L’OMC en quête d’un nouveau DG pour se moderniser
Alors que le processus de nomination du prochain Directeur général de l’OMC touche à sa fin, la nécessité de faire évoluer le système commercial multilatéral est pressante. Auparavant, le successeur de Pascal Lamy devra mettre un terme au cycle de Doha, quitte à accepter d’en « prendre les pertes ».
Par Sébastien Jean
Diriger une institution comme l'Organisation mondiale du commerce (OMC) est tout sauf une sinécure. Le prochain Directeur Général (DG), dont la désignation interviendra au cours du moi de mai, devra en outre affronter un contexte délicat : les négociations de Doha piétinent depuis douze ans et son entrée en fonction interviendra trois mois à peine avant une réunion ministérielle potentiellement cruciale, à Bali en décembre prochain. Prétendre que les négociations du Cycle de Doha sont encore vivantes n'est plus crédible depuis un certain temps déjà. Douze années de négociations sur le fil du rasoir, de conférences de la dernière chance et d’échéances non respectées ont fortement amoindri la vraisemblance d’un accord.
On dit souvent s’agissant d’investissements boursiers, qu’il faut savoir « prendre ses pertes », c’est-à-dire prendre acte de la perte de valeur de certains de ses actifs. Le premier défi du prochain DG pourrait bien être d’aider les Etats membres à accepter que le moment de « prendre les pertes » est venu pour les négociations de Doha. L’idéal serait bien sûr de conclure un accord, même si celui-ci est beaucoup plus limité dans sa portée et dans son ambition de ce qui a été proposé jusqu'ici : même un accord modeste serait précieux, car il permettrait de consolider un système commercial international qui, s’il est bien loin d’être parfait, est sans équivalent sur la scène internationale par sa capacité à mettre des règles communément établies au centre des arbitrages internationaux. Dénommer cet accord early harvest (récolte précoce), « paquet pour le développement », ou tout autre nom importe peu : l’important serait de pouvoir enfin faire table rase de cette négociation pour pouvoir s’atteler à la modernisation du système commercial. Beaucoup a été investi dans les négociations de Doha et les Etats membres semblaient être près de trouver un terrain d’entente sur les contours d'un accord en 2008. Mais ces négociations ne sont un atout pour le système commercial multilatéral que dans la mesure où un accord est possible ; dès lors que ce n'est plus le cas, elles deviennent un fardeau, empêchant les parties prenantes de se concentrer sur l’indispensable mise à jour du logiciel de l’OMC. C’est le deuxième défi important auquel le prochain DG devra faire face.
Une telle mise à jour nécessitera audace et ouverture d'esprit, dans la mesure où les caractéristiques et le fonctionnement de l’OMC apparaissent dépassés à plusieurs égards. Première illustration, le principe de l’engagement unique, c’est-à-dire le fait que dans la négociation d’un « cycle », rien n’est conclu tant qu’un accord n’est pas trouvé sur l’ensemble des sujets négociés. Le cycle est en quelque sorte un menu imposé, le choix à la carte est exclu. Si ce principe a pu être utile dans le passé pour éviter les stratégies de « passager clandestin », il tend maintenant à handicaper les négociations, en fixant des objectifs impossibles à atteindre. Une autre illustration est le traitement spécial et différencié : la prise en compte des fragilités des pays pauvres n’a jamais été aussi importante, mais l'approche traditionnelle est dépassée. Ne distinguer que trois catégories de pays (pays développés, pays les moins avancés –PMA– et autres pays en développement) n’a plus de sens. Les différences entre les pays en développement ne cessent de s’accroître et ne pas les prendre en compte mène à l’échec, comme en témoigne l'histoire récente, marquée notamment par l’incapacité du système en vigueur à permettre un échange acceptable de concessions entre pays développés et économies émergentes.
