Les ressources naturelles : enjeu clef dans l’intégration régionale des pays d’Afrique du Nord et du Moyen Orient
Le processus d’intégration régionale dans la région Moyen Orient et Afrique du Nord (MOAN) tarde à progresser. En cause, la réticence des pays riches en ressources naturelles à étendre des accords commerciaux qui leurs sont défavorables.
Par Julien Gourdon, Céline Carrère, Marcelo Olarreaga
L’intégration régionale redessine les frontières du commerce mondial et la région Moyen Orient et Afrique du Nord a elle aussi mis en place plusieurs accords régionaux ces quinze dernières années. Cependant, le commerce intra-régional ne semble pas avoir significativement profité de l’accord de la Zone Arabe de Libre Echange (ZALE) ni des autres accords régionaux (Accords d’Agadir, Conseil de Coopération du Golfe CCG). De nombreux progrès pourraient encore être menés afin d’aboutir à une meilleure intégration régionale.
Pourtant, le processus d’intégration tarde. Plusieurs raisons peuvent être pointées du doigt, différentes selon l’accord considéré :
- la faible complémentarité des productions : les pays signataires des accords d’Agadir ou du CCG présentent de fortes similitudes en termes de dotations en ressources, capacités de production et structure des exportations. Dès lors, ces accords régionaux n’apparaissent pas comme vecteurs de spécialisation ni de diversification des exportations et sont donc moins attractifs pour les pays adhérents.
- des pays hétérogènes en termes de dotations en ressources naturelles : La ZELA en est un bel exemple. Les écarts de ressources pourraient constituer, dans ce cas, un frein à l’intégration commerciale. Quelles en seraient les raisons ?
L’enjeu des ressources naturelles dans l’intégration régionale
De nombreuses études cherchent à analyser les liens entre ressources naturelles et intégration régionale. Le rapport sur le commerce mondial (OMC, 2010) décrit la dilution de nombreux accords régionaux entre pays en développement dans les années 1970, alors que les chocs pétroliers accentuaient la dichotomie entre pays importateurs et exportateurs nets de matières premières. Les ressources naturelles sont souvent perçues comme un stock de capital national et stratégique qui devrait être à disposition des intérêts nationaux uniquement, et ne devrait pas être librement accessible aux pays partenaires. Ainsi, comme l’ont souligné Fouquin et al. (2006), un tel comportement peut freiner l’aboutissement d’une intégration régionale. L’intégration nécessiterait que les pays les plus dotés en ressources supportent un poids plus important de l’intégration, même si cela implique d’envisager une redistribution des revenus entre pays.
Une étude théorique récente de Venables (2011) vient appuyer ce propos en se fondant sur les concepts connus de création et de détournement de commerce. La création du commerce a lieu lorsque la réduction (ou la suppression) des tarifs résultant de l’accord permet au pays partenaire d’importer des produits moins chers. Le détournement du commerce apparaît lorsque l’augmentation des échanges entre les pays formant un accord se fait au détriment d’un pays tiers, qui, si tous les pays étaient traités de façon égale, serait celui dont les importations coûteraient le moins cher.
L’auteur suggère que lorsque la région comprend à la fois des pays riches et des pays pauvres en ressources naturelles les pays riches en ressources risquent subir un détournement de commerce. En effet, si l’accord préférentiel intervient entre un pays abondant en ressources et un pays pauvre en ressources mais disposant d’un secteur manufacturier en croissance, le tarif préférentiel générera une création de commerce pour ce dernier. Il bénéficiera d’un accès privilégié au marché du pays partenaire et pourra importer plus de ressources naturelles. Il y aura peu de détournement de commerce pour ce pays pauvre en ressources si son partenaire n’est spécialisé qu’en ressources naturelles. En revanche, le pays riche en ressources subira un détournement de commerce puisqu’il importera davantage de produits manufacturés du pays partenaire au détriment du reste du monde, plus efficient.
