L’économie mondiale 2017 : montée des tensions et défauts de coordination
Dans l’édition 2016 de L’Économie mondiale, beaucoup d’incertitudes entouraient la reprise qui s’amorçait. Qu’en est-il dans cette édition 2017 ?
Par Isabelle Bensidoun, Jézabel Couppey-Soubeyran
À l’été 2016, l’économie mondiale oscille toujours entre stagnation et transition vers un modèle qui peine à se dévoiler. Ce qui est sûr, c’est que chaque année qui passe éloigne un peu plus la perspective d’un retour aux tendances d’avant crise, nous dit Sébastien Jean dans le chapitre I. Les taux d’investissement n’ont retrouvé leur niveau d’avant crise dans aucune économie avancée, le commerce mondial stagne, les prix des matières premières continuent de baisser et le prix du pétrole reste bas. Ces évolutions de prix pèsent sur les exportateurs de produits de base sans guère profiter aux économies avancées importatrices, dans un contexte d’inflation larvée et de taux d’intérêt au plancher, voire négatifs. Au total, la croissance mondiale reste anémiée. Il faut dire que, depuis plusieurs années maintenant, l’effort de relance repose essentiellement sur les banques centrales, au point que l’OCDE recommande dans ses Perspectives économiques 2016 que des politiques budgétaires plus actives soient mises en œuvre. Là aussi, chaque année qui passe conforte davantage l’avis de ceux qui s’inquiétaient des effets déstabilisants des politiques monétaires ultra-accommodantes que celui de ceux qui pensaient que les taux d’intérêt faibles et les injections massives de liquidités favoriseraient l’investissement et remettraient l’économie mondiale sur les rails.
Donc moins d’incertitudes cette année et plus d’inquiétudes ?
Moins d’incertitudes, ce n’est pas sûr, mais plus d’inquiétudes, très certainement. Le titre du chapitre I, « La montée des tensions », est à cet égard sans ambiguïtés. Tensions dans le domaine politique avec la montée des populismes, tensions aussi dans la construction européenne avec la crise des réfugiés et le Brexit, tensions économiques, comme on vient de le voir, avec les difficultés à raviver une croissance que les politiques monétaires n’ont pas réussi à doper tout en étant susceptibles d’avoir nourri des bulles de prix d’actifs et des prises de risque excessives. Tensions enfin dans la gouvernance mondiale avec les difficultés d’adaptation à un monde multipolaire qui réclame de revoir les schémas qui prévalaient jusque-là.
Est-ce à dire aussi que la mondialisation telle qu’on l’a connue jusqu’à la crise de 2008 est désormais derrière nous ?
Tout d’abord, ce que l’on a connu jusqu’à présent en matière commerciale, ce n’est pas une mondialisation, mais plusieurs, comme nous le relatent Michel Fouquin, Jules Hugot et Sébastien Jean dans leur brève histoire des mondialisations (chapitre II). La première a commencé au milieu du xixe siècle, nous disent-ils, et non à la fin, comme la plupart des études la datent, pour s’interrompre à la veille de la Première Guerre mondiale. La deuxième se déroule en deux phases : la première débute à la fin des années 1960 et se caractérise par un rôle prédominant des pays développés, tandis que la deuxième, véritablement mondiale, plus intense, plus financière, démarre au début des années 1990. Ces différents épisodes de mondialisation ont en commun d’avoir connu une ampleur similaire et renforcé le rôle de la distance. En clair, c’est entre des pays proches que le commerce s’est, à chaque fois, intensifié. Pour le reste, à chaque mondialisation sa logique de spécialisation et ses effets redistributifs.
Ce que nous enseigne surtout cette brève histoire, c’est que le phénomène n’est pas irréversible. Et c’est paradoxalement au moment où les interdépendances commerciales faiblissent – on l’a vu plus haut, le commerce mondial stagne – que les controverses autour de la mondialisation s’avivent : les gains liés à l’intensification du commerce s’épuisant, les conflits de répartition et de légitimité qui y sont associés prennent le dessus.
Qu’en est-il dans le domaine financier ? Les interdépendances ont-elles aussi diminué ?
