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Le choc de la hausse de la TVA au Japon risque-t-il de faire dérailler les « Abenomics » ?

Si la politique monétaire et budgétaire de Shinzo Abe a été relativement efficace en 2013 avec une accélération de la croissance et la sortie progressive de la déflation, la hausse de la TVA en avril 2014, nécessitée par la dette publique colossale, a donné un coup de frein à l’embellie économique.
Par Evelyne Dourille-Feer
 Billet du 13 août 2014


Dès son accession au pouvoir, Shinzo Abe s’est attelé à la relance de la croissance en imposant à la Banque du Japon sa vision d’une politique monétaire ultra-expansive pour sortir d’une longue période de déflation (baisse des prix de 0,3 % par an entre 1998 et 2012), délétère pour l’économie [1]. Cette politique s’est doublée de dépenses budgétaires élevées pour soutenir la demande jusqu’à ce que le secteur privé, dynamisé par la demande publique et les réformes structurelles et institutionnelles, devienne le moteur d’une croissance économique durable. En 2013, de premiers résultats positifs ont été engrangés (hausse de l’inflation, baisse du yen, accélération de la croissance grâce à la fermeté de la consommation des ménages et à l’augmentation des investissements publics, baisse du chômage…). Mais le maintien de l’objectif de consolidation budgétaire, nécessité par la dette publique colossale (224,6 % du PIB en 2013), s’est traduit par le passage de la TVA de 5 % à 8 % en avril 2014. Le choc sur l’économie est rude. Fera-t-il pour autant dérailler l’économie japonaise ?

Une contraction du PIB plus élevée qu’en 1997

Lors de la précédente hausse de la TVA de 3 % à 5 % en avril 1997, le PIB trimestriel réel s’était contracté de 3,5 % en rythme annualisé au deuxième trimestre, sous la pression du recul de la consommation (- 13,3 %) et de l’investissement résidentiel (- 37,8 %). Ce choc sur l’économie avait été amplifié par des mesures fiscales réduisant les revenus des ménages (graphique 1).

Shinzo Abe a montré qu’il avait retenu cette leçon de l’histoire en accompagnant la nouvelle hausse de la TVA d’un plan de soutien public à l’économie, voté en février 2014. Néanmoins, le recul de l’économie entre le premier et le deuxième trimestre a été nettement plus marqué en 2014 qu’en 1997 (graphique 1). Le premier facteur explicatif est que l’augmentation des dépenses d’anticipation de la hausse de la TVA (consommation des ménages et investissements logements, investissement des entreprises) au premier trimestre 2014 a été si élevée que le PIB trimestriel a progressé plus de deux fois plus vite qu’en 1997. Au second trimestre, l’investissement résidentiel a reculé un peu moins en 2014 qu’en 1997 (- 35,3%) mais la consommation des ménages s’est contractée plus violemment (- 19,2 % en rythme annualisé). De surcroît, l’investissement des entreprises et les exportations ont baissé alors que ces postes avaient progressé en 1997. Ces différents éléments expliquent la forte chute de la croissance japonaise entre avril et juin 2014.

Quelles retombées sur la croissance future?

Si l’augmentation de la TVA a dopé la croissance du premier trimestre 2014 et lourdement pesé sur le second trimestre, peut-elle casser la reprise de la croissance et plonger l’économie japonaise dans la récession comme en 1998 ?

Ce n’est pas la tendance tracée par l’ESP Forecast [2] qui prévoit un rebond au troisième trimestre puis une poursuite de la croissance au quatrième trimestre 2014 contrairement à 1997 (graphique 1) ainsi qu’un taux de croissance du PIB réel proche de 1 % en 2015 (- 2 % en 1998).

Différents indicateurs pointent les prémisses d’un rebond. Depuis mai, l’indice de confiance des consommateurs est redevenu positif. En juin et juillet [3], l’investissement des entreprises et la consommation ont amorcé un mouvement de reprise. De surcroît, le Business Outlook Survey [4] et l’enquête Tankan anticipent un redressement du climat des affaires dès cet été pour les grandes entreprises manufacturières. Enfin, même si ces deux enquêtes font état de perspectives de ralentissement des investissements entre octobre 2014 et mars 2015, deux facteurs contribueront à inverser ce mouvement : la nécessité de renouveler des équipements dont l’âge moyen est élevé (15 ans) et le fait que le cycle du stock de capital a atteint un point bas fin 2013 avec un niveau d’investissement calibré sur une anticipation de croissance nulle. Comme l’économie japonaise doit surtout compter sur ses moteurs internes de croissance en 2014, avec des importations d’énergie importantes pour compenser l’arrêt des réacteurs nucléaires et des exportations dépendantes d’une conjoncture incertaine (Pays émergents, Europe, États-Unis) et moins porteuses structurellement (délocalisations d’unités productives, moindre compétitivité des entreprises japonaises…), l’évolution des salaires réels et de l’investissement des entreprises sera cruciale pour l’économie. D’autant plus cruciale que le pouvoir d’achat des consommateurs s’érode avec des salaires réels en baisse dans le contexte d’un indice des prix à la consommation hors loyers imputés aux logements occupés par leurs propriétaires qui a augmenté d’environ 2 % pendant huit mois consécutifs depuis novembre 2013, même hors effet augmentation de la TVA.


Graphique 1 : Contribution à la croissance du PIB et croissance trimestrielle du PIB
(Données trimestrielles annualisées)



Sources: ESRI SNA, 13 août 2014, T2: données préliminaires, T3 –T4: ESP Forecast August 2014.

 

[1] Voir Evelyne Dourille-Feer et Urszula Szczerbowicz, "Succès et risques des Abenomics", Lettre du CEPII n°344, mai 2014 et Evelyne Dourille-Feer, "L’expérience originale des Abenomics" in Economie mondiale 2015, à paraître en septembre 2014.
 
[2] Consensus Forecast japonais.
 
[3] Cabinet Office, Monthly Economic Report, June and July 2014.
 
[4] L’enquête “Business Outlook Survey” est conduite par le ministère des Finances et l’enquête « Tankan » par la Banque du Japon.

Politique économique 
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