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Vietnam : le dernier dragon
(1/2) : L’ouverture internationale guide de la politique économique du Vietnam

Le Vietnam a fait le choix de l’ouverture internationale depuis 1986, pour créer une économie socialiste de marché, ce qui lui a permis de connaître une expansion économique vigoureuse. Son insertion dans l’économie mondiale en a fait un maillon important des chaines de valeur internationales, important massivement des composants de Chine et d’Asie en général, pour exporter tout aussi massivement de produits finis vers les États-Unis et L’Europe.
Par Michel Fouquin, Jean Raphaël Chaponnière
 Billet du 16 décembre 2019


L’ouverture internationale guide de la politique économique du Vietnam

À la suite des politiques économiques catastrophiques suivies après la réunification, le gouvernement du Vietnam, s’inspirant de l’exemple chinois, s’engage en 1986 à construire une économie socialiste de marché ouverte à l’international. Cette ouverture a été couronnée de succès avec son accession à l’OMC en 2007. Depuis, le gouvernement a accentué sa politique d’ouverture, notamment en signant des traités de libre-échange avec l’Union européenne[1], l’ASEAN[2] et la République de Corée[3]. En janvier 2019, il adhère à l’accord « Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership (CPTPP) » déjà adopté fin 2018 par le Canada, l’Australie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Japon et Singapour[4].

Avec des exportations de biens et services dépassant 110 % du PIB en 2019 (46 % en 1996), le Vietnam est, après Singapour, le pays le plus ouvert d’Asie du Sud-Est. De même les investissements étrangers représentaient en 2018 près de 30 % de sa formation de capital fixe. Les échanges internationaux et les investissements étrangers jouent un rôle crucial dans la dynamique de croissance du Vietnam. Ils sont à l’origine de profondes mutations dans les structures de ses échanges tant en matière de partenaires que de produits.
 

Principaux partenaires à l’exportation (en % du total)
 

 

1997

2007

2018

2019
dix premiers mois

Variation par rapport à 2018 même période

États-Unis

3,1

20,8

19,5

23,0

+ 26,6

Union européenne

17,5

18,7

17,2

15,8

- 1,9

Chine

5,2

7,5

17,0

14,9

- 2,9

ASEAN

20,8

16,7

10,2

9,8

+ 2,6

Japon

18,2

12,5

7,7

7,6

+ 7,5

Corée

4,5

2,6

7,5

7,6

+ 9

Total millions $

9 185

48 561

243 700

217 000

+ 7,4


Source : General Statistics Office of Vietnam, novembre 2019.


À l’exportation, les États-Unis sont devenus progressivement, après la signature en 2002 d’un accord de commerce bilatéral, la première destination des exportations vietnamiennes avec près de 20 % du total en 2018 (contre 3 % en 1997). La Chine, longtemps tenue à l’écart, s’en approche avec 17 % et, si l’on tient compte des marchandises qui transitent par Hongkong, elle est de fait aujourd’hui la première destination. En revanche la part de l’ASEAN et du Japon chute chacune de 10 points entre 1997 et 2018, tandis que celle de l’UE se maintient autour de 18 % des exportations.

Pour l’instant l’analyse des flux de commerce montre une grande résilience du Vietnam à la guerre commerciale sino-américaine. La progression totale des exportations est de 7,4 % au cours des dix premiers mois de 2019 par rapport à la même période de l’année précédente ; d’une manière générale ce sont les exportations vers les pays développés qui restent les plus dynamiques. Ainsi les exportations vers les États-Unis progressent de 26,6 %, de 9 % vers la Corée et de 7,5 % vers le Japon, mais baissent de 2,9 % vers la Chine et de 1,9 % vers l’Europe. L’analyse des statistiques de commerce américaines montre que les importations de produits vietnamiens relevant des catégories affectées par les mesures prises contre la Chine augmentent de 34 %, soit trois fois plus vite celles des autres produits[5].
 

Principaux partenaires à l’importation (en % du total)
 

 

1997

2007

2018

2019
dix premiers mois

Variation par rapport à 2018 même période

États-Unis

2,2

2,7

5,4

5,9

+ 12,6

Union européenne

11,5

8,2

5,9

5,8

+ 7,8

Chine

3,5

20,3

27,6

29,5

+ 16,1

ASEAN

27,8

25,3

13,4

12,6

+ 1,0

Japon

13,0

9,9

8,1

7,6

+ 2,1

Corée

13,5

8,5

20,1

18,8

+ 0,6

Total millions $

11 592

62 764

237 200

210 000

+ 7,8


Source : General Statistics Office of Vietnam, novembre 2019.

 

Pour comprendre le sens de ces évolutions il faut regarder du côté des importations. Au total 70 % des importations vietnamiennes proviennent d’Asie (contre 58 % en 1997), et 19 % seulement des pays développés, 11,7 % hors Japon. La Chine, avec 29 % du total, domine de loin tous les autres partenaires du Vietnam qui est ainsi devenu un élément crucial de la chaine de valeur qui relie les échanges entre la Chine et les États-Unis. La Chine qui monte en gamme et dont les coûts salariaux atteignent au minimum le double de ceux du Vietnam utilise son voisin comme relais d’une partie de sa production. Autre évolution, celle de la Corée du Sud qui délocalise de Chine vers le Vietnam une partie de sa production de télécom (smartphones) et d’ordinateur. De ce fait la Corée exporte une part croissante de composants qui, assemblés au Vietnam, partent aux États-Unis.

Les relations commerciales qui lient le Vietnam à la Chine et aux États-Unis se sont encore renforcées avec la guerre commerciale. Le Vietnam apparait comme le premier bénéficiaire, avec le risque que les États-Unis ne l’accusent  de servir de simple point de passage aux produits chinois naturalisés vietnamiens[6], qui accèdent alors à des tarifs presque nuls au marché américain.

 


[1] Négocié en 2015, il est entré en application en juin 2019.

[2] Le Vietnam est membre de l’ASEAN depuis 1995 et participe au processus de réduction des tarifs depuis 2007 ; il participe aussi activement aux négociations de l’ASEAN avec Hongkong qui ont abouties en 2019.

[3] Effectif depuis 2015, il a permis d’accélérer les investissements coréens au Vietnam.

[4] Ils devraient être rejoints par Brunei, le Chili, la Malaisie et le Pérou.

[5] L’étude de la CNUCED « Trade and trade diversion effects of United States tariffs on China », Unctad Research Paper n°37, November 2019, indique que Taiwan est le principal bénéficiaire pour les équipements informatiques et le Vietnam pour les équipements en télécommunication, cependant aucun des deux ne parvient à compenser le recul des importations américaines, résultant en une perte sèche d’échanges.

[6] « Vietnam is under rising US pressure to stop transshipment of tariff-dodging China-made goods », David Hutt. Vietnam struggles to stay a trade war winner. Asia Times, 10 decembre 2019.


Jean-Raphaël Chaponnière est chercheur associé à Asia Centre et à Asia21

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