Le blog du CEPII

Accord commercial Union Européenne-Australie-Nouvelle Zélande : des enjeux asymétriques

L’Union européenne (UE) a lancé fin 2015 des négociations avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, deux des rares membres de l’OMC à qui elle n’accorde pas un accès préférentiel à son marché. Quels en sont les enjeux pour l’Europe ?
Par Cecilia Bellora, Houssein Guimbard
 Billet du 20 septembre 2016


Nous discutons dans ce billet des intérêts européens : quels sont les secteurs qui bénéficieraient le plus d’une libéralisation de l’accès aux marchés australien et néozélandais ? Quels seraient les secteurs qui, au contraire, seraient le plus fragilisés par une baisse des protections commerciales européennes ? Un prochain billet suivra pour analyser les impacts possibles d’un accord, en prenant en compte la ratification prochaine du Partenariat Trans-Pacifique.

Rares sont les pays auxquels l’Union européenne n’accorde pas d’accès préférentiel à son marché, que ce soit au travers d’accords réciproques (comme avec le Chili, la Corée du Sud ou encore l’Afrique du Sud) ou pas (tel que le Système Généralisé de Préférences ou encore l’initiative « Tout sauf les armes », destinés à de nombreux pays en développement). Seuls quelques pays développés (États-Unis, Japon, avec lesquels les négociations sont déjà engagées, l’Australie et la Nouvelle Zélande) et les grands émergents (Chine, Inde, Russie et Brésil) font face au droit NPF [1] de l’Union européenne. Ainsi, l’Union Européenne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont annoncé, fin 2015, l’ouverture de négociations en vue d’un accord commercial bilatéral [2].

Pour l’instant, Australie et Nouvelle-Zélande négocient indépendamment. Toutefois, étant donné la proximité géographique, économique et culturelle de ces deux pays, nous les considérerons ici comme un seul bloc que nous appellerons ANZCERTA [3], nom de l’accord commercial liant ces deux pays depuis 1983 [4].

D’emblée, du fait de la taille respective des deux blocs, les enjeux apparaissent asymétriques. D’une part, l’UE est un grand marché d’exportation de biens pour l’ANZCERTA, le quatrième derrière la Chine, le Japon et la Corée du Sud, pour un total de 17,9 milliards de dollars américains (USD) en 2013. Plus de 60  % de ces biens sont issus du secteur agricole. La signature d’un accord garantirait un accès accru au grand marché européen, de plus de 500 millions d’habitants ayant un revenu par tête moyen de 35 645 dollars. D’autre part, l’ANZCERTA n’est que le treizième marché d’exportation européen, pour une valeur de 49 milliards de dollars en 2013 (principalement des produits industriels) [5], l’essentiel des exportations européennes ayant pour destination l’Union elle-même (environ 3 450 milliards) et, dans une moindre mesure, les États-Unis et la Chine. En outre, le marché de l’ANZCERTA est plus réduit, 28 millions d’habitants avec un revenu moyen de 60 500 USD. Malgré tout, la signature d’un accord avec l’ANZCERTA reste pour l’UE un moyen d’avoir un meilleur accès au grand marché asiatique et de compenser les effets négatifs que pourrait avoir le TPP sur ses exportations (voir billet de blog à suivre).

Les restrictions au commerce les plus importantes sont dues aux mesures non tarifaires (comme par exemple les normes techniques ou sanitaires - MNT), bien que l’estimation de leurs équivalents tarifaires (c’est-à-dire la traduction en pourcentage de leurs effets sur le commerce), reste sujette à caution.[6] Aujourd’hui, l’équivalent tarifaire moyen des MNT est de 34  % pour l’ANZCERTA et de 33  % par l’UE, alors que les tarifs douaniers moyens sont de l’ordre de quelques pourcents. L’un des principaux enjeux des négociations réside donc bien dans la réduction des MNT.

Au niveau sectoriel, l’ANZCERTA applique des droits de douane moyens plus faibles que l’UE et protège davantage son industrie que son agriculture, signe de son importante compétitivité dans le secteur agricole : vis-à-vis de l’UE, son droit moyen agricole est de 2,4  %, contre 3,2  % dans l’industrie. Pour l’UE, vis-à-vis du bloc ANZCERTA, c’est l’inverse, avec un droit moyen agricole très élevé (presque 26  %) et un droit moyen dans l’industrie faible (0,9  %).

La comparaison des parts de marché au niveau mondial et dans la région partenaire, complétée par l’observation des niveaux moyens de protection et des flux commerciaux actuels, donne un aperçu des performances potentielles en cas de libéralisation, et donc des secteurs dans lesquels chacun des partenaires souhaiterait le plus voir diminuer les barrières à ses exportations (Table 1 et Table 2). Nous détaillons dans la suite les intérêts européens uniquement. Au niveau agricole, la part de marché de l’UE en ANZCERTA est faible par rapport à sa part de marché au niveau mondial. L’enjeu est sans doute le plus important dans les secteurs où, malgré une bonne performance actuelle en termes de parts de marché relative, l’UE est un grand exportateur vers ses deux partenaires du Pacifique : les « autres produits alimentaires » (préparations alimentaires, chocolat ou pâtisseries) ou encore les « produits en bois » (meubles, sièges, etc.) présentent ainsi de bons résultats en termes d’exportations européennes, et font toujours face à des obstacles commerciaux importants. L’harmonisation de certaines normes ou la suppression de barrières techniques inutiles pourraient donc créer des conditions encore plus favorables pour les exportateurs européens. Au niveau industriel, l’UE a des intérêts offensifs dans les secteurs du « textile » et de « l’habillement » : les exportateurs européens font face à des droits de douane relativement élevés (5,7 % et 8,6 %, respectivement), associés à des MNT non-négligeables (49,6 % et 33,6 %, resp.). Par ailleurs, la part de l’UE sur ce marché est plus faible qu’elle ne l’est au niveau mondial. La libéralisation des échanges dans ces secteurs peut donc avoir de l’importance pour les filières correspondantes. Néanmoins, ces secteurs exportant peu vers l’ANZCERTA, l’impact global de leur libéralisation devrait être faible. Enfin, malgré des parts de marché déjà importantes, les effets les plus forts pourraient concerner les secteurs de la « métallurgie » et du « papier et imprimerie ». Les droits de douane appliqués par l’ANZCERTA y sont relativement élevés (4,4 % et 3 %, resp.), et des négociations sur les MNT (32,5 % et 37,6 %, resp.) pourraient favoriser les produits européens.