Le contenu de l'agenda de négociation doit lui aussi être repensé. Dans le secteur manufacturier, il faut prendre en compte le nouveau statut des pays émergents et l'importance des chaînes de valeur mondiales et régionales. Concernant l'agriculture, le système commercial multilatéral ne sera reconnu légitime que s’il contribue de manière significative à la sécurité alimentaire. Lutter contre le risque d’une offre excédentaire à grande échelle ou contre des prix bas ne peut constituer le principal - pour ne pas dire l’unique – objet des règles commerciales, même si l’on sait pertinemment que les prix agricoles ne resteront pas éternellement élevés. La seule approche cohérente est ici d’éviter autant que possible de perturber les mécanismes d'ajustement par le jeu des forces de marché, quelle que soit leur direction. Traduire, de manière appropriée, cette approche générale en de nouvelles règles devrait être une priorité, même si cela est difficile.
Un dernier défi de taille est de créer un climat intellectuel plus favorable, ce qui nécessite de soutenir des analyses solides et une information de qualité –et de s’appuyer davantage dessus pour les prises de décision. Malgré certaines réserves, les analyses économiques ont largement documenté les bénéfices de la libéralisation commerciale. Mais les réalités économiques et les mécanismes sous-jacents se complexifient sans cesse, et il est bien connu que les gains tirés du commerce sont diffus, alors que les coûts d'une concurrence internationale accrue sont plus concentrés et donc plus facilement identifiables. Dans ce contexte, des études détaillées des politiques commerciales et de leurs conséquences peuvent s’avérer précieuses pour tirer le meilleur parti des options politiques disponibles. Un rôle important du nouveau DG sera de faciliter de telles analyses et de combler le fossé entre la recherche académique et la décision politique. Les restrictions à l'exportation en sont un bon exemple : plusieurs études ont montré que de tels outils, initialement présentés comme visant à stabiliser les prix, peuvent finalement avoir d’importants effets déstabilisateurs à l'échelle mondiale, même si leur utilisation ne doit pas nécessairement être exclue pour les pays les plus pauvres. Les mesures non tarifaires en sont une autre illustration : leur nature et leurs objectifs sont si variés que caractériser avec précision leurs conséquences économiques et trouver un équilibre raisonnable entre leurs coûts et leurs bénéfices nécessitent des études poussées. Plus largement, la recherche est essentielle à la réflexion sur la légitimité des règles qui régissent le commerce international en permettant d'aller au-delà de l'analyse simpliste des impacts commerciaux. Le recours croissant à des analyses scientifiques lors du règlement des différends compte parmi les apports les plus importants de l'OMC à ce jour. Promouvoir la prise de décision fondée sur des faits et des mécanismes solidement établis est un ingrédient clé pour espérer faire avancer les discussions sur des questions complexes, entre des partenaires nombreux et divers.
On dit souvent s’agissant d’investissements boursiers, qu’il faut savoir « prendre ses pertes », c’est-à-dire prendre acte de la perte de valeur de certains de ses actifs. Le premier défi du prochain DG pourrait bien être d’aider les Etats membres à accepter que le moment de « prendre les pertes » est venu pour les négociations de Doha. L’idéal serait bien sûr de conclure un accord, même si celui-ci est beaucoup plus limité dans sa portée et dans son ambition de ce qui a été proposé jusqu'ici : même un accord modeste serait précieux, car il permettrait de consolider un système commercial international qui, s’il est bien loin d’être parfait, est sans équivalent sur la scène internationale par sa capacité à mettre des règles communément établies au centre des arbitrages internationaux. Dénommer cet accord early harvest (récolte précoce), « paquet pour le développement », ou tout autre nom importe peu : l’important serait de pouvoir enfin faire table rase de cette négociation pour pouvoir s’atteler à la modernisation du système commercial. Beaucoup a été investi dans les négociations de Doha et les Etats membres semblaient être près de trouver un terrain d’entente sur les contours d'un accord en 2008. Mais ces négociations ne sont un atout pour le système commercial multilatéral que dans la mesure où un accord est possible ; dès lors que ce n'est plus le cas, elles deviennent un fardeau, empêchant les parties prenantes de se concentrer sur l’indispensable mise à jour du logiciel de l’OMC. C’est le deuxième défi important auquel le prochain DG devra faire face.
