Pourquoi le lien entre immigration et délinquance est une illusion
L’immigration suscite des craintes persistantes, en partie liées à la perception qu’immigration et délinquance vont de pair. La Commission nationale consultative des droits de l’homme rappelait ainsi, en 2022, que 52 % des Français considéraient l’immigration comme la principale cause d’insécurité.
Plus récemment, le projet de loi repoussé sur l’immigration proposait de « rendre possible l’éloignement d’étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public ». Pourtant, les recherches en sciences sociales montrent que l’immigration n’est pas la cause de la délinquance. C’est ce décalage entre réalités et perceptions que nous avons cherché à comprendre dans la lettre d’avril 2023 du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII).
La perception d’un lien entre immigration et délinquance repose principalement sur l’observation d’une surreprésentation des étrangers (immigrés n’ayant pas acquis la nationalité française) dans les statistiques sur la délinquance. En France, la proportion d’étrangers dans la population totale était, en 2019, de 7,4 %, mais s’élevait à 14 % parmi les auteurs d’affaires traitées par la justice, à 16 % dans ceux ayant fait l’objet d’une réponse pénale et à 23 % des individus en prison.
De nombreux facteurs, certains quasi mécaniques, peuvent expliquer cette surreprésentation sans que le statut d’immigré ne soit en lui-même lié à une probabilité plus forte de commettre une infraction.
Une probabilité? de contrôle plus forte
Tout d’abord, certains délits ne peuvent, par définition, être commis que par des étrangers (soustractions à l’exécution d’une mesure de reconduite à la frontière, travail sans titre de séjour, etc.). De plus, ces infractions sont résolues lorsqu’elles sont constatées puisque l’auteur de l’infraction est identifié sur-le-champ. De ce fait, elles peuvent faire l’objet d’un ciblage particulier lors de pressions politiques à l’amélioration des statistiques, comme lors de la mise en place de la « politique du chiffre » entre 2002 et 2012.
Ensuite, les immigrés présentent des caractéristiques individuelles qui les rendent plus susceptibles d’être en infraction avec la loi. Les hommes, jeunes, sont ainsi surreprésentés dans la population immigrée, deux caractéristiques systématiquement associées à des niveaux de délinquance plus élevés.
Surtout, les immigrés sont en moyenne plus pauvres que les natifs. Or, la précarité économique reste un des principaux déterminants de la délinquance. Ce n’est donc pas le fait d’être immigré en soi qui conduit à plus de délinquance, mais des caractéristiques qui, lorsqu’elles se retrouvent chez les natifs, conduisent également à plus de délinquance.
À caractéristiques similaires, les étrangers sont plus souvent et plus longtemps condamnés que les Français.
Enfin, les immigrés subissent un traitement différencié? à toutes les étapes du système pénal : de la probabilité? d’arrestation à celle d’être incarcéré. Ainsi, les minorités visibles issues de l’immigration ont une probabilité? plus forte d’être contrôlées, mais aussi de recevoir des peines plus lourdes. En moyenne, pour un même délit avec les mêmes antécédents judiciaires, en ayant suivi la même procédure et avec les mêmes caractéristiques individuelles (âge, sexe, lieu et date de jugement), les étrangers ont non seulement une probabilité plus forte (de 5 points de pourcentage) que les Français d’avoir une peine de prison ferme, mais sa durée est également plus longue, de 22 jours.
Dynamiques locales
Ce traitement différencié entre immigrés et natifs se retrouve aussi dans les médias. Des recherches ont montré que la presse pouvait renforcer les croyances initiales sur le lien entre immigration et délinquance en reportant plus systématiquement les infractions commises par les immigrés ou en divulguant de manière plus fréquente l’origine des suspects lorsqu’ils sont immigrés.
La perception d’un lien entre immigration provient aussi de l’observation par les natifs d’un plus grand nombre d’infractions reportées dans les zones ou les immigrés sont majoritairement installés. Or, pour évaluer l’impact de l’immigration sur la délinquance, il est nécessaire de dépasser cette simple comparaison qui ignore que les immigrés ne se répartissent pas de manière uniforme sur le territoire national. Leur présence est en effet plus concentrée près des frontières, zones plus propices aux trafics, ou dans des quartiers où les logements sont plus abordables et qui concentrent le plus souvent des populations pauvres ou marginalisées.
De plus, les vagues migratoires, plus soudaines et perceptibles que des changements démographiques de long terme, augmentent le nombre d’infractions, dans la mesure où il y a plus d’habitants, mais sans nécessairement augmenter le taux de délinquance par habitant. Et quand bien même on adopterait le bon raisonnement en taux, l’augmentation simultanée de la part de la population immigrée et des infractions ne vaut pas preuve que les immigrés en sont la cause car des dynamiques locales peuvent être à l’œuvre.
Par exemple, le départ de natifs d’une zone dans laquelle la délinquance et la pauvreté sont en augmentation peut libérer des logements sociaux et attirer de nouveaux immigrés. Immigration et délinquance augmentent alors de concert sans que l’immigration n’en soit la cause.
Face à ces difficultés, les recherches en sciences sociales se sont penchées sur la question du lien entre immigration et délinquance en prenant soin d’éliminer les bais précédemment évoqués. La conclusion de ces études est sans appel. L’immigration n’est pas à l’origine d’une augmentation des taux de délinquance.
La régularisation entraîne une baisse des infractions
Au Royaume-Uni, une étude a examiné l’effet de deux vagues migratoires récentes, la première liée aux guerres d’Irak, d’Afghanistan et de Somalie à la fin des années 1997-2002, la seconde, à l’entrée de huit anciens pays de l’Est dans l’Union européenne entre 2004 et 2008. Pour les deux vagues, les localités ayant accueilli plus d’immigrés n’ont pas vu leur taux d’infractions moyen évoluer plus rapidement que dans le reste du pays.
En revanche, une légère augmentation des atteintes aux biens a été observée pour la première vague des années 2000. Cette différence provient d’un accès au marché du travail différent : là où les nouveaux citoyens de l’Union européenne avaient le droit d’exercer un emploi, les demandeurs d’asile ne pouvaient pas travailler légalement la première année de leur arrivée sur le sol britannique.
Ce constat est confirmé par d’autres travaux. En Italie, un dispositif de décembre 2017 permettait aux immigrés en situation irrégulière de faire une demande de régularisation en ligne. Les permis de travail étaient accordés dans l’ordre des demandes et jusqu’à épuisement de quotas préalablement définis.
Avec ce dispositif, des immigrés s’étant connectés au site à quelques minutes, voire à quelques secondes d’intervalle, se sont trouvés dans des situations très différentes : ceux ayant demandé un visa juste avant l’épuisement des quotas ont acquis le droit de travailler et de résider légalement en Italie, tandis que ceux ayant posté leur dossier l’instant d’après sont restés sans-papiers. En comparant ces deux groupes, il apparaît que les immigrés ayant obtenu un visa ont eu une probabilité deux fois plus faible de commettre une infraction au cours de l’année suivante. Une différence qui s’explique entièrement par une baisse significative des infractions générant des revenus, telles que les vols et les trafics.
Immigration et délinquance ne sont donc pas liées, une fois les raisonnements simplificateurs écartés. Au contraire, si la surreprésentation quasi mécanique des immigrés dans les statistiques peut créer l’illusion d’une relation entre immigration et délinquance, les études rigoureuses montrent qu’il n’en est rien. Des résultats à garder en tête lors des discussions autour de la loi immigration à venir pour traiter le sujet sans passion et au plus près des réalités.