Réforme fiscale aux États-Unis : pour ou contre la Border Adjustment Tax (BAT) ?
Le débat sur la réforme fiscale aux États-Unis bat son plein dans les think tanks de la capitale américaine et les lobbies –pour et contre– se mettent en place.
Par Jean-François Boittin
Le constat sur les lacunes du système actuel est largement partagé. Les États-Unis sont le seul pays à taxer les entreprises sur leurs activités mondiales et le taux nominal de l’impôt sur les sociétés est parmi les plus élevés des pays de l’OCDE. Les entreprises multiplient les stratégies d’évasion : manipulation des prix de transfert entre filiales et maison mère, « inversion » des sièges sociaux, et non rapatriement des profits réalisés à l’étranger, estimés à 2,4 billions de dollars, qui ne sont donc pas réinvestis aux États-Unis.
Toute réforme est extrêmement difficile : elle remet en cause les « avantages acquis », exemptions diverses, et toute baisse des taux de l’impôt sur les revenus ou les sociétés nécessite la recherche de nouvelles sources de rentrées fiscales, pour équilibrer la trajectoire budgétaire, à moins de faire confiance à la seule courbe de Laffer (les baisses du taux d’imposition stimuleraient la croissance qui, en retour, aide à remplir les caisses de l’État).
C’est dans ce contexte que l’« ajustement à la frontière » du projet fiscal des Républicains de la Chambre apparaît comme la solution miracle. Les inspirateurs, et plus chauds partisans, sont le couple improbable, constitué de Douglas Holtz-Eakin, ancien conseiller économique de George H.W. Bush, président de l’American Action Forum, think tank conservateur et Alan Auerbach, professeur d’économie à Berkeley, un « libéral » au sens américain du terme. Ils le présentent comme un outil indispensable pour égaliser les conditions de concurrence vis-à-vis des partenaires commerciaux des États-Unis, utilisateurs de la TVA, tout en insistant sur la dimension exclusivement fiscale du projet (« ce n’est pas de la politique commerciale ») :
Toute réforme est extrêmement difficile : elle remet en cause les « avantages acquis », exemptions diverses, et toute baisse des taux de l’impôt sur les revenus ou les sociétés nécessite la recherche de nouvelles sources de rentrées fiscales, pour équilibrer la trajectoire budgétaire, à moins de faire confiance à la seule courbe de Laffer (les baisses du taux d’imposition stimuleraient la croissance qui, en retour, aide à remplir les caisses de l’État).
C’est dans ce contexte que l’« ajustement à la frontière » du projet fiscal des Républicains de la Chambre apparaît comme la solution miracle. Les inspirateurs, et plus chauds partisans, sont le couple improbable, constitué de Douglas Holtz-Eakin, ancien conseiller économique de George H.W. Bush, président de l’American Action Forum, think tank conservateur et Alan Auerbach, professeur d’économie à Berkeley, un « libéral » au sens américain du terme. Ils le présentent comme un outil indispensable pour égaliser les conditions de concurrence vis-à-vis des partenaires commerciaux des États-Unis, utilisateurs de la TVA, tout en insistant sur la dimension exclusivement fiscale du projet (« ce n’est pas de la politique commerciale ») :
- l’ajustement à la frontière permet de passer d’un système d’imposition mondiale à un système territorial;
- il taxe les sociétés sur les profits qu’elles réalisent moins les exportations, tandis que les importations sont prises en compte intégralement [1] ;
- le mécanisme est totalement neutre : les taux de change s’ajusteraient automatiquement et en temps réel, et la hausse du dollar équilibrerait les termes de l’échange.
Le président du Peterson Institute for International Economics, Adam Posen, a présenté un plaidoyer passionné contre le projet, en soulignant que les gains présumés pâlissent au regard des coûts potentiels.
Quels que soient les défauts du système actuel, il ne semble pas handicaper les sociétés américaines, qui subissent un taux d’imposition effectif égal à celui de l’Allemagne.
Par ailleurs, la taxation des profits accumulés à l’étranger sur les douze dernières années ne rapporterait guère que 40 milliards de dollars par an (alors que les revenus de l’impôt s’établissent en moyenne à 2 600 milliards de dollars).
Maigres bénéfices et trois défauts majeurs dans le projet :
Quels que soient les défauts du système actuel, il ne semble pas handicaper les sociétés américaines, qui subissent un taux d’imposition effectif égal à celui de l’Allemagne.
Par ailleurs, la taxation des profits accumulés à l’étranger sur les douze dernières années ne rapporterait guère que 40 milliards de dollars par an (alors que les revenus de l’impôt s’établissent en moyenne à 2 600 milliards de dollars).
