’autre et ne traitent généralement pas du Pakistan ou des pays d’Asie Centrale.

Les statuts de l’AIIB (article 11) définissent également les bénéficiaires des interventions de l’AIIB de manière très large : « ses membres, leurs agences, administrations et subdivisions politiques [les] entités et [les] entreprises actives sur leur territoire, ainsi que [les] organismes ou entités internationaux ou régionaux intéressés par le développement économique de la région ».

Gouvernance et bonnes pratiques

Le principal argument utilisé par les représentants de l’administration américaine pour dissuader leurs alliés d’entrer au capital de l’AIIB est que cette dernière ne respecterait pas les normes en vigueur à la Banque mondiale et dans les autres banques de développement multilatérales en matière de gouvernance interne, d’environnement, de sélection des bénéficiaires, d’impact sur les populations…

Il s’agissait d’un procès d’intention qui a été fortement contesté par les initiateurs de l’AIIB et qui pouvait être retourné contre ses auteurs : si les puissances occidentales ne sont pas présentes dans les organes de décision de l’AIIB, elles ne seront pas en mesure de faire prévaloir leurs principes dans ce domaine. La Banque affiche aujourd’hui les intentions les plus rigoureuses. Elle a mis en ligne un nombre impressionnant de règles internes qu’elle entend mettre en œuvre en matière de gouvernance, de recrutement, de procédures internes, d’attribution des marchés (procurement), de respect des normes sociales et environnementales… À ce stade, ces règles constituent un affichage. Un audit rigoureux et surtout la confrontation à la pratique effective dans le temps devront confirmer ces bonnes intentions.

Les entreprises et les pays bénéficiaires espèrent que les procédures de l’AIIB seront moins longues que celles des autres banques de développement multilatérales qui sont réputées très lourdes, en raison des normes exigeantes et complexes qu’elles doivent appliquer. Un des défis de l’AIIB sera de devenir crédible tout en réduisant les durées d’examen des projets.
 

[1] Chine, Inde, Indonésie, Thaïlande, Malaisie, Singapour, Philippines, Pakistan, Bangladesh, Brunei, Cambodge, Kazakhstan, Koweït, Laos, Birmanie, Mongolie, Népal, Oman, Qatar, Sri Lanka, Ouzbékistan et Vietnam.
 
[2] Voir en ce sens : World Economic Forum's Global Competitiveness report 2015-16; McKinsey Global Institute: Southeast-Asia at the crossroads, Nov 2014 ou une étude plus ancienne de la Banque Asiatique de Développement qui estimait en 2009 à 8 000 milliards de dollars le montant qui devrait être dépensé dans les infrastructures en Asie entre 2010 et 2020 (51 % pour l’électricité, 29 % pour la route et 13 % pour les télécommunications).
 
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