La partie de Go des Chinois dans le système financier international
Le ralliement récent de grands pays occidentaux au projet de banque asiatique de financement des infrastructures illustre la pertinence de l’analogie entre la diplomatie chinoise et le jeu de Go – qui vise à patiemment placer des pions pour étouffer ses adversaires et conquérir des territoires.
Par Christophe Destais
Le ralliement récent de tous les grands pays occidentaux, à l’exception des Etats-Unis, du Japon et du Canada, au projet de banque asiatique de financement des infrastructures (Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB)) illustre à nouveau la pertinence de l’analogie entre la diplomatie chinoise et le jeu de Go – qui vise à patiemment placer des pions pour étouffer ses adversaires et conquérir des territoires.
Il ne s’agit pour l’instant que de participer à des négociations en vue de rédiger le texte fondateur de la nouvelle institution financière internationale mais on sait déjà que son siège sera à Pékin et que son capital pourra monter jusqu’à 100 milliards de dollars.
Le ralliement des occidentaux s’est opéré malgré l’opposition affichée des Etats-Unis qui –fait rare- ont exprimé publiquement leur hostilité à une décision prise par le Royaume-Uni en matière de politique internationale.
Les Etats-Unis ont motivé cette opposition par deux motifs.
Le premier est que la banque promue par la Chine fera concurrence aux institutions issues des accords de Bretton-Woods en juillet 1944, comme le FMI et la Banque Mondiale, ou leur émanation régionale en Asie, la Banque Asiatique de Développement, qu’ils dominent.
Le second est que les financements de l’AIIB ne respecteront pas des normes satisfaisantes en matière de gouvernance ou d’environnement.
Dans la mesure où l’institution n’est pas encore formellement créée, il s’agit dans les deux cas d’un procès d’intention, ce qui a considérablement affaibli la portée des arguments américains.
Les besoins de financement d’infrastructure dans les pays d’Asie en développement (évalués à 8000 milliards de dollars par la BAD) sont tels qu’il y a de la place pour plusieurs institutions multilatérales et les Chinois ont beau jeu d’inviter les pays occidentaux à participer à la négociation du traité fondateur de la AIIB pour en influencer le résultat, même si certaines pratiques des institutions de financement bilatérales chinoises sont critiquées.
Du côté des Européens, la décision de participer au projet chinois a également pu obéir à des considérations politiques et économiques. Les Chinois ont ainsi pu jouer sur la crainte, réelle ou infondée, de rétorsions diplomatiques ou économiques. Qu’adviendrait-il en particulier de la participation des entreprises des pays qui refusent d’investir dans le capital de l’AIIB aux projets financés par cette dernière ou à ses émissions obligataires ? Ces mêmes entreprises devraient-elles courir le risque de subir des discriminations sur le marché intérieur chinois ?
Ce coup magistral joué par les Chinois va-t-il pour autant affaiblir un système financier mondial encore largement dominé par les Etats-Unis ? La réponse mérite d’être nuancée.
D’abord, l’AIIB n’est pas le seul « pion » dans le jeu de la Chine. Elle en dispose d’autres dont le degré de conflictualité avec les Etats-Unis est variable.
Dans les années 2000, la Chine a participé avec le Japon aux initiatives régionales qui, à la suite de la crise asiatique, visaient à mettre en commun une partie des réserve de change (la Chiang Mai Initiative devenue la Chiang Mai Initiative Multilateralized) et à développer les marchés obligataires locaux (Asian Development Bond Initiative).
L’année dernière, la Chine a joué un rôle important dans la décision des BRICS de créer leur propre banque de développement, la New Development Bank, et un mécanisme de partage d’une partie des réserves de change, le Currency Reserve Agreement (CRA).
La puissance économique et financière acquise par la Chine et l’asymétrie entre cette dernière et ses autres partenaires des BRICS contribueront à faire de la NDB et du CRA, s’ils se déploient réellement, ce qui n’est pas encore attesté, des outils d’influence chinoise.
Face à ce dispositif les institutions de Bretton Woods sont affaiblies, le FMI, tout particulièrement. L’augmentation des ressources de ce dernier et l’accroissement modéré du rôle joué par les pays émergents dans sa gouvernance, décidés lors du G20 de Séoul en 2010, n’ont toujours pas été ratifiés par le Sénat américain. Le fond a concentré l’essentiel de ses financements à la crise de la zone Euro laquelle avait pourtant les moyens –mais pas la volonté- de la traiter elle-même. Il a même fait pour la Grèce des exceptions à ses règles qui avaient été appliquées dans toutes leur rigueur lorsqu’il était intervenu en Asie à la fin des années 90. Les Européens et les Américains n’ont, par ailleurs, toujours pas consenti à revenir sur le partage entre-eux des postes de directeur général de chacune des institutions qui a eu lieu en 1944.
