La baisse de l’euro s’annonce durable et profitable pour les économies de la zone
Longtemps attendu par nombre de décideurs publics, le mouvement de dépréciation de l’euro semble bien enclenché depuis le printemps. Il y a tout lieu de penser qu’il est appelé à durer un certain temps encore, et aura des effets positifs sur la croissance de la zone.
Par Jérôme Héricourt
Entre mars et octobre 2014, la monnaie européenne a perdu 5 % de sa valeur par rapport à l’ensemble de ses partenaires commerciaux ; s’agissant du dollar américain, la chute atteint plus de 10 % par rapport au pic de 1,3927 dollars atteint début mai : mi-novembre, l’euro cote en dessous de 1,25 dollars. Cette baisse suscite un certain nombre d’interrogations et d’analyses parfois contradictoires, tant concernant le temps que ce mouvement est appelé à durer que les conséquences à en attendre.
Des conditions favorables pour une baisse durable
Deux conditions majeures, d’ailleurs interdépendantes, sont réunies pour installer cette dépréciation dans la durée. Tout d’abord, la faiblesse persistante de la croissance dans la zone euro pousse la devise européenne à la baisse, notamment par rapport au dollar : les dernières prévisions (octobre 2014) du FMI font état d’une croissance attendue à + 0,8 % en 2014 et + 1,3 % en 2015 pour la zone euro, contre respectivement + 2,2 %et + 3,1 % pour les États-Unis. Logiquement, les directions prises par les politiques monétaires divergent. Tandis que la Réserve Fédérale a annoncé fin octobre qu’elle mettait fin aux politiques d’assouplissement quantitatif mises en place en 2008 afin de soutenir l’économie américaine, et alors que la perspective d’une hausse des taux des Fed funds se rapproche, la BCE a clairement laissé entendre qu’elle maintiendrait pour encore longtemps ses taux d’intérêt proches de zéro et envisageait même de nouvelles mesures d’assouplissement quantitatif pour faire face à la faiblesse de l’inflation en zone euro. Croissance faible et politique monétaire très expansive pour une période de temps encore indéterminée concourent toutes deux à créer des pressions à la baisse durable sur l’euro. Il convient néanmoins de garder présent à l’esprit que l’excédent courant déjà élevé de la zone euro (+ 2,5 % du PIB de la zone environ) limitera le potentiel de baisse supplémentaire de la devise européenne. L’euro ne peut en effet pas se déprécier beaucoup plus sans provoquer des déséquilibres importants, qui ne manqueront pas de susciter des réactions de la part de nos partenaires.
Un effet positif non-négligeable sur l’activité économique
Une dépréciation du taux de change améliore la compétitivité-prix des produits exportés, permettant un accroissement des exportations (et/ou des marges des exportateurs), avec à la clé un impact positif sur le PIB. Depuis quelques temps, cette analyse se trouve remise en cause par deux types d’arguments.
Tout d’abord, la désindustrialisation à l’œuvre dans la plupart des économies de la zone euro les rendrait moins sensibles aux variations du taux de change. Outre que cette analyse est curieuse dans la mesure où les produits manufacturés continuent à représenter une part considérable des flux d’échanges commerciaux de la zone euro, elle est infirmée par les estimations sur données d’entreprise. Dans la Lettre du CEPII de janvier 2014[1], nous avons examiné, sur la période 1995-2010, comment le taux de change affecte les exportations des firmes françaises. Il apparaît qu’une dépréciation de l’euro de 10 % entraîne une hausse des exportations en valeur comprise entre 6 % et 7 %. Ce chiffre est très proche de celui utilisé par un grand nombre de modèles de prévision, comme le soulignent Ducoudré et Heyer dans une étude très récente de l’OFCE[2], et leurs propres estimations aboutissent d’ailleurs à un chiffre très proche du nôtre. Les preuves empiriques produites par l’analyse de données très fines ne permettent donc en aucune façon d’accréditer l’idée d’une « perte de sensibilité des exportations » au taux de change, au moins dans le cas français.
