Le blog du CEPII

Peut-on dévaluer sans dévaluer ?

Retranscription écrite de l'émission du 17 mai "Les idées claires d'Agnès Bénassy Quéré", chronique hebdomadaire sur France Culture le jeudi matin à 7h38
Par Agnès Bénassy-Quéré
 Audio du 17 mai 2012


 

La Grèce a un problème de déficits au pluriel : déficit public, bien sûr, mais aussi déficit extérieur de l’ordre de 10% du PIB. Cela signifie que le pays dépend des financements extérieurs non seulement pour boucler son budget public, mais aussi pour financer ses importations d’énergie, de voitures, de vêtements. Pour rétablir l’équilibre budgétaire, il faut couper dans les dépenses, relever les impôts et fabriquer de la croissance, on ne sait trop comment. Pour rétablir l’équilibre extérieur il faudrait que les prix baissent d’environ 35% en Grèce par rapport au reste du monde. Comment faire ?

Si la Grèce ne faisait pas partie de la zone euro, elle aurait dévalué depuis belle lurette la bonne vieille drachme sous la pression des marchés : constatant la surévaluation de la drachme, les investisseurs auraient spéculé et provoqué une banale crise de change, comme en Asie en 1997 et depuis, en Islande ou au Pakistan. Mais la Grèce fait partie de la zone euro. C’est un gros avantage à court terme car son déficit commercial est financé automatiquement, via le système européen des banques centrales. Mais si elle veut dévaluer pour redresser sa compétitivité, la Grèce doit sortir de l’union monétaire. C’est possible, mais aussi coûteux que compliqué. Il faudrait fermer les frontières pour organiser  la conversion rapide en drachmes de l’argent liquide, des comptes bancaires et plus généralement de tous les contrats de droit grec – conversion faite à un taux fixe, disons une drachme pour un euro, puis laisser la drachme se déprécier. La nouvelle banque centrale pourrait alors racheter la dette publique passée en drachmes. Cependant, comme pour une dévaluation classique, la dette extérieure, restée en euros, deviendrait impossible à rembourser, aussi bien pour l’Etat grec que pour les entreprises. Il y aurait alors des défauts et des faillites. Bien évidemment, personne ne voudrait plus prêter au pays d’Homère. Il lui faudrait donc immédiatement rééquilibrer son solde extérieur. Heureusement, si l’on peut dire, la chute du pouvoir d’achat liée à la dévaluation (pensez au prix de l’essence en drachmes) mettrait un coup de frein aux importations. En bref, la sortie de la zone euro serait pour la Grèce une thérapie de choc, rapide mais destructrice et appauvrissante à court terme.

Si l’on exclut la sortie de la zone euro, comment faire ? Comment dévaluer sans dévaluer ? La manière élégante, c’est d’élever la productivité afin que chaque travailleur produise moins cher à qualité donnée. Cela nécessite des réformes, une meilleure organisation, moins de corruption, mais aussi des investissements étrangers, attirés par une confiance retrouvée. Difficile aujourd’hui de miser sur ce scénario. Il ne reste alors que la via dolorosa : attendre que les salaires et les prix baissent sous l’effet du chômage. Une dévaluation à petit feu, en quelque sorte. C’est long et pénible, mais en cas de réussite la confiance peut revenir assez vite et ramener des investissements étrangers. Les marchés ne sont pas rancuniers. Leur appât du gain les ramènera un jour en Grèce, pour peu qu’ils y voient de la lumière. Si vous n’y croyez pas, vous pouvez commencer tout de suite à collectionner les pièces grecques de 10 ou 20 centimes d’euro. Spéculez, ce seront peut-être bientôt des pièces de collection.
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