Le Renminbi dans le panier du DTS, un petit pas pour une grande ambition
Le Conseil d’Administration (Executive Board) du FMI a décidé, le 1er décembre, d’inclure le Renminbi, la monnaie chinoise, dans le panier de monnaies utilisées pour calculer la valeur des « droits de tirage spéciaux » (DTS). Cette décision prendra effet à compter du 1er octobre 2016.
Par Christophe Destais
L’intégration du RMB dans le panier du DTS
Derrière l’appellation absconse de « droits de tirage spéciaux » se cachent deux notions qu’il faut distinguer. Les DTS sont, d’une part, une unité de compte utilisée par le FMI pour ses propres comptes et, d’autre part, un actif international que s’échangent les banques centrales à travers un compte spécial que gère le FMI. Cet actif, créé en 1969, n’est pas accessible à d’autres entités économiques que les banques centrales. Il ne fait pas l’objet d’un marché susceptible de déterminer sa valeur relative par rapports aux autres actifs monétaires, notamment les grandes devises internationales. Sa parité est déterminée en calculant la moyenne pondérée d’un panier de devises.
Ce panier était jusqu’à présent composé du dollar, de l’euro, du yen et de la livre sterling. La nouvelle pondération, qui prendra effet à compter du 1er octobre 2016, maintiendra la prééminence du dollar (41,73 %), suivi par l’euro (30,93 %). Le renminbi comptera pour 10,92 %, soit davantage que le yen (8,33 %) et que la livre sterling (8,09 %). A cette occasion, le FMI a modifié les règles de calcul de ces pondérations. La place de chaque pays dans le commerce mondial a été réduite au profit de celle des flux financiers internationaux libellés dans la devise émise par ce pays.
Les pondérations entre les monnaies pour le calcul du DTS sont révisées tous les cinq ans et devaient l’être d’ici la fin de l’année 2015. Elles le seront finalement avec 9 mois de retard en raison des négociations difficiles en vue de l’intégration du Renminbi.
Le RMB : une devise « libre d’utilisation» ?
Le Conseil d’Administration avait lui-même défini en 2000 deux critères pour cette intégration. Le premier était relatif à l’importance du pays émetteur dans le commerce mondial ; il était évident que la Chine le satisfaisait depuis longtemps. Le second était que la monnaie soit « libre d’utilisation » (freely usable). C’est sur ce critère que les négociations relatives à l’inclusion de la monnaie chinoise ont, un temps, achoppé. Telle que définie par le FMI, la libre utilisation ne suppose pas qu’une devise soit totalement convertible et que les flux de capitaux entre le pays qui l’émet et le reste du monde aient été totalement libéralisés. Il implique, en revanche, qu’elle puisse être utilisée par les membres du Fonds dans les transactions internationales y compris avec le FMI lui-même, soit directement, soit indirectement, en échangeant cette devise sur un des principaux marché de change contre une autre devise acceptée par le Fonds, sans que ce passage par le marché des changes n’entraîne une prise de risque excessive.
Dans une première version du rapport achevée au mois de juillet dernier, le FMI a suggéré à son Conseil d’Administration de reporter l’échéance de l’intégration du RMB au panier de DTS du 1er janvier au 1er octobre 2016 et énoncé deux conditions, au moins[1], pour que la devise chinoise puisse être considérée comme libre d’utilisation. D’une part, l’accès au marché obligataire et au marché de change domestiques chinois des gestionnaires de réserves de change, des institutions financières internationales et des fonds souverains devait être totalement libéralisé. D’autre part, le Trésor chinois devait procéder à des émissions hebdomadaire d’obligations à trois mois pour renforcer la liquidité du marché et favoriser les transactions sur le marché secondaire, conduisant ainsi à la fixation d’un taux d’intérêt de référence.
