Croissance, un sujet qui dérange ?
Retranscription écrite de l'émission du 14 juin "Les idées claires d'Agnès Bénassy Quéré", chronique hebdomadaire sur France Culture le jeudi matin à 7h38
Par Agnès Bénassy-Quéré
Audio du 14 juin 2012
Les dirigeants européens se retrouveront les 28 et 29 juin pour prendre des décisions importantes en faveur de la croissance. Il sera question de la Banque européenne d’investissement, des fonds structurels et des PME. Mais on peut parier que le vrai sujet de fond sera soigneusement évité. Quel est donc ce sujet qui dérange ?
Lorsqu’on lit l’abondante littérature anglo-mathématique sur la croissance, on est assez vite convaincu que pour maximiser son taux de croissance, un pays doit affecter ses facteurs de production (travail, capital physique et humain) là où ils seront les plus productifs. Il faut donc investir prioritairement dans les secteurs où le pays a un avantage par rapport à ses concurrents, mais aussi concentrer l’activité dans les régions les plus favorables du point de vue productif : des régions si possible peuplées et bien connectées. En s’installant dans une région déjà forte, une entreprise bénéficie d’un marché dynamique, d’une main d’œuvre abondante, d’un réseau de sous-traitant, etc. L’action publique peut contribuer à faire émerger de nouveaux pôles d’activité – c’est l’objet des pôles de compétitivité français. Mais il n’est pas optimal de couvrir le territoire d’activités productives de manière uniforme. Le corollaire est donc de savoir redistribuer les fruits de la croissance des régions favorisées par ces effets d’agglomération vers celles qui restent à l’écart. Cette redistribution est opérée en France par le budget public. Certaines régions contribuent plus qu’elles ne reçoivent tandis que c’est l’inverse pour d’autres.
Transposons notre raisonnement au niveau européen. Pour maximiser le taux de croissance en Europe, il ne faut pas hésiter à concentrer les ressources là où elles sont les plus productives. L’image d’une dorsale européenne partant de Londres, traversant les Pays-Bas, la Belgique, le quart nord-est de la France, la vallée du Rhin et aboutissant aux environs de Milan, est peut-être un peu dépassée ; il n’en demeure pas moins que les activités doivent, pour être efficaces, se regrouper autour d’un petit nombre de métropoles. Corollaire : les régions riches doivent céder une partie de leurs revenus aux régions restées à la marge de l’élan productif. En clair, il peut être bon de concentrer l’activité productive en Allemagne, si c’est là qu’elle est la plus efficace, mais il faut en contrepartie que ce pays accepte une redistribution substantielle vers d’autres régions d’Europe. On est loin du compte avec le budget européen actuel – à peine plus d’un pourcent du PIB communautaire.
En l’absence d’une telle « union de transferts », il faudra donc renoncer à maximiser le taux de croissance au niveau européen. Chaque pays devra développer une activité productive assez riche pour lui permettre d’équilibrer exportations et importations. Pour cela, il faudra autoriser chacun à mener des politiques industrielles volontaristes, contrevenant le cas échéant aux règles actuelles de la concurrence, mais aussi coordonner les politiques de demande pour éviter que chaque pays ne compte sur ses voisins pour tirer sa croissance.
En bref, l’Allemagne ne peut refuser à la fois de réduire son excédent commercial et de redistribuer sa richesse. Voilà le vrai sujet qui fâche.
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