Maigres bénéfices et trois défauts majeurs dans le projet :
- il créerait des distorsions entre secteurs économiques (le traitement des services, ou de l’e-commerce n’est, par exemple, pas clair), aggravées par les exemptions probables (importations de pétrole). Et les secteurs les plus performants de l’industrie américaine seraient les plus touchés, puisqu’ils importent le plus, conséquence de la mise en place des chaînes de valeur globales. Les secteurs des véhicules à moteur, du matériel informatique et de la chimie sont les premières victimes.
- il générerait des incertitudes considérables au plan international, avec une forte probabilité de recours à l’OMC et, dans le pire des cas, la mise en place de mesures de rétorsion qui frapperaient jusqu’au quart des exportations américaines.
- il accroîtrait les inégalités aux États-Unis, car le renchérissement des importations toucherait de manière disproportionnée les milieux les plus défavorisés.
Par ailleurs, Adam Posen, ancien membre du comité directeur de la Banque d’Angleterre, ne croit pas une seconde à l’efficacité du taux de change pour corriger automatiquement l’impact de l’ajustement à la frontière, parce que le dollar est monnaie de réserve internationale et que sa valeur fluctue en fonction de multiples facteurs : les flux échangés sur le marché des changes sont en moyenne 300 fois supérieurs aux échanges commerciaux des États-Unis.
La conclusion, quelque peu provocante, d’Adam Posen : « en ces temps d’insurrection de l’Américain blanc moyen (« angry white man »), faut-il vraiment faire payer au consommateur la baisse des impôts qui profite au 1 % et à la Corporate America ? ».
L’analyse d’Adam Posen est partagée par les think tanks conservateurs. Le Cato Institute et l’American Enterprise Institute, entre autres, à la fois libre échangistes et militants du moins d’État, critiquent ouvertement la BAT, outil protectionniste et TVA déguisée qui alimenterait sans limite l’ogre gouvernemental.
Parallèlement à ce débat d’idées stimulant, les forces de lobbying se mettent en place, et deux camps vont s’affronter : l’American Made Coalition, qui réunit quelques grands noms (notamment GE, Boeing, Dow, Eli Lilly, Pfizer et Oracle), 25 compagnies au total –toutes ne sont pas citées–, autour d’un slogan définitivement mercantiliste. De l’autre, Americans for Affordable Products rassemble plus d’une centaine d’associations de détaillants, de concessionnaires automobiles ou de sociétés (notamment Nike, Toyota, LVMH) qui veulent défendre le pouvoir d’achat de l’Américain moyen.
BAT et OMC : un point central du débat
La question de la compatibilité du projet d’ajustement à la frontière avec les engagements américains à l’OMC est un des points centraux du débat, et oppose trois écoles de pensée :
- il y a incompatibilité, ce qui disqualifie la BAT. C’est l’analyse du Sénateur Wyden, leader de la minorité démocrate à la Commission des Finances ;
- « Circulez! Il n’y a rien à voir » : Alan Auerbach et Douglas Holz-Eakins argumentent que la distinction faite par l’OMC entre taxes indirectes –qui peuvent faire l’objet d’un ajustement, comme la TVA–, et taxes directes n’a pas de justification logique ou économique. Cependant, le système de règlement des différends de l’OMC raisonne exclusivement en droit, et ignore largement les raisonnements économiques. Il avait déjà condamné deux avatars américains de subventions à l’exportation (DISC, puis FSC).
- « too big to adjudicate » : si la BAT était condamnée par l’OMC, le montant de rétorsions pourrait s’élever à 385 milliards de dollars (un cinquième des exportations américaines). Le montant le plus important de rétorsions jamais autorisé jusqu’à maintenant est de 4 milliards de dollars. Il y a donc peu de chance que les pays tiers osent attaquer le dispositif à l’OMC. Néanmoins, les partenaires des États-Unis pourraient déposer une plainte conjointe, et aussi mettre en place au plan national des droits anti subventions.
Les députés Républicains, qui saluent un dispositif fiscal mercantiliste (le Speaker, Paul Ryan : « Fondamentalement, les pays avec lesquels nous avons un déficit bilatéral vont nous aider à financer notre projet de réforme fiscal »), font aussi dans le chantage le plus brutal : « Si l’OMC devient une organisation politique et décide contre nous, eh bien, ce sera la fin de l’OMC » (Devin Nunes, Californie).
C’est précisément parce que l’enjeu est considérable que les partenaires des États-Unis doivent être vigilants. Et puisque nous vivons dans un monde dans lequel on « fait des listes », comme l’a dit aimablement la nouvelle ambassadrice en arrivant à l’ONU, l’UE serait bien inspirée de « faire des listes » des sociétés qui vont publiquement défendre la BAT, ou des sociétés présentes dans les circonscriptions des Représentants les plus bruyants sur le sujet : autant de cibles pour des rétorsions éventuelles, si l’affaire doit en venir là.
[1] D’où le nom de « Destination Based Cash Flow Tax ». BAT, pour « Border Adjustment Tax », a l’avantage de la simplicité.