Fin novembre, le FMI a finalement recommandé au Conseil d’Administration de considérer le RMB comme libre d’utilisation. Il a estimé que les marchés des actifs libellés en RMB sont suffisamment développés pour offrir « un taux de change déterminé par le marché, un taux d’intérêt de référence et des instruments de couvertures qui satisfont les besoins opérationnels du Fonds et de ses membres ».
Le FMI fonde cependant son constat davantage sur des évolutions favorables depuis 2010 que sur le caractère intrinsèquement « libre d’utilisation » de la monnaie. Il énumère : l’utilisation du Renminbi dans les transactions internationales, minime en 2010, a augmenté « substantiellement »; le Renminbi est « de plus en plus » échangé sur les marchés internationaux de change ; la taille de l’économie chinoise et son degré d’internationalisation suggèrent que la demande pour la monnaie chinoise devrait persister dans le temps, au-delà des aléas de ces derniers mois… Le Fonds se félicite également que la capacité à facturer et payer en RMB ait été reconnue aux non-résidents et que de nombreuses mesures ont été prises par les autorités pour accroître les infrastructures qui facilitent les paiements internationaux.
Le FMI souligne toutefois que le maintien et le développement de l’internationalisation du RMB suppose que la Chine poursuive son processus graduel de réformes donnant au marché une place accrue dans l’économie.
Une décision à la portée symbolique mais aux conséquences limitées
Pourtant, comme l’ont souligné de nombreux observateurs, la portée de cette décision est avant tout symbolique. Ben Bernanke l’a comparée à un autocollant dont la maîtresse ornait son cahier quand il avait bien travaillé. Elle constitue néanmoins une reconnaissance internationale et officielle des efforts entrepris par la Chine pour internationaliser sa monnaie depuis 2010, date à laquelle ils se sont accélérés. Cette reconnaissance vient d’une institution au sein de laquelle les États-Unis jouent un rôle déterminant, ne serait-ce qu’en raison du droit de véto dont ils disposent.
La Chine y tenait beaucoup et il est probable que la modification, par la banque centrale chinoise, du mode de calcul de la parité quotidienne du RMB engagée cet été, en pleine crise boursière, et en dépit des risques que cela présentait, ait été motivée par la volonté des autorités d’envoyer un signal au FMI d’une détermination du taux de change « par le marché ».
Les conséquences financières concrètes seront limitées mais pas négligeables. Dans le cadre des financements qu’il accorde et dans le respect de certaines procédures, le FMI pourra prêter des RMB et les débiteurs du FMI pourront se libérer de leur dette à l’égard de ce dernier en RMB. Dans les deux cas, cela suppose que le marché des changes du RMB soit suffisamment actif pour que ces opérations n’aient pas, en elles-mêmes, un impact significatif sur le taux de change.
Cette décision aura sans doute pour conséquence d’encourager la constitution de réserves de change en RMB. Ces dernières ne représentent aujourd’hui que 1 % des réserves totales. Toutefois, la disponibilité de titres du gouvernement chinois risque d’être assez limitée. Les étrangers ne détiennent aujourd’hui que 3 % des titres émis et sa dette brute – en augmentation – n’est « que » de 43 % du PIB (selon le FMI). L’épargne en Chine reste excédentaire sur l’investissement et elle cherchera probablement à s’investir davantage en titres d’État après les vicissitudes de l’été sur les marchés boursiers et des déboires sur le marché immobilier.
La faculté donnée aux débiteurs du FMI de rembourser leur dette en RMB rend envisageable, au moins en théorie, un scénario dans lequel la Chine leur accorderait un prêt dans sa propre monnaie sous forme de financements bilatéraux ou d’échange de monnaies (swaps) entre les banques centrales pour qu’ils puissent rembourser le Fonds.
La Chine joue un jeu ambivalent vis-à-vis des institutions issues des accords de Bretton-Woods. Pour une part, elle entend y être active et en faire un vecteur de la reconnaissance de son rôle monétaire et financier international. Pour une autre, elle joue un rôle moteur dans les initiatives concurrentes comme cela a été le cas au printemps dernier, de manière spectaculaire, avec la création, derrière son leadership, de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures et l’apparente confirmation du projet de Banque des BRICS.
