Thaïlande : du pari de l’ouverture au défi de la modernisation ?
L’économie thaïlandaise a de nombreux atouts, comme le montrent les Profils Pays du CEPII : sa stratégie de développement repose sur une bonne insertion dans les chaînes de valeur mondiales, et sur le pari d’une forte ouverture à l’international.
Par Alix de Saint Vaulry
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La Thaïlande, proche de la France par la population (67 millions d’habitants) et la superficie (513 120 km2), est loin d’avoir le même niveau de richesse. Son Produit Intérieur Brut (PIB) était de 380 milliards de dollars en 2014, contre 2 901 pour la France. Le pouvoir d’achat moyen du Thaïlandais (en 2014, 14 000 dollars de PIB par habitant aux prix et pouvoir d’achat de 2011, autant que la moyenne mondiale) n’atteint que 38 % de la moyenne française. Mais le PIB de la France n’a crû que de 1,1 % par an en moyenne durant la dernière décennie, contre 3,8 % en Thaïlande.
Croissance et ouverture
Les Profils Pays du CEPII présentent le panorama interactif du commerce international de 80 pays à partir des données originales du CEPII. On voit ainsi la montée fulgurante de la part de la Thaïlande dans le PIB mondial et encore plus dans le commerce mondial, notamment durant la décennie 1986-1996 (graphique 1.B. et graphique 2.B.). La chute du baht en 1997 et la crise asiatique qui a suivi ont entraîné une récession, puis la croissance a repris sur un rythme moins soutenu. Le tigre, ‘nouveau pays industrialisé’ des années 1980, s’est essoufflé.
La Thaïlande a fait le pari de l’ouverture et de l'insertion dans les chaînes de valeur comme stratégie de développement, elle est même un archétype de cette stratégie.
Le poids de la Thaïlande dans le commerce mondial témoigne de son haut niveau d’ouverture commerciale. Alors que le pays ne représente que 0,5 % du PIB mondial, il réalise 1,3 % des exportations et importations de biens, comme de services. L’ouverture s’est faite principalement grâce au tourisme, mais aussi grâce à l’essor de l’industrie. Tournée d’abord vers la consommation nationale, la Thaïlande a trouvé des débouchés croissants aux Etats-Unis, au Japon, à Singapour, dans une moindre mesure en Europe, puis en Chine et dans d’autres pays d’Asie. Bénéficiant d’investissements étrangers importants, notamment du Japon, par exemple du constructeur automobile Toyota, le pays s’industrialise à grande vitesse. Il s’ouvre au commerce mondial (graphique 2.A.), grâce à ses activités d’assemblage, et s’insère dans les chaînes de valeur mondiales, en particulier par les composants électroniques pour ordinateurs. Les graphique 4.A. et graphique 4.B. montrent bien cette part de l’électronique dans les échanges thaïlandais.
Le graphique 5 retrace le mouvement spectaculaire d’avantages comparatifs depuis les années 1970, les biens manufacturés prenant le relais des produits primaires. Les services sont plus « équilibrés », mais les très fortes recettes de tourisme compensent les achats de services de transports (du fret à près de 90 %), de brevets et licences, de services d’assurance et d’autres services aux entreprises (dont les ventes sont aussi très élevées). L’agriculture reste un point fort (tableau 8), grâce au riz et aux crevettes. Achetant des métaux et des éléments de machines, la Thaïlande vend des véhicules (Toyota), notamment commerciaux, des automobiles et des cycles, des pneus (elle produit du caoutchouc), et bien sûr du matériel informatique. Elle s’est lancée récemment dans le raffinage de produits pétroliers.
Le défi de la modernisation
La Thaïlande est très insérée dans les chaînes de valeur mondiales, et cette stratégie a été un grand succès dans un premier temps. Mais le ralentissement des dernières années relève du piège des pays à revenu intermédiaire, typique de la difficulté à passer à une croissance basée sur une meilleure allocation des ressources entre les différents secteurs et sur l’amélioration de la productivité. Seuls dans la région, la Corée du Sud et Taïwan sont passés dans la catégorie des pays à revenu élevé, en développant une technologie domestique et des entreprises à la frontière technologique.