Second argument, la hausse du prix des biens importés viendrait annuler l’effet positif issu du gain de compétitivité à l’exportation, surtout dans un contexte d’internationalisation croissante des chaînes de valeur. Nos propres estimations confirment qu’effectivement, la même dépréciation de l’euro de 10 % augmente les valeurs unitaires des biens manufacturés importés par les entreprises d’environ 2 % à 3 %, sans baisse évidente des volumes. Néanmoins, rien ne permet d’affirmer que ce renchérissement des produits importés est suffisant pour annuler les bénéfices à court terme d’une dépréciation du taux de change. Dans le cas de la France, le modèle Mésange[3] prédit qu’une baisse de 10 % du taux de change effectif (le taux de change moyen par rapport à un ensemble de partenaires commerciaux) de l’euro permettrait d’accroître le PIB de 0,6 % la première année et de 1 % l’année suivante. Moins optimiste, l’OFCE[4] estime tout de même que l’effet sur l’activité de la même dépréciation serait de + 0,2 % la première année et de + 0,5 % la suivante. Vu le niveau actuel de la croissance de la zone euro, cela n’est pas à négliger. Soulignons en outre que l’impact du renchérissement des importations sur le niveau général des prix est limité par la baisse des prix de l’énergie, en particulier celle du pétrole, observée depuis quelques mois. Si en dépit de cette dernière, il demeure un peu d’inflation importée, elle sera bienvenue dans le contexte actuel de risque de déflation.
Quelle que soit l’ampleur (réelle ou supposée) des différences entre secteurs ou pays de la zone euro, l’impact est positif pour tous.
Enfin, il est également très fréquent d’entendre que la baisse de l’euro aurait des conséquences très différentes selon les secteurs d’activité ou les pays de la zone euro concernés. Sur le premier point, les estimations présentées dans la Lettre du CEPII de janvier 2014 mettent en évidence des écarts non négligeables, mais somme toute limités pour la France. Par exemple, les exportations (en valeur) des firmes du secteur automobile augmentent en moyenne de 8,4 % en cas d’une dépréciation du taux de change de 10 %, celle des firmes de l’agroalimentaire de 4,6 % seulement. Dans une grande majorité des secteurs néanmoins, et en particulier dans le premier secteur exportateur qu’est la chimie, la réaction des valeurs exportées d’une firme moyenne se situe entre + 5 % et + 7,5 %, très proche donc de la réaction moyenne mise en évidence au niveau global.
Quant aux réactions des différents pays membres de la zone euro, le débat est souvent exagérément ramené au seul cas de l’Allemagne. Cette dernière bénéficierait beaucoup moins que les autres de la baisse de l’euro, ou en serait même pénalisée, du fait du positionnement sur le haut de gamme de ses exportations (supposées les rendre moins sensibles aux variations de prix, ce qui, à notre connaissance, n’a jamais été démontré de façon rigoureuse) et de la forte internationalisation de sa chaîne de production (la surexposant au renchérissement des produits importés). Là encore, rien ne permet de confirmer cette assertion, les études empiriques existantes tendant à montrer dans leur quasi-totalité que les exportations allemandes réagissent aux variations de change dans des proportions voisines ou légèrement inférieures à celle de la France (voir l’étude déjà citée de Ducoudré et Heyer, qui proposent un tour d’horizon sur le sujet ; Thorbecke et Kato[5] estiment qu’une dépréciation de l’euro de 10 % entraîne un accroissement de la valeur des exportations allemandes compris entre 6 % et 15 %).
Il est tout à fait plausible que certains pays de la zone euro profitent davantage de la dépréciation de l’euro que d’autres. Il demeure néanmoins qu’en l’état actuel des études empiriques, il ne semble pas fondé d’affirmer que la baisse de l’euro pourrait ne pas profiter du tout à certains pays de la zone euro, voire être néfaste pour certains d’entre eux, comme l’Allemagne. De même, l’idée selon laquelle la dépréciation de l’euro aurait un impact de plus en plus en plus réduit sur la croissance du PIB, pour les raisons évoquées plus haut, ne nous semble pas davantage pertinente. Il y a tout lieu de penser que la baisse en cours de l’euro est appelée à durer un certain temps encore, et aura des effets positifs sur la croissance de la zone. Par les temps qui courent, c’est incontestablement une bonne nouvelle.