Derrière l’appellation absconse de « droits de tirage spéciaux » se cachent deux notions qu’il faut distinguer. Les DTS sont, d’une part, une unité de compte utilisée par le FMI pour ses propres comptes et, d’autre part, un actif international que s’échangent les banques centrales à travers un compte spécial que gère le FMI. Cet actif, créé en 1969, n’est pas accessible à d’autres entités économiques que les banques centrales. Il ne fait pas l’objet d’un marché susceptible de déterminer sa valeur relative par rapports aux autres actifs monétaires, notamment les grandes devises internationales. Sa parité est déterminée en calculant la moyenne pondérée d’un panier de devises.
Ce panier était jusqu’à présent composé du dollar, de l’euro, du yen et de la livre sterling. La nouvelle pondération, qui prendra effet à compter du 1er octobre 2016, maintiendra la prééminence du dollar (41,73 %), suivi par l’euro (30,93 %). Le renminbi comptera pour 10,92 %, soit davantage que le yen (8,33 %) et que la livre sterling (8,09 %). A cette occasion, le FMI a modifié les règles de calcul de ces pondérations. La place de chaque pays dans le commerce mondial a été réduite au profit de celle des flux financiers internationaux libellés dans la devise émise par ce pays.
Les pondérations entre les monnaies pour le calcul du DTS sont révisées tous les cinq ans et devaient l’être d’ici la fin de l’année 2015. Elles le seront finalement avec 9 mois de retard en raison des négociations difficiles en vue de l’intégration du Renminbi.
Le RMB : une devise « libre d’utilisation» ?
Le Conseil d’Administration avait lui-même défini en 2000 deux critères pour cette intégration. Le premier était relatif à l’importance du pays émetteur dans le commerce mondial ; il était évident que la Chine le satisfaisait depuis longtemps. Le second était que la monnaie soit « libre d’utilisation » (freely usable). C’est sur ce critère que les négociations relatives à l’inclusion de la monnaie chinoise ont, un temps, achoppé. Telle que définie par le FMI, la libre utilisation ne suppose pas qu’une devise soit totalement convertible et que les flux de capitaux entre le pays qui l’émet et le reste du monde aient été totalement libéralisés. Il implique, en revanche, qu’elle puisse être utilisée par les membres du Fonds dans les transactions internationales y compris avec le FMI lui-même, soit directement, soit indirectement, en échangeant cette devise sur un des principaux marché de change contre une autre devise acceptée par le Fonds, sans que ce passage par le marché des changes n’entraîne une prise de risque excessive.
Dans une première version du rapport achevée au mois de juillet dernier, le FMI a suggéré à son Conseil d’Administration de reporter l’échéance de l’intégration du RMB au panier de DTS du 1er janvier au 1er octobre 2016 et énoncé deux conditions, au moins[1], pour que la devise chinoise puisse être considérée comme libre d’utilisation. D’une part, l’accès au marché obligataire et au marché de change domestiques chinois des gestionnaires de réserves de change, des institutions financières internationales et des fonds souverains devait être totalement libéralisé. D’autre part, le Trésor chinois devait procéder à des émissions hebdomadaire d’obligations à trois mois pour renforcer la liquidité du marché et favoriser les transactions sur le marché secondaire, conduisant ainsi à la fixation d’un taux d’intérêt de référence.
Fin novembre, le FMI a finalement recommandé au Conseil d’Administration de considérer le RMB comme libre d’utilisation. Il a estimé que les marchés des actifs libellés en RMB sont suffisamment développés pour offrir « un taux de change déterminé par le marché, un taux d’intérêt de référence et des instruments de couvertures qui satisfont les besoins opérationnels du Fonds et de ses membres ».