Bien au contraire, la financiarisation poursuit sa course envers et contre l’économie réelle. Ce faisant, les interdépendances financières s’intensifient et posent problème : à la politique monétaire américaine, qui doit désormais composer avec les évolutions qui se produisent dans le reste du monde, et, plus largement, au système monétaire international, qui, confronté à un multilatéralisme rampant, souffre d’un défaut de coordination. Michel Aglietta et Virginie Coudert, dans le chapitre III, soulignent les tensions qui traversent le système monétaire international et l’érosion du système dollar qui en résulte. Leur conclusion est que, à défaut d’une reconnaissance par les principales puissances d’un besoin de coordination multilatérale des politiques économiques, on assistera à un retour des souverainetés nationales qui « reprendront le pouvoir sur la finance ». Alors, préviennent-ils, la globalisation reculera « comme elle l’a fait dans tous les épisodes historiques passés de globalisation financière ».
Ainsi, que ce soit dans le domaine commercial ou dans le domaine financier, le retour des souverainetés nationales aux dépens des mondialisations pourrait bien être la conséquence majeure des défauts de coordination.
Montée des tensions, défauts de coordination, risque de retour des souverainetés nationales, le tableau que brosse cette édition 2017 de L’Économie mondiale est bien sombre.
C’est vrai. Et il est un domaine où la conjonction de ces différents éléments a été particulièrement dramatique. C’est celui de la crise des réfugiés, dont l’Union européenne ne sort pas grandie. Alors que, en août 2015, Angela Merkel déclarait : « La question des migrants pourrait bien être le prochain projet européen où nous verrons si nous sommes capables d’agir ensemble », l’année qui s’est écoulée depuis n’a clairement pas fait la démonstration, nous rappelle Anthony Edo dans le chapitre VI, de cette capacité d’action commune. Il faut dire que les craintes que l’immigration ne conduise à des destructions d’emplois et à une détérioration des finances publiques ne sont toujours pas dissipées, alors même que la plupart des études concluent à un impact négligeable sur le marché du travail et marginal sur les comptes publics.
Est-ce à dire que la coordination a fait défaut dans tous les domaines ?
Non, au niveau financier notamment, il y a eu des efforts de coordination depuis la crise de 2008 de la part de plusieurs instances internationales pour tenter de réformer le secteur bancaire. Mais ces réformes n’ont pas été poussées suffisamment loin, comme le montre Jézabel Couppey-Soubeyran dans le chapitre IV. Le lobby bancaire n’a eu de cesse de les contrer, d’en réduire la portée tout en dénonçant de manière systématique les effets que ces dernières pourraient avoir sur le crédit, l’investissement, la croissance. Cette résistance au rétablissement de la stabilité financière est un mauvais calcul de la part des banques. Car, d’une part, elles demeurent vulnérables dans un monde où, comme on l’a vu, ce sont les tensions et l’incertitude qui règnent et, d’autre part, elles alimentent la défiance citoyenne à leur égard. Or, si une nouvelle crise venait à éclater, précisément parce que les réformes n’auront pas réussi à la prévenir, il se pourrait que cette défiance s’exprime dans le choix de mesures radicales, déjà perceptibles dans les débats, comme le retrait du pouvoir de création monétaire aux banques. C’est d’ailleurs là où on croyait naguère le plus aux bienfaits du développement bancaire et financier (en Suisse, en Islande ou, sur le plan institutionnel, au FMI) que ces mesures reçoivent le plus d’écho. Le secteur bancaire en pâtirait alors lourdement, la collectivité peut-être aussi.
N’y a-t-il pas une touche d’optimisme dans l’édition de cette année ?
Si, fort heureusement, grâce au chapitre V sur la COP21 ! Étienne Espagne se livre à une exégèse optimiste de différents textes de l’Accord de Paris pour souligner le rôle que le secteur financier et celui de l’assurance, en particulier, ont à jouer pour favoriser la transition écologique. Réciproquement, il montre que ce formidable défi qu’est la transition écologique offre l’occasion de transformer en profondeur la finance pour la remettre au service de la société. Il faudra toutefois bien cerner la double nature du risque écologique : un ensemble de risques privés assurables et échangeables sur des marchés, mais également un risque systémique nécessitant une gestion collective et une régulation adéquate.
Cette édition met en avant un monde multipolaire, un besoin de coordination multilatérale, mais alors que se passe-t-il du côté des émergents ?