Les gains liés à l’extension internationale des chaînes de production tendent à s’amenuiser, les arbitrages les plus profitables ayant déjà été effectués (La Lettre du CEPII n°356). Une division internationale du travail trop fine peut être facteur de fragilité. En 2011, la catastrophe de Fukushima au Japon et les inondations en Thaïlande ont ainsi perturbé l’activité d’usines électroniques fort éloignées. Face à la concurrence du géant chinois, même s’il ralentit, sur un marché mondial qui peine à rebondir, un approfondissement de l’intégration des pays du Sud-Est asiatique dans tous les domaines peut être une stratégie prometteuse. Les grandes entreprises et les multinationales gagneront à la libéralisation. Mais les petits fermiers et les petites entreprises de transport risquent d’y perdre, n’ayant pas accès aux mêmes ressources financières, technologiques, de management et de marketing. Le 9 octobre, le gouverneur de la Banque mondiale pour la Thaïlande a déclaré à la rencontre Banque mondiale – Fonds Monétaire International de Lima que des mesures étaient prises pour renforcer les secteurs affectés par les prix bas et le ralentissement mondial (agriculture, petites et moyennes entreprises), ainsi que des incitations fiscales et non fiscales pour attirer les investissements, notamment dans l’infrastructure (rail, routes, eau, aviation…), et l’introduction des paiements électroniques.
Le 7 septembre, une boule de feu a traversé le ciel de Bangkok. Ce météore est-il un heureux présage ? Les Thaïlandais vont-ils retrouver une stabilité politique leur permettant de mettre à profit les importantes ressources humaines et économiques dont ils disposent ? Le défi principal que le pays doit relever est d’améliorer l’allocation des ressources et de permettre à la modernisation de s’étendre à une plus large fraction de la population et des entreprises, en réalisant cette transition dans de bonnes conditions sociales.
Références :
Les Profils Pays, et bases de données CHELEM et BACI du CEPII.
The ASEAN Economic Community and Conflicting Domestic Interests: An Overview, Journal of Southeast Asian Economies, Vol. 32, N° 2, août 2015, Tham Siew Yean, Sanchita Basu Das.
Growth Slowdowns and the Middle-Income Trap, IMF Working Paper 1371, 2013, Shekhar Aiyar, Romain Duval, Damien Puy, Yiqun Wu, Longmei Zhang.
Le ralentissement du commerce mondial annonce un changement de tendance, La Lettre du CEPII, N° 356, septembre 2015, Sébastien Jean.
Statement by the Hon. Wisudhi Srisuphan, Governor of the World Bank Group for Thailand, 2015 Lima Annual Meetings World Bank Group and International Monetary Fund, Governor’s Statement No 26, 9 octobre 2015.
Radio France Internationale du 06/09/2015 : Thaïlande: rejet du projet de Constitution soutenu par la junte.
La Thaïlande, proche de la France par la population (67 millions d’habitants) et la superficie (513 120 km2), est loin d’avoir le même niveau de richesse. Son Produit Intérieur Brut (PIB) était de 380 milliards de dollars en 2014, contre 2 901 pour la France. Le pouvoir d’achat moyen du Thaïlandais (en 2014, 14 000 dollars de PIB par habitant aux prix et pouvoir d’achat de 2011, autant que la moyenne mondiale) n’atteint que 38 % de la moyenne française. Mais le PIB de la France n’a crû que de 1,1 % par an en moyenne durant la dernière décennie, contre 3,8 % en Thaïlande.
Croissance et ouverture
Les Profils Pays du CEPII présentent le panorama interactif du commerce international de 80 pays à partir des données originales du CEPII. On voit ainsi la montée fulgurante de la part de la Thaïlande dans le PIB mondial et encore plus dans le commerce mondial, notamment durant la décennie 1986-1996 (graphique 1.B. et graphique 2.B.). La chute du baht en 1997 et la crise asiatique qui a suivi ont entraîné une récession, puis la croissance a repris sur un rythme moins soutenu. Le tigre, ‘nouveau pays industrialisé’ des années 1980, s’est essoufflé.
La Thaïlande a fait le pari de l’ouverture et de l'insertion dans les chaînes de valeur comme stratégie de développement, elle est même un archétype de cette stratégie.
Le poids de la Thaïlande dans le commerce mondial témoigne de son haut niveau d’ouverture commerciale. Alors que le pays ne représente que 0,5 % du PIB mondial, il réalise 1,3 % des exportations et importations de biens, comme de services. L’ouverture s’est faite principalement grâce au tourisme, mais aussi grâce à l’essor de l’industrie. Tournée d’abord vers la consommation nationale, la Thaïlande a trouvé des débouchés croissants aux Etats-Unis, au Japon, à Singapour, dans une moindre mesure en Europe, puis en Chine et dans d’autres pays d’Asie. Bénéficiant d’investissements étrangers importants, notamment du Japon, par exemple du constructeur automobile Toyota, le pays s’industrialise à grande vitesse. Il s’ouvre au commerce mondial (graphique 2.A.), grâce à ses activités d’assemblage, et s’insère dans les chaînes de valeur mondiales, en particulier par les composants électroniques pour ordinateurs. Les graphique 4.A. et graphique 4.B. montrent bien cette part de l’électronique dans les échanges thaïlandais.