L’intégration régionale de la région du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord (MOAN)
La région MOAN inclut à la fois des pays pauvres et des pays riches en ressources naturelles. Suivant le modèle de Venables, l’intégration régionale pourrait redistribuer les richesses dans la région. Les pays pauvres en ressources naturelles auraient alors une forte incitation à la mise en place d’accords régionaux qui leurs permettraient d’accéder à des rentes dans les pays riches en ressources. Mais ces derniers perdraient en termes d’efficience de leurs importations.
Dans un récent document de travail du CEPII, Carrère et al. (2012) trouvent que le commerce intra-régional a augmenté dans tous les cas et qu’il y a eu détournement de commerce dans le seul cas de la ZELA. Les auteurs testent alors la prédiction de Venables et constatent, qu’effectivement, la principale source de détournement de commerce dans la ZELA a été, pour les pays riches en ressources, la substitution des importations en provenance du reste du monde par des importations en provenance des pays partenaires pauvres en ressources.
Les auteurs mesurent alors l’hétérogénéité dans le détournement de commerce subi par les pays au sein de la ZELA. Ils calculent la variation en pourcentage des importations en provenance du reste du monde (détournement de commerce si la valeur est négative) en fonction de ce qu’était la concentration des exportations suite à la mise en place des accords. Les pays les plus riches en ressources sont ceux qui présentent une plus forte concentration des exportations. Ces pays subissent les plus forts détournements de commerce, avec, en moyenne, plus de 20% des importations détournées.
Ces résultats suggèrent que les principaux bénéficiaires de la ZELA ont été les pays pauvres en ressources naturelles, qui ont bénéficié de la création de flux d’importations depuis les pays riches ainsi que du détournement de commerce subi par les pays riches en ressources. Cela signifie que la zone de libre échange a, en quelque sorte, permis une redistribution des revenus entre pays riches et pays pauvres en ressources naturelles. Ceci explique également la réticence des pays riches en ressources à approfondir ce type d’accord.
Ainsi, bien que l’intégration régionale soit une voie importante pour favoriser la diversification des pays pauvres en ressources de la région MENA, il faut considérer que les pays riches en ressources n’y ont pas d’incitation économique. Les futures négociations sur les accords régionaux devront en tenir compte. La libéralisation commerciale sur la base des tarifs NPF apparaît comme la meilleure façon de renforcer l’intégration commerciale.
Référence :
"Regional Integration and Natural Resources: who benefits? Evidence from MENA", CEPII Working Paper n°2012-09, by Julien Gourdon, Celine Carrere et Marcelo Olarreaga, May 2012.
Pourtant, le processus d’intégration tarde. Plusieurs raisons peuvent être pointées du doigt, différentes selon l’accord considéré :
- la faible complémentarité des productions : les pays signataires des accords d’Agadir ou du CCG présentent de fortes similitudes en termes de dotations en ressources, capacités de production et structure des exportations. Dès lors, ces accords régionaux n’apparaissent pas comme vecteurs de spécialisation ni de diversification des exportations et sont donc moins attractifs pour les pays adhérents.
- des pays hétérogènes en termes de dotations en ressources naturelles : La ZELA en est un bel exemple. Les écarts de ressources pourraient constituer, dans ce cas, un frein à l’intégration commerciale. Quelles en seraient les raisons ?
L’enjeu des ressources naturelles dans l’intégration régionale
De nombreuses études cherchent à analyser les liens entre ressources naturelles et intégration régionale. Le rapport sur le commerce mondial (OMC, 2010) décrit la dilution de nombreux accords régionaux entre pays en développement dans les années 1970, alors que les chocs pétroliers accentuaient la dichotomie entre pays importateurs et exportateurs nets de matières premières. Les ressources naturelles sont souvent perçues comme un stock de capital national et stratégique qui devrait être à disposition des intérêts nationaux uniquement, et ne devrait pas être librement accessible aux pays partenaires. Ainsi, comme l’ont souligné Fouquin et al. (2006), un tel comportement peut freiner l’aboutissement d’une intégration régionale. L’intégration nécessiterait que les pays les plus dotés en ressources supportent un poids plus important de l’intégration, même si cela implique d’envisager une redistribution des revenus entre pays.