Des conditions favorables pour une baisse durable
Deux conditions majeures, d’ailleurs interdépendantes, sont réunies pour installer cette dépréciation dans la durée. Tout d’abord, la faiblesse persistante de la croissance dans la zone euro pousse la devise européenne à la baisse, notamment par rapport au dollar : les dernières prévisions (octobre 2014) du FMI font état d’une croissance attendue à + 0,8 % en 2014 et + 1,3 % en 2015 pour la zone euro, contre respectivement + 2,2 %et + 3,1 % pour les États-Unis. Logiquement, les directions prises par les politiques monétaires divergent. Tandis que la Réserve Fédérale a annoncé fin octobre qu’elle mettait fin aux politiques d’assouplissement quantitatif mises en place en 2008 afin de soutenir l’économie américaine, et alors que la perspective d’une hausse des taux des Fed funds se rapproche, la BCE a clairement laissé entendre qu’elle maintiendrait pour encore longtemps ses taux d’intérêt proches de zéro et envisageait même de nouvelles mesures d’assouplissement quantitatif pour faire face à la faiblesse de l’inflation en zone euro. Croissance faible et politique monétaire très expansive pour une période de temps encore indéterminée concourent toutes deux à créer des pressions à la baisse durable sur l’euro. Il convient néanmoins de garder présent à l’esprit que l’excédent courant déjà élevé de la zone euro (+ 2,5 % du PIB de la zone environ) limitera le potentiel de baisse supplémentaire de la devise européenne. L’euro ne peut en effet pas se déprécier beaucoup plus sans provoquer des déséquilibres importants, qui ne manqueront pas de susciter des réactions de la part de nos partenaires.
Un effet positif non-négligeable sur l’activité économique
Une dépréciation du taux de change améliore la compétitivité-prix des produits exportés, permettant un accroissement des exportations (et/ou des marges des exportateurs), avec à la clé un impact positif sur le PIB. Depuis quelques temps, cette analyse se trouve remise en cause par deux types d’arguments.
Tout d’abord, la désindustrialisation à l’œuvre dans la plupart des économies de la zone euro les rendrait moins sensibles aux variations du taux de change. Outre que cette analyse est curieuse dans la mesure où les produits manufacturés continuent à représenter une part considérable des flux d’échanges commerciaux de la zone euro, elle est infirmée par les estimations sur données d’entreprise. Dans la Lettre du CEPII de janvier 2014[1], nous avons examiné, sur la période 1995-2010, comment le taux de change affecte les exportations des firmes françaises. Il apparaît qu’une dépréciation de l’euro de 10 % entraîne une hausse des exportations en valeur comprise entre 6 % et 7 %. Ce chiffre est très proche de celui utilisé par un grand nombre de modèles de prévision, comme le soulignent Ducoudré et Heyer dans une étude très récente de l’OFCE[2], et leurs propres estimations aboutissent d’ailleurs à un chiffre très proche du nôtre. Les preuves empiriques produites par l’analyse de données très fines ne permettent donc en aucune façon d’accréditer l’idée d’une « perte de sensibilité des exportations » au taux de change, au moins dans le cas français.
