Réformer ou détruire le capitalisme ?
L’incertitude est la caractéristique essentielle des époques de rupture. Pour en comprendre l’impact social que nous vivons, il faut bien saisir deux dimensions fondamentales :
-
Le capitalisme n’est pas intrinsèquement lié à la démocratie.
-
Le néolibéralisme, qui s’est imposé dans les 40 dernières années, a établi une financiarisation totale de l’économie qui a détruit l’ordre social des 30 années post-Seconde Guerre mondiale.
Les rapports entre capitalisme et démocratie sont paradoxaux
La logique du capitalisme est de : « faire de l’argent avec l’argent ». Il est né global et financier La finance en est son cerveau. Elle développe ce processus dont l’objet est infini, car la quête d’argent ne rencontre aucune saturation. Mais il est de plus en plus perceptible qu’elle se heurte à la finitude de la planète.
Le rapport social sur lequel cette logique s’appuie est la reconnaissance et la sauvegarde de la propriété privée, qui est la seule légitimité reconnue à la puissance publique pour parvenir à une société de marché, le marché étant le seul lien social inhérent au capitalisme.
De son côté, la démocratie est un rapport social énigmatique. Elle signifie étymologiquement que le peuple a le pouvoir sur lui-même. C’est donc une autoréférence. Le terme démocratie dit seulement que le peuple est souverain, pas comment doit s’exercer le pouvoir. Or le pouvoir n’inclut aucune valeur éthique. La question est donc : comment le pouvoir est-il légitime ?
Pour parvenir à ce que l’appartenance sociale soit reconnue, il faut des médiations par des contrepouvoirs légitimes et efficaces. L’instauration de ces contrepouvoirs est tout l’enjeu des luttes sociales. L’Etat, qui reçoit sa légitimité du peuple dans un ordre constitutionnel, est le garant ultime de ces médiations. Ce système d’interdépendances est fragile. Il est miné par la pénétration des lobbies au sein de la puissance publique. Le néolibéralisme a poussé cette capture à l’extrême.
Le néolibéralisme a entraîné la dégradation de la démocratie par la recherche de la rente
La libéralisation financière a favorisé une concentration énorme de capital qui a créé une économie de rentes : rente financière favorisée par l’endettement à bas coûts, rente digitale par capture des plateformes Internet et appropriation gratuite des données individuelles par les GAFAM, rente d’agglomération spatiale dans les métropoles qui dévastent les territoires par dépérissement des villes moyennes et désertification rurale, rente d’influence sur la puissance publique qui se nourrit de l’évasion fiscale.
Ce capitalisme rentier fait des ravages de plus en plus étendus au sein des nations (explosion des inégalités, fragmentation sociale et prolifération de la pauvreté, vulnérabilités financières) et entre les nations par la guerre commerciale. Ces dysfonctionnements fractionnent les chaînes de valeur internationales et renforcent l’incertitude qui provoque la ruée de la richesse vers les actifs sûrs, conduisant à un risque de stagnation séculaire globale. Ce risque est reconnu et mis en évidence par les institutions internationales. Car la distorsion de la répartition des revenus provoque une insuffisance chronique de demande qui est devenue structurellement déficiente et une augmentation de l’épargne de précaution.
Nourrie par la surliquidité injectée par les banques centrales, la dette obligataire des entreprises est devenue très élevée dans les segments à haut risque, notamment aux US (leveraged loans), entraînant des vulnérabilités dans les bilans face au risque de remontée brutale des taux et de forte hausse du dollar par rapport aux devises de pays émergents fortement endettés en dollars.
Les relations internationales se dégradent très vite, caractéristique des temps de ruptures et facteurs d’un ralentissement de la croissance mondiale, lequel peut faire retour sur des montées nationalistes et des conflits politiques conduisant à une déglobalisation.
Le besoin d’un nouveau contrat social pour une croissance inclusive et soutenable
L’ère du néolibéralisme arrive à son terme parce qu’il est insoutenable face aux défis de ce siècle. Le problème du choix social à affronter doit incorporer les contraintes écologiques et poursuivre l’équité sociale. Un régime de croissance soutenable et autoentretenu englobe quatre propositions formant un cercle vertueux :
-
Il ne peut y avoir de transition écologique sans justice sociale réelle et perçue.
-
La justice sociale implique le plein emploi, des salaires décents et une protection sociale préservée.
-
Ces objectifs de politique économique requièrent la transformation des structures de production dans le sens d’une économie circulaire rétablissant une complémentarité urbaine rurale sur les territoires.
-
Une économie circulaire ne peut être atteinte sans transition écologique.
Selon Rawls, La base de la justice est la jouissance des biens premiers dont nul ne doit être privé pour qu’une société puisse être déclarée juste. Ce sont des biens publics ou rendus tels : logement décent, accès égal aux services de santé, d’éducation de base, de transports publics, sécurité, environnement sain. Leur production implique l’action publique, donc le retour de l’Etat. Cette impulsion n’est pas compatible avec l’état actuel des institutions. Elle requiert un mouvement social capable de régénérer la démocratie pour sortir du néolibéralisme. Elle concerne principalement deux domaines pour se diriger vers une croissance inclusive et soutenable. Ce sont l’entreprise selon une gouvernance de codétermination et le territoire par la mise en œuvre d’une économie circulaire. Celle-ci est le domaine où peuvent s’élaborer les compromis entre partenaires sociaux, associations de citoyens et autorités publiques locales, dans des sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC).
La gouvernance des entreprises capable de donner un contenu à un capitalisme responsable implique 5 modalités de responsabilité. La première est que les entreprises payent leurs impôts ; mettre fin à l’évasion fiscale. La seconde est d’investir dans le capital humain de l’entreprise comme une dimension essentielle de la stratégie à tous les niveaux de l’organisation. La troisième est d’adopter un modèle de gouvernance qui facilite et récompense l’innovation à tous les niveaux du processus collectif de création de valeur. La quatrième est d’accepter une régulation qui rend les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance transparente) obligatoires pour que la hiérarchie managériale soit responsable des principes qu’elle prétend servir. La cinquième concerne les investisseurs institutionnels qui devraient désinvestir des entreprises qui ne respectent pas les standards sociaux et environnementaux.
Référence : « Capitalisme. Le temps des ruptures », novembre 2019, éd. Odile Jacob.