Entre la Chine et les États-Unis, "c’est seulement une trêve commerciale qui a été signée, pas la paix"
Donald Trump a-t-il obtenu gain de cause ?
Le déficit des États-Unis vis-à-vis de la Chine va sans doute se réduire grâce aux engagements d’achat pris par Pékin. Mais va-t-il se réduire avec l’ensemble des partenaires ? Rien n’est moins sûr. D’abord parce que la question du déficit courant est un problème macroéconomique qui résulte d’un déséquilibre entre l’investissement et l’épargne. Ensuite, on peut très bien imaginer que les États-Unis exportent vers la Chine ce qu’ils exportaient ailleurs. Ce qui ressemblerait à un jeu à somme nulle.
Il n’est même pas certain que les objectifs d’achat fixés par l’accord soient atteints. Avant le début de la guerre commerciale, en 2017, les Américains exportaient 24 milliards de dollars [21,5 milliards d’euros, au cours actuel] de produits agricoles vers la Chine. Dans le nouvel accord, il faudrait qu’ils en exportent 16 milliards de dollars de plus chaque année. Cela risque d’être difficile, d’autant plus que le soja est la première denrée agricole américaine exportée vers la Chine, où la demande a récemment diminué à cause des abattages massifs destinés à éviter la propagation de peste porcine.
L’accord comporte-t-il des avancées importantes ?
La plupart des droits de douane additionnels imposés par les États-Unis ces deux dernières années restent en place. Les subventions industrielles chinoises massives accusées de distorsion commerciale ne sont pas mentionnées dans l’accord. Or, ce texte ne favorise pas la réindustrialisation des États-Unis. Au contraire, certaines dispositions qui protègent mieux la propriété intellectuelle ou bloquent les transferts forcés de technologie encouragent les entreprises américaines à s’installer en Chine. Et la procédure d’appel prévue en cas de différend ne repose sur aucun socle institutionnel. Elle ne prévoit pas de tierce partie. Cet accord marque une désescalade des tensions entre les deux pays, mais ne règle pas grand-chose sur le fond.
En forçant la Chine à s’approvisionner auprès des États-Unis, cet accord va-t-il pénaliser d’autres partenaires, comme les Européens ?
C’est un sujet de préoccupation important et légitime pour tous les partenaires commerciaux de la Chine. Les exportations agricoles du Brésil, de l’Argentine et de l’Australie risquent d’être impactées, de même que celles de Corée du Sud, de Taïwan et du Japon dans le secteur électronique. En Europe, c’est surtout l’industrie lourde et aéronautique qui est la plus exposée. L’accord comporte aussi un article sur les appellations d’origine contrôlée, qui pourrait être utilisé pour inciter la Chine à limiter la portée des concessions qu’elle vient de faire à Bruxelles sur ce sujet. Cela laisse à penser que les Américains n’ont peut-être pas renoncé à exporter du champagne californien en Chine. Enfin, si Donald Trump veut à nouveau brandir la menace de guerre commerciale lors de sa campagne électorale, ne risque-t-il pas de se tourner cette fois-ci contre l’Europe ? Cette crainte n’est pas sans fondement.
Cet accord est-il une bonne nouvelle pour le commerce mondial ?
Il met fin à l’escalade des tensions commerciales, mais c’est un coup de canif dans le système multilatéral fondé sur des règles. Deux principes sont bafoués : celui qui interdit de favoriser des partenaires commerciaux par rapport à d’autres, et celui qui interdit les restrictions quantitatives. Les résultats, qui dépendent des rapports de force entre États, comptent désormais plus que les règles. Le bras de fer risque de continuer, car il n’y a pas eu de concessions substantielles des deux côtés. C’est seulement une trêve qui a été signée, pas la paix.
Lien vers l'article original sur Lemonde.fr
Pour en savoir plus
Phase One Deal : une trêve qui crée plus de problèmes qu’elle n’en résout
CEPII Policy Brief, N°29, janvier 2020
Sébastien Jean