Le graphique 5 retrace le mouvement spectaculaire d’avantages comparatifs depuis les années 1970, les biens manufacturés prenant le relais des produits primaires. Les services sont plus « équilibrés », mais les très fortes recettes de tourisme compensent les achats de services de transports (du fret à près de 90 %), de brevets et licences, de services d’assurance et d’autres services aux entreprises (dont les ventes sont aussi très élevées). L’agriculture reste un point fort (tableau 8), grâce au riz et aux crevettes. Achetant des métaux et des éléments de machines, la Thaïlande vend des véhicules (Toyota), notamment commerciaux, des automobiles et des cycles, des pneus (elle produit du caoutchouc), et bien sûr du matériel informatique. Elle s’est lancée récemment dans le raffinage de produits pétroliers.
Le défi de la modernisation
La Thaïlande est très insérée dans les chaînes de valeur mondiales, et cette stratégie a été un grand succès dans un premier temps. Mais le ralentissement des dernières années relève du piège des pays à revenu intermédiaire, typique de la difficulté à passer à une croissance basée sur une meilleure allocation des ressources entre les différents secteurs et sur l’amélioration de la productivité. Seuls dans la région, la Corée du Sud et Taïwan sont passés dans la catégorie des pays à revenu élevé, en développant une technologie domestique et des entreprises à la frontière technologique.
Les gains liés à l’extension internationale des chaînes de production tendent à s’amenuiser, les arbitrages les plus profitables ayant déjà été effectués (La Lettre du CEPII n°356). Une division internationale du travail trop fine peut être facteur de fragilité. En 2011, la catastrophe de Fukushima au Japon et les inondations en Thaïlande ont ainsi perturbé l’activité d’usines électroniques fort éloignées. Face à la concurrence du géant chinois, même s’il ralentit, sur un marché mondial qui peine à rebondir, un approfondissement de l’intégration des pays du Sud-Est asiatique dans tous les domaines peut être une stratégie prometteuse. Les grandes entreprises et les multinationales gagneront à la libéralisation. Mais les petits fermiers et les petites entreprises de transport risquent d’y perdre, n’ayant pas accès aux mêmes ressources financières, technologiques, de management et de marketing. Le 9 octobre, le gouverneur de la Banque mondiale pour la Thaïlande a déclaré à la rencontre Banque mondiale – Fonds Monétaire International de Lima que des mesures étaient prises pour renforcer les secteurs affectés par les prix bas et le ralentissement mondial (agriculture, petites et moyennes entreprises), ainsi que des incitations fiscales et non fiscales pour attirer les investissements, notamment dans l’infrastructure (rail, routes, eau, aviation…), et l’introduction des paiements électroniques.
Le 7 septembre, une boule de feu a traversé le ciel de Bangkok. Ce météore est-il un heureux présage ? Les Thaïlandais vont-ils retrouver une stabilité politique leur permettant de mettre à profit les importantes ressources humaines et économiques dont ils disposent ? Le défi principal que le pays doit relever est d’améliorer l’allocation des ressources et de permettre à la modernisation de s’étendre à une plus large fraction de la population et des entreprises, en réalisant cette transition dans de bonnes conditions sociales.
Références :
Les Profils Pays, et bases de données CHELEM et BACI du CEPII.
The ASEAN Economic Community and Conflicting Domestic Interests: An Overview, Journal of Southeast Asian Economies, Vol. 32, N° 2, août 2015, Tham Siew Yean, Sanchita Basu Das.
Growth Slowdowns and the Middle-Income Trap, IMF Working Paper 1371, 2013, Shekhar Aiyar, Romain Duval, Damien Puy, Yiqun Wu, Longmei Zhang.
Le ralentissement du commerce mondial annonce un changement de tendance, La Lettre du CEPII, N° 356, septembre 2015, Sébastien Jean.
Statement by the Hon. Wisudhi Srisuphan, Governor of the World Bank Group for Thailand, 2015 Lima Annual Meetings World Bank Group and International Monetary Fund, Governor’s Statement No 26, 9 octobre 2015.
Radio France Internationale du 06/09/2015 : Thaïlande: rejet du projet de Constitution soutenu par la junte.