Une étude théorique récente de Venables (2011) vient appuyer ce propos en se fondant sur les concepts connus de création et de détournement de commerce. La création du commerce a lieu lorsque la réduction (ou la suppression) des tarifs résultant de l’accord permet au pays partenaire d’importer des produits moins chers. Le détournement du commerce apparaît lorsque l’augmentation des échanges entre les pays formant un accord se fait au détriment d’un pays tiers, qui, si tous les pays étaient traités de façon égale, serait celui dont les importations coûteraient le moins cher.
L’auteur suggère que lorsque la région comprend à la fois des pays riches et des pays pauvres en ressources naturelles les pays riches en ressources risquent subir un détournement de commerce. En effet, si l’accord préférentiel intervient entre un pays abondant en ressources et un pays pauvre en ressources mais disposant d’un secteur manufacturier en croissance, le tarif préférentiel générera une création de commerce pour ce dernier. Il bénéficiera d’un accès privilégié au marché du pays partenaire et pourra importer plus de ressources naturelles. Il y aura peu de détournement de commerce pour ce pays pauvre en ressources si son partenaire n’est spécialisé qu’en ressources naturelles. En revanche, le pays riche en ressources subira un détournement de commerce puisqu’il importera davantage de produits manufacturés du pays partenaire au détriment du reste du monde, plus efficient.
L’intégration régionale de la région du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord (MOAN)
La région MOAN inclut à la fois des pays pauvres et des pays riches en ressources naturelles. Suivant le modèle de Venables, l’intégration régionale pourrait redistribuer les richesses dans la région. Les pays pauvres en ressources naturelles auraient alors une forte incitation à la mise en place d’accords régionaux qui leurs permettraient d’accéder à des rentes dans les pays riches en ressources. Mais ces derniers perdraient en termes d’efficience de leurs importations.
Dans un récent document de travail du CEPII, Carrère et al. (2012) trouvent que le commerce intra-régional a augmenté dans tous les cas et qu’il y a eu détournement de commerce dans le seul cas de la ZELA. Les auteurs testent alors la prédiction de Venables et constatent, qu’effectivement, la principale source de détournement de commerce dans la ZELA a été, pour les pays riches en ressources, la substitution des importations en provenance du reste du monde par des importations en provenance des pays partenaires pauvres en ressources.
Les auteurs mesurent alors l’hétérogénéité dans le détournement de commerce subi par les pays au sein de la ZELA. Ils calculent la variation en pourcentage des importations en provenance du reste du monde (détournement de commerce si la valeur est négative) en fonction de ce qu’était la concentration des exportations suite à la mise en place des accords. Les pays les plus riches en ressources sont ceux qui présentent une plus forte concentration des exportations. Ces pays subissent les plus forts détournements de commerce, avec, en moyenne, plus de 20% des importations détournées.
Ces résultats suggèrent que les principaux bénéficiaires de la ZELA ont été les pays pauvres en ressources naturelles, qui ont bénéficié de la création de flux d’importations depuis les pays riches ainsi que du détournement de commerce subi par les pays riches en ressources. Cela signifie que la zone de libre échange a, en quelque sorte, permis une redistribution des revenus entre pays riches et pays pauvres en ressources naturelles. Ceci explique également la réticence des pays riches en ressources à approfondir ce type d’accord.
Ainsi, bien que l’intégration régionale soit une voie importante pour favoriser la diversification des pays pauvres en ressources de la région MENA, il faut considérer que les pays riches en ressources n’y ont pas d’incitation économique. Les futures négociations sur les accords régionaux devront en tenir compte. La libéralisation commerciale sur la base des tarifs NPF apparaît comme la meilleure façon de renforcer l’intégration commerciale.
Référence :
"Regional Integration and Natural Resources: who benefits? Evidence from MENA", CEPII Working Paper n°2012-09, by Julien Gourdon, Celine Carrere et Marcelo Olarreaga, May 2012.