Les intérêts défensifs de l’UE sont concentrés dans le secteur agricole (Tableau 2). La part des produits de l’ANZCERTA dans les importations européennes est bien plus faible que celle dans les importations mondiales. Parmi les secteurs avec des importations déjà importantes, il s’agit des « autres produits alimentaires », des « produits laitiers », des « fruits et légumes » ou encore des « animaux vivants » (bovin, chevaux, chèvres, moutons). On note également des difficultés possibles pour les producteurs européens de viande (morceaux – désossés ou non – d’ovins frais ou congelés, principalement). Dans ce secteur, l’ANZCERTA exporte beaucoup (1 416 milliards de dollars en 2013, au niveau mondial), sa part de marché est très importante (près de 41 %) au niveau mondial alors qu’elle n’est que de 31% en UE, du fait d’une protection élevée (53 % de droits de douane et un équivalent tarifaire de 63 % pour les MNT). La simple suppression des droits de douane pourrait donc avoir des effets très forts sur cette filière. Quelques secteurs industriels (« autres minéraux », « papier et imprimerie »…) apparaissent également comme importants pour l’ANZCERTA, mais les droits de douane étant faibles, il ne reste que les MNT (relativement faibles, par ailleurs) sur lesquelles un accord pourrait avoir un effet. Il est donc probable que les exportations actuelles soient déjà proches de leur niveau potentiel.

Enfin, le secteur tertiaire est lui aussi soumis à de nombreuses mesures non tarifaires. Les niveaux de restriction [7] sont parfois supérieurs à ceux dans l’agriculture et l’industrie. L’ANZCERTA est plus protectionniste que l’UE dans ce secteur (74 % et 44 % resp.). Le secteur public est très protégé (entre 75 % et 63  % en moyenne resp.), alors que les secteurs des transports sont les moins soumis à des contraintes (30 et 23  % resp. dans l’aérien, 59 % et 38 % dans le transport maritime, 33 % et 25 % dans les autres transports). Cependant, les services sont moins échangés que les biens. Les impacts relatifs d’un accord commercial pourraient être importants dans ces secteurs, mais les conséquences macroéconomiques resteront certainement plus faibles.


Tableau 1 : Potentiel de développement commercial – Exportations européennes vers l’ANZCERTA, 2013
Source : MAcMap-HS6 (droits de douane), BACI (commerce) et Kee et al (2009) (MNT). Calculs des auteurs.
Note : Nous présentons ici 20 secteurs de biens (sur les 43 disponibles). La sélection est effectuée en triant par ordre décroissant le résultat (a+b)*(d/e). Cela fait donc apparaitre les secteurs pour lesquels la protection globale (droits de douane et MNT) est la plus élevée, après pondération par le ratio des parts de marché.
Tableau 2 : Potentiel de développement commercial – exportations de l’ANZCERTA vers l’UE, 2013
Source : MAcMap-HS6 (droits de douane), BACI (commerce) et Kee et al (2009) (MNT). Calculs des auteurs.
Note : Nous présentons ici 20 secteurs de biens (sur les 43 disponibles). La sélection est effectuée en triant par ordre décroissant le résultat (a+b)*(d/e). Cela fait donc apparaitre les secteurs pour lesquels la protection globale (droits de douane et MNT) est la plus élevée, après pondération par le ratio des parts de marché.

[1] Il s’agit du droit de la Nation la Plus Favorisée, qui est le droit de douane maximum (hors exception) qu’un pays s’engage à appliquer à ses partenaires de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).
 
[2] Voir les annonces officielles des 29 octobre 2015 (http://europa.eu/rapid/press-release_STATEMENT-15-5947_fr.htm) et 15 novembre 2015 (http://europa.eu/rapid/press-release_STATEMENT-15-6088_en.htm)
 
[3] En anglais : Australia New Zealand Closer Economic Relations Trade Agreement. Il s’agit d’un accord de libre-échange entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
 
[4] Ce choix est uniquement lié à une volonté de simplification des résultats présentés ici. Il est, par ailleurs, très probable que cette négociation débouche sur un accord commun entre l’ANZCERTA et l’UE.
 
[5] Nous utilisons les données pour l’année 2013 (source : BACI) car il s’agit de l’année la plus récente nous permettant une cohérence entre les bases de données de tarifs et de commerce. Pour des données sur 2015, voir http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2006/september/tradoc_113346.pdf et http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2006/september/tradoc_113425.pdf
 
[6] Les équivalents tarifaires des MNT utilisés proviennent de Kee et al. (2009).
 
[7] Les équivalents tarifaires dans le secteur tertiaire proviennent de la base de Fontagné et Mitaritonna (2009).
 
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