Zone euro : un rééquilibrage des balances courantes en trompe-l’œil
Le rééquilibrage des balances courantes en zone euro est en cours et les déficits des pays les plus vulnérables se sont fortement résorbés. Mais cet ajustement ne semble pas structurel et reflète essentiellement la forte contraction de leur demande intérieure.
Par Benjamin Carton, Sophie Piton
Billet du 13 novembre 2013
A la suite de l’intégration monétaire, les déséquilibres courants des pays de la zone euro se sont beaucoup accentués. Jusqu’à la crise de 2008-2009, l’accumulation de déficits par les pays dits « périphériques » (Espagne, Grèce, Irlande, Italie, Portugal) a souvent été être interprétée comme la manifestation d'un processus de convergence, les déficits étant alors considérés comme de « bons » déséquilibres. La crise a largement discrédité cette interprétation. Les déficits ont alors été pointés du doigt comme révélateurs d’un excès de demande interne et d’une perte de compétitivité. La troïka (Commission européenne, BCE, FMI), en charge de superviser la mise en œuvre des plans de stabilisation dans les pays bénéficiant d’une aide financière, a insisté sur la nécessité pour ces pays de s’attaquer à l’ensemble de leurs déséquilibres macroéconomiques. Cette idée a été généralisée à l’ensemble des pays de la zone avec l’adoption, fin 2011, du Six Pack qui a introduit un système de prévention des déséquilibres pouvant impliquer des sanctions en cas de « déséquilibre excessif » (voir le billet du 14 novembre 2012, « Six pack : simplifions le tableau de bord ! »).
Entre 2010 et 2012, les déficits courants des pays périphériques se sont largement résorbés et la zone euro, dans son ensemble à l’équilibre en 2007, est désormais excédentaire (son excédent courant dépassant même celui de la Chine en 2012). La Grèce a réduit son déficit de 12 points de pourcentage, le Portugal et l’Irlande de 11 points, l’Espagne de 9 points et l’Italie de plus de 2 points. A l’exception de la Grèce, tous ces pays ont ramené leurs déficits à un niveau inférieur à 4 % de leur PIB, et ils respectent le critère défini par le tableau de bord (déficit inférieur à 4 % du PIB sur les trois dernières années) hormis le Portugal (malgré un déficit à 2 % en 2012, la moyenne des trois années atteint 6,5 %). En revanche, aucune correction n’est intervenue du côté des pays en surplus « excessif » (selon le tableau de bord, l’excédent doit être inférieur à 6 % du PIB sur les trois dernières années), et la balance courante de l’Allemagne reste toujours, depuis 2008, autour de 6 % (graphique 1).
Que peut-on penser des ajustements intervenus ? Sont-ils le signe d’un vrai rééquilibrage ou sont-ils, pour l’essentiel, l’effet de la chute de la demande dans les pays les plus contraints à l’ajustement ?
Que peut-on penser des ajustements intervenus ? Sont-ils le signe d’un vrai rééquilibrage ou sont-ils, pour l’essentiel, l’effet de la chute de la demande dans les pays les plus contraints à l’ajustement ?
La réduction des déficits vient principalement de la chute de la demande en zone euro
Une estimation effectuée par B. Carton et S. Piton indique quelle aurait été l’évolution des balances courantes des différents pays, hors variations de leur demande intérieure et de celle de leurs partenaires en zone euro (graphique 1). Le déficit courant se serait aggravé en Grèce de 8 points et en Italie d’un point. La réduction du déficit portugais n’attendrait que 4 points, et celui de l’Espagne seulement un point de PIB. L’essentiel de l’ajustement proviendrait donc de la chute de la demande, particulièrement forte dans ces pays. Dans ces conditions, il est à craindre que tout rétablissement de la demande intérieure n'entraîne une nouvelle dégradation des déficits.