Second argument, la hausse du prix des biens importés viendrait annuler l’effet positif issu du gain de compétitivité à l’exportation, surtout dans un contexte d’internationalisation croissante des chaînes de valeur. Nos propres estimations confirment qu’effectivement, la même dépréciation de l’euro de 10 % augmente les valeurs unitaires des biens manufacturés importés par les entreprises d’environ 2 % à 3 %, sans baisse évidente des volumes. Néanmoins, rien ne permet d’affirmer que ce renchérissement des produits importés est suffisant pour annuler les bénéfices à court terme d’une dépréciation du taux de change. Dans le cas de la France, le modèle Mésange[3] prédit qu’une baisse de 10 % du taux de change effectif (le taux de change moyen par rapport à un ensemble de partenaires commerciaux) de l’euro permettrait d’accroître le PIB de 0,6 % la première année et de 1 % l’année suivante. Moins optimiste, l’OFCE[4] estime tout de même que l’effet sur l’activité de la même dépréciation serait de + 0,2 % la première année et de + 0,5 % la suivante. Vu le niveau actuel de la croissance de la zone euro, cela n’est pas à négliger. Soulignons en outre que l’impact du renchérissement des importations sur le niveau général des prix est limité par la baisse des prix de l’énergie, en particulier celle du pétrole, observée depuis quelques mois. Si en dépit de cette dernière, il demeure un peu d’inflation importée, elle sera bienvenue dans le contexte actuel de risque de déflation.
Quelle que soit l’ampleur (réelle ou supposée) des différences entre secteurs ou pays de la zone euro, l’impact est positif pour tous.
Enfin, il est également très fréquent d’entendre que la baisse de l’euro aurait des conséquences très différentes selon les secteurs d’activité ou les pays de la zone euro concernés. Sur le premier point, les estimations présentées dans la Lettre du CEPII de janvier 2014 mettent en évidence des écarts non négligeables, mais somme toute limités pour la France. Par exemple, les exportations (en valeur) des firmes du secteur automobile augmentent en moyenne de 8,4 % en cas d’une dépréciation du taux de change de 10 %, celle des firmes de l’agroalimentaire de 4,6 % seulement. Dans une grande majorité des secteurs néanmoins, et en particulier dans le premier secteur exportateur qu’est la chimie, la réaction des valeurs exportées d’une firme moyenne se situe entre + 5 % et + 7,5 %, très proche donc de la réaction moyenne mise en évidence au niveau global.
Quant aux réactions des différents pays membres de la zone euro, le débat est souvent exagérément ramené au seul cas de l’Allemagne. Cette dernière bénéficierait beaucoup moins que les autres de la baisse de l’euro, ou en serait même pénalisée, du fait du positionnement sur le haut de gamme de ses exportations (supposées les rendre moins sensibles aux variations de prix, ce qui, à notre connaissance, n’a jamais été démontré de façon rigoureuse) et de la forte internationalisation de sa chaîne de production (la surexposant au renchérissement des produits importés). Là encore, rien ne permet de confirmer cette assertion, les études empiriques existantes tendant à montrer dans leur quasi-totalité que les exportations allemandes réagissent aux variations de change dans des proportions voisines ou légèrement inférieures à celle de la France (voir l’étude déjà citée de Ducoudré et Heyer, qui proposent un tour d’horizon sur le sujet ; Thorbecke et Kato[5] estiment qu’une dépréciation de l’euro de 10 % entraîne un accroissement de la valeur des exportations allemandes compris entre 6 % et 15 %).
Il est tout à fait plausible que certains pays de la zone euro profitent davantage de la dépréciation de l’euro que d’autres. Il demeure néanmoins qu’en l’état actuel des études empiriques, il ne semble pas fondé d’affirmer que la baisse de l’euro pourrait ne pas profiter du tout à certains pays de la zone euro, voire être néfaste pour certains d’entre eux, comme l’Allemagne. De même, l’idée selon laquelle la dépréciation de l’euro aurait un impact de plus en plus en plus réduit sur la croissance du PIB, pour les raisons évoquées plus haut, ne nous semble pas davantage pertinente. Il y a tout lieu de penser que la baisse en cours de l’euro est appelée à durer un certain temps encore, et aura des effets positifs sur la croissance de la zone. Par les temps qui courent, c’est incontestablement une bonne nouvelle.
[3] Direction générale du Trésor (2014), Rapport économique, social et financier pour 2014, tome I, p. 54.
[4] Ibid.
[5] W. Thorbecke et A. Kato, (2012) “The Effect of Exchange Rate Changes on Germany’s Exports”, RIETI Discussion Paper Series 12-E-081.