L’état de l’économie mondiale dépend, il est vrai, de plus en plus de celui des économies émergentes. Les interdépendances économiques et financières sont devenues multidirectionnelles : les chocs se transmettent des pays avancés vers les émergents, mais également en sens inverse. Les Bourses des pays avancés et la politique monétaire américaine sont désormais tributaires de la conjoncture des émergents. Dans ces derniers, le ralentissement de la croissance se confirme. En dépit d’une transition qui reste délicate en Chine et d’une modernisation à concrétiser en Inde, la croissance se situe tout de même autour de 7 %. Mais le contraste est grand avec celle des pays producteurs de matières premières où les perspectives restent le plus souvent mauvaises. Pour le Brésil, la situation actuelle est des plus préoccupante : le pays traverse une crise qui, d’après Cristina Terra, tient pour beaucoup aux erreurs de politique économique du gouvernement de Dilma Rousseff. Le constat dressé dans le chapitre VII est sévère, mais il est vrai que les facteurs extérieurs qui ont aussi pesé sur les économies des grands émergents exportateurs de matières premières n’ont pas produit les mêmes effets. Au Brésil, la mauvaise gouvernance économique est allée de pair avec une corruption généralisée qui a débouché sur une crise politique particulièrement aiguë. La jeune démocratie brésilienne parviendra-t-elle à s’en extirper ?
Retrouvez la conférence de présentation de l'ouvrage sur le site du CEPII [cliquez ici].
Donc moins d’incertitudes cette année et plus d’inquiétudes ?
Moins d’incertitudes, ce n’est pas sûr, mais plus d’inquiétudes, très certainement. Le titre du chapitre I, « La montée des tensions », est à cet égard sans ambiguïtés. Tensions dans le domaine politique avec la montée des populismes, tensions aussi dans la construction européenne avec la crise des réfugiés et le Brexit, tensions économiques, comme on vient de le voir, avec les difficultés à raviver une croissance que les politiques monétaires n’ont pas réussi à doper tout en étant susceptibles d’avoir nourri des bulles de prix d’actifs et des prises de risque excessives. Tensions enfin dans la gouvernance mondiale avec les difficultés d’adaptation à un monde multipolaire qui réclame de revoir les schémas qui prévalaient jusque-là.
Est-ce à dire aussi que la mondialisation telle qu’on l’a connue jusqu’à la crise de 2008 est désormais derrière nous ?
Tout d’abord, ce que l’on a connu jusqu’à présent en matière commerciale, ce n’est pas une mondialisation, mais plusieurs, comme nous le relatent Michel Fouquin, Jules Hugot et Sébastien Jean dans leur brève histoire des mondialisations (chapitre II). La première a commencé au milieu du xixe siècle, nous disent-ils, et non à la fin, comme la plupart des études la datent, pour s’interrompre à la veille de la Première Guerre mondiale. La deuxième se déroule en deux phases : la première débute à la fin des années 1960 et se caractérise par un rôle prédominant des pays développés, tandis que la deuxième, véritablement mondiale, plus intense, plus financière, démarre au début des années 1990. Ces différents épisodes de mondialisation ont en commun d’avoir connu une ampleur similaire et renforcé le rôle de la distance. En clair, c’est entre des pays proches que le commerce s’est, à chaque fois, intensifié. Pour le reste, à chaque mondialisation sa logique de spécialisation et ses effets redistributifs.
Ce que nous enseigne surtout cette brève histoire, c’est que le phénomène n’est pas irréversible. Et c’est paradoxalement au moment où les interdépendances commerciales faiblissent – on l’a vu plus haut, le commerce mondial stagne – que les controverses autour de la mondialisation s’avivent : les gains liés à l’intensification du commerce s’épuisant, les conflits de répartition et de légitimité qui y sont associés prennent le dessus.
Qu’en est-il dans le domaine financier ? Les interdépendances ont-elles aussi diminué ?
Bien au contraire, la financiarisation poursuit sa course envers et contre l’économie réelle. Ce faisant, les interdépendances financières s’intensifient et posent problème : à la politique monétaire américaine, qui doit désormais composer avec les évolutions qui se produisent dans le reste du monde, et, plus largement, au système monétaire international, qui, confronté à un multilatéralisme rampant, souffre d’un défaut de coordination. Michel Aglietta et Virginie Coudert, dans le chapitre III, soulignent les tensions qui traversent le système monétaire international et l’érosion du système dollar qui en résulte. Leur conclusion est que, à défaut d’une reconnaissance par les principales puissances d’un besoin de coordination multilatérale des politiques économiques, on assistera à un retour des souverainetés nationales qui « reprendront le pouvoir sur la finance ». Alors, préviennent-ils, la globalisation reculera « comme elle l’a fait dans tous les épisodes historiques passés de globalisation financière ».
Ainsi, que ce soit dans le domaine commercial ou dans le domaine financier, le retour des souverainetés nationales aux dépens des mondialisations pourrait bien être la conséquence majeure des défauts de coordination.
Montée des tensions, défauts de coordination, risque de retour des souverainetés nationales, le tableau que brosse cette édition 2017 de L’Économie mondiale est bien sombre.