Le FMI fonde cependant son constat davantage sur des évolutions favorables depuis 2010 que sur le caractère intrinsèquement « libre d’utilisation » de la monnaie. Il énumère : l’utilisation du Renminbi dans les transactions internationales, minime en 2010, a augmenté « substantiellement »; le Renminbi est « de plus en plus » échangé sur les marchés internationaux de change ; la taille de l’économie chinoise et son degré d’internationalisation suggèrent que la demande pour la monnaie chinoise devrait persister dans le temps, au-delà des aléas de ces derniers mois… Le Fonds se félicite également que la capacité à facturer et payer en RMB ait été reconnue aux non-résidents et que de nombreuses mesures ont été prises par les autorités pour accroître les infrastructures qui facilitent les paiements internationaux.
Le FMI souligne toutefois que le maintien et le développement de l’internationalisation du RMB suppose que la Chine poursuive son processus graduel de réformes donnant au marché une place accrue dans l’économie.
Une décision à la portée symbolique mais aux conséquences limitées
Pourtant, comme l’ont souligné de nombreux observateurs, la portée de cette décision est avant tout symbolique. Ben Bernanke l’a comparée à un autocollant dont la maîtresse ornait son cahier quand il avait bien travaillé. Elle constitue néanmoins une reconnaissance internationale et officielle des efforts entrepris par la Chine pour internationaliser sa monnaie depuis 2010, date à laquelle ils se sont accélérés. Cette reconnaissance vient d’une institution au sein de laquelle les États-Unis jouent un rôle déterminant, ne serait-ce qu’en raison du droit de véto dont ils disposent.
La Chine y tenait beaucoup et il est probable que la modification, par la banque centrale chinoise, du mode de calcul de la parité quotidienne du RMB engagée cet été, en pleine crise boursière, et en dépit des risques que cela présentait, ait été motivée par la volonté des autorités d’envoyer un signal au FMI d’une détermination du taux de change « par le marché ».
Les conséquences financières concrètes seront limitées mais pas négligeables. Dans le cadre des financements qu’il accorde et dans le respect de certaines procédures, le FMI pourra prêter des RMB et les débiteurs du FMI pourront se libérer de leur dette à l’égard de ce dernier en RMB. Dans les deux cas, cela suppose que le marché des changes du RMB soit suffisamment actif pour que ces opérations n’aient pas, en elles-mêmes, un impact significatif sur le taux de change.
Cette décision aura sans doute pour conséquence d’encourager la constitution de réserves de change en RMB. Ces dernières ne représentent aujourd’hui que 1 % des réserves totales. Toutefois, la disponibilité de titres du gouvernement chinois risque d’être assez limitée. Les étrangers ne détiennent aujourd’hui que 3 % des titres émis et sa dette brute – en augmentation – n’est « que » de 43 % du PIB (selon le FMI). L’épargne en Chine reste excédentaire sur l’investissement et elle cherchera probablement à s’investir davantage en titres d’État après les vicissitudes de l’été sur les marchés boursiers et des déboires sur le marché immobilier.
La faculté donnée aux débiteurs du FMI de rembourser leur dette en RMB rend envisageable, au moins en théorie, un scénario dans lequel la Chine leur accorderait un prêt dans sa propre monnaie sous forme de financements bilatéraux ou d’échange de monnaies (swaps) entre les banques centrales pour qu’ils puissent rembourser le Fonds.
La Chine joue un jeu ambivalent vis-à-vis des institutions issues des accords de Bretton-Woods. Pour une part, elle entend y être active et en faire un vecteur de la reconnaissance de son rôle monétaire et financier international. Pour une autre, elle joue un rôle moteur dans les initiatives concurrentes comme cela a été le cas au printemps dernier, de manière spectaculaire, avec la création, derrière son leadership, de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures et l’apparente confirmation du projet de Banque des BRICS.
[1] Cette version n’a pas été rendue publique, elle a cependant été évoquée lors d’une conférence de presse officielle du FMI et par la presse.