Graphique 1 - Les plus grands ajustements de la balance courante entre 2008 et 2012 Variation du ratio balance courante/PIB entre 2008 et 2012 en points de pourcentage, et niveau en 2012 |
Lecture : la balance courante hors effet de demande est obtenue par correction des importations des évolutions de la demande intérieure du pays (une baisse de la demande domestique fait chuter les importations) et par correction des exportations des évolutions de la demande intérieure des pays partenaires (une baisse de la demande extérieure fait chuter les exportations). En Grèce, la chute de la demande a permis une amélioration de la balance courante, sans quoi elle se serait dégradée de 8 points entre 2008 en 2012. En Allemagne, l’effet demande a ralenti l’excédent qui aurait pu augmenter de 0,6 point de PIB de plus entre 2008 et 2012. Source : calcul des auteurs à partir des données d’AMECO (mai 2013). |
L’ajustement structurel est timide et ne progresse pas dans les pays en surplus « excessif »
Dans un récent document de travail du CEPII, B. Carton et K. Hervé cherchent à déterminer si les déséquilibres structurels qui existaient au sein de la zone euro en 2007-08 sont moindres en 2011-12. Pour cela, ils examinent comment, entre ces deux dates, a évolué le désajustement du taux de change réel des différents membres de la zone euro [1]. Explorant plusieurs hypothèses quant au niveau du PIB potentiel, ils parviennent au résultat que l’Espagne et le Portugal ont sensiblement réduit leur désajustement (leur surévaluation réelle). Cependant, le rééquilibrage de ces deux pays ne s’est pas accompagné d’une correction du désajustement de l’Allemagne (de sa sous-évaluation réelle), mais d’un désajustement plus marqué (surévaluation plus importante) de la France et de l’Italie. Quant à la Grèce, son désajustement reste, en toute hypothèse, très substantiel.
L'ajustement des prix entre secteurs exposé et abrité des pays en crise n'a guère progressé
Pour constater le caractère structurel ou non de l’ajustement, nous pouvons aussi observer si les déséquilibres à l’origine des déficits courants se résorbent.
Dans une récente étude, G. Gaulier et V. Vicard (2013) ont montré que la montée des déséquilibres dans la zone euro jusqu’en 2007 ne s’expliquait pas par une divergence des performances à l’exportation. La création de l’euro a provoqué un afflux de capitaux vers les pays périphériques « en rattrapage » à l’origine d’un choc de demande qui s’est traduit par une hausse des importations et par une hausse des salaires et des prix dans les secteurs de biens et services non-échangeables. La détérioration des coûts salariaux unitaires observée au niveau agrégé dans ces pays, relativement aux autres membres de la zone euro, n’est pas significative des conditions de compétitivité des secteurs exportateurs, qui ne se sont, en réalité, pas dégradé. C’est bien la hausse des importations qui a creusé les déficits des pays périphériques.
S’appuyant sur cette analyse, on peut penser que si un véritable rééquilibrage était en cours, il devrait se refléter par une baisse du niveau des prix des secteurs abrités relativement aux secteurs échangeables afin de réorienter la production domestique vers les secteurs de biens et services échangeables. Le dernier rapport trimestriel de la Commission européenne montre que le rééquilibrage entre secteur abrité et échangeable ne semble pas encore en cours.
Les facteurs conjoncturels seraient donc aujourd’hui les principales causes de l’ajustement des balances courantes, celui-ci résultant dans les pays en crise de la forte contraction de la demande domestique sous l’effet du désendettement du secteur privé et des mesures prises pour tenter de réduire l’endettement public. La réallocation des facteurs de production des secteurs abrités vers les secteurs échangeables et l’amélioration de la compétitivité sont des processus lents qui ne pourront se matérialiser qu’à plus long terme.
Graphique 2 – Evolution des prix du secteur abrité relativement au secteur échangeable Évolution du ratio de l’indice du prix dans le secteur abrité sur l’indice de prix dans le secteur échangeable, 2009/2012. |
Note : le secteur abrité inclus les postes F (construction), K (activités financières et d'assurance), L (activités immobilières), M_N (activités spécialisées, scientifiques et techniques; activités de services administratifs et de soutien), O_Q (administration publique, défense, éducation, santé humaine et action sociale), R_U (arts, spectacles et activités récréatives; autres activités de services; activités des ménages et extra-territoriales) et le secteur échangeable les postes A (agriculture, sylviculture et pêche), B_E (industrie sauf construction), G_I (commerce, transport, hébergement et activités de restauration), J (information et communication) de la nomenclature NACE rev.2. Source : Eurostat, calcul des auteurs. |
Références :
Benjamin Carton & Karine Hervé (2013)."Is There any Rebalancing in the Euro Area?", CEPII Working Paper 2013-32, October.
Guillaume Gaulier & Vincent Vicard (2013). “The signatures of euro-area imbalances: Export performance and the composition of ULC growth”, CompNet Policy Brief n°2, ECB, July.
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[1] Dans l’esprit du taux de change d’équilibre de Williamson, ces désajustements sont mesurés par la correction du taux de change réel qui serait nécessaire pour amener le solde courant à un niveau défini comme soutenable (condition d’équilibre externe), la production étant à son niveau potentiel (condition d’équilibre interne).
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