C’est vrai. Et il est un domaine où la conjonction de ces différents éléments a été particulièrement dramatique. C’est celui de la crise des réfugiés, dont l’Union européenne ne sort pas grandie. Alors que, en août 2015, Angela Merkel déclarait : « La question des migrants pourrait bien être le prochain projet européen où nous verrons si nous sommes capables d’agir ensemble », l’année qui s’est écoulée depuis n’a clairement pas fait la démonstration, nous rappelle Anthony Edo dans le chapitre VI, de cette capacité d’action commune. Il faut dire que les craintes que l’immigration ne conduise à des destructions d’emplois et à une détérioration des finances publiques ne sont toujours pas dissipées, alors même que la plupart des études concluent à un impact négligeable sur le marché du travail et marginal sur les comptes publics.
Est-ce à dire que la coordination a fait défaut dans tous les domaines ?
Non, au niveau financier notamment, il y a eu des efforts de coordination depuis la crise de 2008 de la part de plusieurs instances internationales pour tenter de réformer le secteur bancaire. Mais ces réformes n’ont pas été poussées suffisamment loin, comme le montre Jézabel Couppey-Soubeyran dans le chapitre IV. Le lobby bancaire n’a eu de cesse de les contrer, d’en réduire la portée tout en dénonçant de manière systématique les effets que ces dernières pourraient avoir sur le crédit, l’investissement, la croissance. Cette résistance au rétablissement de la stabilité financière est un mauvais calcul de la part des banques. Car, d’une part, elles demeurent vulnérables dans un monde où, comme on l’a vu, ce sont les tensions et l’incertitude qui règnent et, d’autre part, elles alimentent la défiance citoyenne à leur égard. Or, si une nouvelle crise venait à éclater, précisément parce que les réformes n’auront pas réussi à la prévenir, il se pourrait que cette défiance s’exprime dans le choix de mesures radicales, déjà perceptibles dans les débats, comme le retrait du pouvoir de création monétaire aux banques. C’est d’ailleurs là où on croyait naguère le plus aux bienfaits du développement bancaire et financier (en Suisse, en Islande ou, sur le plan institutionnel, au FMI) que ces mesures reçoivent le plus d’écho. Le secteur bancaire en pâtirait alors lourdement, la collectivité peut-être aussi.
N’y a-t-il pas une touche d’optimisme dans l’édition de cette année ?
Si, fort heureusement, grâce au chapitre V sur la COP21 ! Étienne Espagne se livre à une exégèse optimiste de différents textes de l’Accord de Paris pour souligner le rôle que le secteur financier et celui de l’assurance, en particulier, ont à jouer pour favoriser la transition écologique. Réciproquement, il montre que ce formidable défi qu’est la transition écologique offre l’occasion de transformer en profondeur la finance pour la remettre au service de la société. Il faudra toutefois bien cerner la double nature du risque écologique : un ensemble de risques privés assurables et échangeables sur des marchés, mais également un risque systémique nécessitant une gestion collective et une régulation adéquate.
Cette édition met en avant un monde multipolaire, un besoin de coordination multilatérale, mais alors que se passe-t-il du côté des émergents ?
L’état de l’économie mondiale dépend, il est vrai, de plus en plus de celui des économies émergentes. Les interdépendances économiques et financières sont devenues multidirectionnelles : les chocs se transmettent des pays avancés vers les émergents, mais également en sens inverse. Les Bourses des pays avancés et la politique monétaire américaine sont désormais tributaires de la conjoncture des émergents. Dans ces derniers, le ralentissement de la croissance se confirme. En dépit d’une transition qui reste délicate en Chine et d’une modernisation à concrétiser en Inde, la croissance se situe tout de même autour de 7 %. Mais le contraste est grand avec celle des pays producteurs de matières premières où les perspectives restent le plus souvent mauvaises. Pour le Brésil, la situation actuelle est des plus préoccupante : le pays traverse une crise qui, d’après Cristina Terra, tient pour beaucoup aux erreurs de politique économique du gouvernement de Dilma Rousseff. Le constat dressé dans le chapitre VII est sévère, mais il est vrai que les facteurs extérieurs qui ont aussi pesé sur les économies des grands émergents exportateurs de matières premières n’ont pas produit les mêmes effets. Au Brésil, la mauvaise gouvernance économique est allée de pair avec une corruption généralisée qui a débouché sur une crise politique particulièrement aiguë. La jeune démocratie brésilienne parviendra-t-elle à s’en extirper ?
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