Une partie de Go se termine quand un des joueurs ne peut plus poser un pion sans être directement menacé par l’adversaire.
Ce n’est pas la situation des américains qui dominent encore largement la finance internationale au travers de leur monnaie, de leur banque centrale qui alimente le monde en liquidité, et de leurs grandes banques.
De son côté, malgré ses ressources très importantes, la Chine est encore très loin d’avoir tous les attributs d’une puissance monétaire et financière mondiale. La manière à la fois volontariste mais progressive avec laquelle elle procède à l’internationalisation de sa monnaie, le Yuan, en témoigne. Elle sait que toute remise en cause brutale de l’ordre existant pourrait être une source d’instabilité qui lui serait préjudiciable.
Or, le FMI et la Banque Mondiale, de concert avec la Banque des Règlements Internationaux (BRI) et le Conseil de Stabilité Financière (CSF) dont la Chine est également membre, contribuent à la production d’un ordre public monétaire et financier international dont la nécessité est vraisemblablement reconnue à Pékin.
Dans ce contexte, la Chine utilise son projet de banque asiatique d’abord pour consolider ses intérêts dans la région (notamment contribuer aux projets de « route de la soie », qui lui permettront de mieux intégrer son économie et celles d’Asie centrale et du Sud et assurer le financement de projets à l’étranger qui serviraient d’exutoires à une industrie de production d’infrastructures en surcapacité) et, accessoirement, pour affaiblir la position dominante des américains sur les institutions financières internationales.
Plutôt que de jouer un combat perdu d’avance, les occidentaux n’ont pas d’autre choix que de donner à la Chine des gages d’une volonté d’avancer ensemble tout en lui témoignant de leur vigilance. Cela commencerait par un déblocage de la réforme de la gouvernance du FMI, dont les américains détiennent la clé, et l’établissement d’ un calendrier précis de l’intégration du Yuan chinois au panier de devises utilisé pour le calcul de l’unité de compte du FMI, les droits de tirages spéciaux (DTS) dont les critères avaient été définis au sommet du G20 de Cannes en 2011. A terme, favoriser les cofinancements entre l’AIIB et les institutions de Bretton Woods ou les banques de développement régionales serait une manière de tester la bonne volonté chinoise en matière de choix des projets et de standards de gouvernance.
Il ne s’agit pour l’instant que de participer à des négociations en vue de rédiger le texte fondateur de la nouvelle institution financière internationale mais on sait déjà que son siège sera à Pékin et que son capital pourra monter jusqu’à 100 milliards de dollars.
Le ralliement des occidentaux s’est opéré malgré l’opposition affichée des Etats-Unis qui –fait rare- ont exprimé publiquement leur hostilité à une décision prise par le Royaume-Uni en matière de politique internationale.
Les Etats-Unis ont motivé cette opposition par deux motifs.
Le premier est que la banque promue par la Chine fera concurrence aux institutions issues des accords de Bretton-Woods en juillet 1944, comme le FMI et la Banque Mondiale, ou leur émanation régionale en Asie, la Banque Asiatique de Développement, qu’ils dominent.
Le second est que les financements de l’AIIB ne respecteront pas des normes satisfaisantes en matière de gouvernance ou d’environnement.
Dans la mesure où l’institution n’est pas encore formellement créée, il s’agit dans les deux cas d’un procès d’intention, ce qui a considérablement affaibli la portée des arguments américains.
Les besoins de financement d’infrastructure dans les pays d’Asie en développement (évalués à 8000 milliards de dollars par la BAD) sont tels qu’il y a de la place pour plusieurs institutions multilatérales et les Chinois ont beau jeu d’inviter les pays occidentaux à participer à la négociation du traité fondateur de la AIIB pour en influencer le résultat, même si certaines pratiques des institutions de financement bilatérales chinoises sont critiquées.
Du côté des Européens, la décision de participer au projet chinois a également pu obéir à des considérations politiques et économiques. Les Chinois ont ainsi pu jouer sur la crainte, réelle ou infondée, de rétorsions diplomatiques ou économiques. Qu’adviendrait-il en particulier de la participation des entreprises des pays qui refusent d’investir dans le capital de l’AIIB aux projets financés par cette dernière ou à ses émissions obligataires ? Ces mêmes entreprises devraient-elles courir le risque de subir des discriminations sur le marché intérieur chinois ?
