La Grèce va-t-elle faire faillite ?
Retranscription écrite de l'émission du 10 mai "Les idées claires d'Agnès Bénassy Quéré", chronique hebdomadaire sur France Culture le jeudi matin à 7h38
Par Agnès Bénassy-Quéré
On a voté dimanche dernier. Et un tiers seulement des Grecs ont donné leur voix aux deux partis susceptibles de poursuivre le plan convenu avec les bailleurs de fonds du pays, autrement dit avec vous et moi. Sans y voir de contradiction, nos amis grecs confirment dans le même temps, par sondage interposé, leur attachement à l’euro. N’ont-ils pas compris que c’était donnant-donnant : un ajustement brutal contre de l’aide extérieure ? Bien sûr que si, mais ils ont aussi compris que leurs partenaires européens ont besoin que la Grèce reste dans la zone euro car les risques de contagion, en cas ce sécession, sont loin d’être écartés. L’idée des Grecs est donc de négocier tout simplement un ajustement moins rapide sans que le flux d’aide ne se tarisse. Vous l’aurez compris : nous sommes les otages d’une Grèce qui menace de se faire hara-kiri.
Il faut bien comprendre, en effet, que la « faillite » d’un État est une décision politique. Pour une entreprise, les choses sont claires : la faillite est constatée lorsqu’elle ne peut plus faire face à ses engagements, par manque de clients ou de prêteurs. Un administrateur s’occupe alors de vendre les actifs de l’entreprise – bâtiments, équipements – et de rembourser une partie des dettes. Pour un État, c’est une autre affaire. D’abord, l’État ne fait pas véritablement faillite : on ne va pas fermer la Grèce ni vendre l’Acropole aux enchères. L’État fait seulement défaut, c’est-à-dire qu’il cesse de rembourser ses dettes sans que ses créanciers puissent se saisir de quoi que ce soit. Ensuite, un État peut toujours, en théorie du moins, lever de nouveaux impôts pour faire face à ses engagements, alors qu’une entreprise ne peut pas nous contraindre à acheter son produit. Un État décide donc de faire défaut lorsqu’il devient politiquement trop coûteux de ponctionner davantage les contribuables.
Plusieurs facteurs favorisent une telle décision : des impôts déjà très lourds ou mal acceptés ; une dette détenue surtout à l’étranger, dont l’annulation partielle ou totale ne risque pas de mettre en colère les épargnants locaux ; un solde budgétaire qui serait en excédent s’il n’y avait les intérêts de la dette (de sorte que les nouveaux prêts ne servent qu’à payer dette et intérêts, et non des investissements ou des fonctionnaires). En Grèce, aujourd’hui, ces trois facteurs défavorables sont réunis : (1) les impôts représentent 41% du PIB, moins que la moyenne de la zone euro (45%) et bien sûr moins que la France (51%), mais ces impôts sont mal acceptés car mal répartis ; (2) la dette est en grande partie détenue à l’étranger, en France et en Allemagne en particulier ; (3) hors intérêts de la dette, les finances publiques seront proches de l’équilibre en 2012. Conclusion : la Grèce a peu d’incitations à rembourser ses dettes et c’est pourquoi son pouvoir de négociation avec ses partenaires européens est fort. En mars dernier, les créanciers privés ont accepté d’abandonner la moitié de leurs créances, soit environ 100 milliards d’euros. Il n’est pas impossible que nous nous acheminions désormais vers une réduction de dette négociée pour la partie, désormais majoritaire, entre les mains de créanciers publics. Cela représente tout de même plusieurs centaines d’euros pour chaque auditeur de France Culture. Seule consolation : si la Grèce sortait de la zone euro, une hypothèse hélas envisageable aujourd’hui, la facture serait encore plus salée.