Une telle mise à jour nécessitera audace et ouverture d'esprit, dans la mesure où les caractéristiques et le fonctionnement de l’OMC apparaissent dépassés à plusieurs égards. Première illustration, le principe de l’engagement unique, c’est-à-dire le fait que dans la négociation d’un « cycle », rien n’est conclu tant qu’un accord n’est pas trouvé sur l’ensemble des sujets négociés. Le cycle est en quelque sorte un menu imposé, le choix à la carte est exclu. Si ce principe a pu être utile dans le passé pour éviter les stratégies de « passager clandestin », il tend maintenant à handicaper les négociations, en fixant des objectifs impossibles à atteindre. Une autre illustration est le traitement spécial et différencié : la prise en compte des fragilités des pays pauvres n’a jamais été aussi importante, mais l'approche traditionnelle est dépassée. Ne distinguer que trois catégories de pays (pays développés, pays les moins avancés –PMA– et autres pays en développement) n’a plus de sens. Les différences entre les pays en développement ne cessent de s’accroître et ne pas les prendre en compte mène à l’échec, comme en témoigne l'histoire récente, marquée notamment par l’incapacité du système en vigueur à permettre un échange acceptable de concessions entre pays développés et économies émergentes.
Le contenu de l'agenda de négociation doit lui aussi être repensé. Dans le secteur manufacturier, il faut prendre en compte le nouveau statut des pays émergents et l'importance des chaînes de valeur mondiales et régionales. Concernant l'agriculture, le système commercial multilatéral ne sera reconnu légitime que s’il contribue de manière significative à la sécurité alimentaire. Lutter contre le risque d’une offre excédentaire à grande échelle ou contre des prix bas ne peut constituer le principal - pour ne pas dire l’unique – objet des règles commerciales, même si l’on sait pertinemment que les prix agricoles ne resteront pas éternellement élevés. La seule approche cohérente est ici d’éviter autant que possible de perturber les mécanismes d'ajustement par le jeu des forces de marché, quelle que soit leur direction. Traduire, de manière appropriée, cette approche générale en de nouvelles règles devrait être une priorité, même si cela est difficile.
Un dernier défi de taille est de créer un climat intellectuel plus favorable, ce qui nécessite de soutenir des analyses solides et une information de qualité –et de s’appuyer davantage dessus pour les prises de décision. Malgré certaines réserves, les analyses économiques ont largement documenté les bénéfices de la libéralisation commerciale. Mais les réalités économiques et les mécanismes sous-jacents se complexifient sans cesse, et il est bien connu que les gains tirés du commerce sont diffus, alors que les coûts d'une concurrence internationale accrue sont plus concentrés et donc plus facilement identifiables. Dans ce contexte, des études détaillées des politiques commerciales et de leurs conséquences peuvent s’avérer précieuses pour tirer le meilleur parti des options politiques disponibles. Un rôle important du nouveau DG sera de faciliter de telles analyses et de combler le fossé entre la recherche académique et la décision politique. Les restrictions à l'exportation en sont un bon exemple : plusieurs études ont montré que de tels outils, initialement présentés comme visant à stabiliser les prix, peuvent finalement avoir d’importants effets déstabilisateurs à l'échelle mondiale, même si leur utilisation ne doit pas nécessairement être exclue pour les pays les plus pauvres. Les mesures non tarifaires en sont une autre illustration : leur nature et leurs objectifs sont si variés que caractériser avec précision leurs conséquences économiques et trouver un équilibre raisonnable entre leurs coûts et leurs bénéfices nécessitent des études poussées. Plus largement, la recherche est essentielle à la réflexion sur la légitimité des règles qui régissent le commerce international en permettant d'aller au-delà de l'analyse simpliste des impacts commerciaux. Le recours croissant à des analyses scientifiques lors du règlement des différends compte parmi les apports les plus importants de l'OMC à ce jour. Promouvoir la prise de décision fondée sur des faits et des mécanismes solidement établis est un ingrédient clé pour espérer faire avancer les discussions sur des questions complexes, entre des partenaires nombreux et divers.