Ce coup magistral joué par les Chinois va-t-il pour autant affaiblir un système financier mondial encore largement dominé par les Etats-Unis ? La réponse mérite d’être nuancée.
D’abord, l’AIIB n’est pas le seul « pion » dans le jeu de la Chine. Elle en dispose d’autres dont le degré de conflictualité avec les Etats-Unis est variable.
Dans les années 2000, la Chine a participé avec le Japon aux initiatives régionales qui, à la suite de la crise asiatique, visaient à mettre en commun une partie des réserve de change (la Chiang Mai Initiative devenue la Chiang Mai Initiative Multilateralized) et à développer les marchés obligataires locaux (Asian Development Bond Initiative).
L’année dernière, la Chine a joué un rôle important dans la décision des BRICS de créer leur propre banque de développement, la New Development Bank, et un mécanisme de partage d’une partie des réserves de change, le Currency Reserve Agreement (CRA).
La puissance économique et financière acquise par la Chine et l’asymétrie entre cette dernière et ses autres partenaires des BRICS contribueront à faire de la NDB et du CRA, s’ils se déploient réellement, ce qui n’est pas encore attesté, des outils d’influence chinoise.
Face à ce dispositif les institutions de Bretton Woods sont affaiblies, le FMI, tout particulièrement. L’augmentation des ressources de ce dernier et l’accroissement modéré du rôle joué par les pays émergents dans sa gouvernance, décidés lors du G20 de Séoul en 2010, n’ont toujours pas été ratifiés par le Sénat américain. Le fond a concentré l’essentiel de ses financements à la crise de la zone Euro laquelle avait pourtant les moyens –mais pas la volonté- de la traiter elle-même. Il a même fait pour la Grèce des exceptions à ses règles qui avaient été appliquées dans toutes leur rigueur lorsqu’il était intervenu en Asie à la fin des années 90. Les Européens et les Américains n’ont, par ailleurs, toujours pas consenti à revenir sur le partage entre-eux des postes de directeur général de chacune des institutions qui a eu lieu en 1944.
Une partie de Go se termine quand un des joueurs ne peut plus poser un pion sans être directement menacé par l’adversaire.
Ce n’est pas la situation des américains qui dominent encore largement la finance internationale au travers de leur monnaie, de leur banque centrale qui alimente le monde en liquidité, et de leurs grandes banques.
De son côté, malgré ses ressources très importantes, la Chine est encore très loin d’avoir tous les attributs d’une puissance monétaire et financière mondiale. La manière à la fois volontariste mais progressive avec laquelle elle procède à l’internationalisation de sa monnaie, le Yuan, en témoigne. Elle sait que toute remise en cause brutale de l’ordre existant pourrait être une source d’instabilité qui lui serait préjudiciable.
Or, le FMI et la Banque Mondiale, de concert avec la Banque des Règlements Internationaux (BRI) et le Conseil de Stabilité Financière (CSF) dont la Chine est également membre, contribuent à la production d’un ordre public monétaire et financier international dont la nécessité est vraisemblablement reconnue à Pékin.
Dans ce contexte, la Chine utilise son projet de banque asiatique d’abord pour consolider ses intérêts dans la région (notamment contribuer aux projets de « route de la soie », qui lui permettront de mieux intégrer son économie et celles d’Asie centrale et du Sud et assurer le financement de projets à l’étranger qui serviraient d’exutoires à une industrie de production d’infrastructures en surcapacité) et, accessoirement, pour affaiblir la position dominante des américains sur les institutions financières internationales.
Plutôt que de jouer un combat perdu d’avance, les occidentaux n’ont pas d’autre choix que de donner à la Chine des gages d’une volonté d’avancer ensemble tout en lui témoignant de leur vigilance. Cela commencerait par un déblocage de la réforme de la gouvernance du FMI, dont les américains détiennent la clé, et l’établissement d’ un calendrier précis de l’intégration du Yuan chinois au panier de devises utilisé pour le calcul de l’unité de compte du FMI, les droits de tirages spéciaux (DTS) dont les critères avaient été définis au sommet du G20 de Cannes en 2011. A terme, favoriser les cofinancements entre l’AIIB et les institutions de Bretton Woods ou les banques de développement régionales serait une manière de tester la bonne volonté chinoise en matière de choix des projets et de standards de gouvernance.