Le double langage germanique
L’état d’esprit qui règne dans la zone euro subit à l’heure actuelle un de ces renversements qui ont scandé la tragédie européenne depuis mai 2012, sans doute plus grave et plus dangereux cette fois-ci.
Par Michel Aglietta
Billet du 3 octobre 2012
Après le sommet européen du 29 juin le monde entier avait cru que cette fois on tenait le bon bout avec l’accord sur la réalisation d’une union bancaire. La BCE devait devenir le superviseur des banques dès le début de l’année 2013 ; ce qui devait permettre au MES (mécanisme européen de stabilité) de prendre en charge la recapitalisation des banques espagnoles. Puis est venue la divine surprise de l’annonce de Mario Draghi le 6 septembre du programme d’achats d’obligations souveraines de la BCE, dit programme OMT (Outright Monetary Transactions). Une semaine plus tard la redoutable Cours de Karlsruhe donnait son aval à la création du MES. Il semblait qu’enfin le cercle vicieux nourrissant la double crise souveraine et bancaire allait être brisé.
Après un été paisible, les marchés financiers ont été pris début septembre d’une euphorie caractéristique de leur exagération habituelle en réponse aux « news ». Une correction était attendue parce que la situation macroéconomique de la zone euro se détériore à une vitesse alarmante, tant dans la zone euro que dans le monde où le ralentissement est généralisé. En zone euro la situation est particulièrement sérieuse parce que les pays basculent en récession les uns après les autres. Le piège de l’austérité se ferme sur les pays d’Europe du Sud. La cascade de plans de restriction espagnols équivaut à une contraction de 10% de la consommation des ménages. En Italie la chute de la demande interne est de 6% et le chômage s’envole. Le pays glisse en dépression. On conçoit dans ces conditions que l’euphorie boursière ait été stoppée net. Mais il y a pire. Les taux d’intérêts sur les obligations espagnoles qui avaient baissé de manière spectaculaire après l’annonce de Mario Draghi ont remonté en flèche deux semaines après, entraînant comme précédemment les taux italiens. C’est qu’une succession de déclarations allemandes a pratiquement anéanti le potentiel de résolution de la crise contenu dans la réalisation de l’union bancaire et dans le programme OMT.
Considérons d’abord le programme OMT. Mario Draghi avait bien pris soin d’expliquer que ce programme avait pour but de rétablir le mécanisme de transmission d’une politique monétaire unique pour la zone euro, donc de se donner les moyens de respecter son mandat. En effet, les marchés financiers sont pris dans une logique auto réalisatrice où la crainte d’un éclatement de la zone euro entraîne les taux d’intérêt à des niveaux qui rendent impossible la poursuite des politiques de consolidation des dettes publiques. Pour tenter de couper leurs liens avec les pays aux abois, les banques allemandes, françaises et d’autres pays du Nord vendent massivement leurs actifs et se replient sur leur espace national. Il s’ensuit une fragmentation de l’espace financier européen qui annihile l’efficacité de la politique monétaire. Il s’ensuit que le programme OMT est dans l’intérêt des entreprises et des banques allemandes et de quiconque pense que la préservation de l’euro est la priorité absolue.
C’était sans compter avec le débat qui fait rage en Allemagne. Le président de la Bundesbank Jens Weidmann, qui s’était opposé à la grande majorité des membres du conseil de la BCE au sujet de l’OMT, a comparé Mario Draghi à Méphisto dans le « Faust » de Goethe. Le gouvernement allemand, qui avait accepté l’initiative de la BCE, ne veut surtout pas qu’elle soit mise en œuvre et pour cela décourage fermement l’Espagne de demander officiellement l’aide européenne, la condition pour déclencher le programme OMT. Pour verrouiller le tout, l’usage du nouvel instrument monétaire est placé sous la tutelle du Bundestag. En outre, pour que ce programme soit efficace il faudrait aussi traiter le problème de la fragilité bancaire, donc engager le MES dans la recapitalisation des banques espagnoles. Là encore l’Allemagne fait entendre son double langage.
A la fois pour ménager la Bundesbank dont l’influence en Allemagne est grande, pour poursuivre la mansuétude dont ont bénéficié les banques allemandes depuis 2008 et par hostilité à tout mécanisme direct ou indirect de transfert, Angela Merkel et Wolfgang Schäuble cherchent à vider l’union bancaire de son contenu. La BCE superviseur des banques européennes ? Seulement de quelques grandes banques et surtout pas des banques de Lander. Un Fonds européen d’assurance des dépôts ? Jamais de la vie ! Les recapitalisations directes des banques par le MES ? En aucun cas pour les actifs non performants hérités de la crise, seulement pour les problèmes qui pourraient se produire dans l’avenir. Enfin pour mettre le MES hors jeu le gouvernement allemand précise que les recapitalisations ne pourront pas commencer avant que l’union bancaire ne soit parachevée, ce à quoi il met des barrières qu’il espère infranchissables.
Autant dire que l’on est revenu à l’état du débat sur l’avenir de la zone euro qui prévalait avant le sommet du 29 juin. Mais dans ces trois mois la situation économique s’est fortement dégradée et le climat social devient dangereusement proche d’être incontrôlable dans certains pays. En Espagne le risque de déchirement du pays a fortement augmenté avec l’incapacité du gouvernement central de prendre en charge les trous dans les finances publiques des provinces. L’Italie est un pays industriel dynamique qui n’a jamais eu de bulle immobilière et, qui a certes a une dette publique élevée, mais qui l’a gérée depuis plus de trente ans grâce à une épargne des ménages fidèle à l’habitat national. Pourtant le pays paye un prix exorbitant à l’incapacité politique de gérer l’euro comme une monnaie complète. La France s’est engagée dans les objectifs contradictoires de rénover son industrie, ce qui requiert un effort massif d’investissement, et de revenir au fameux déficit mythique de 3% du PIB en un an et en pleine récession européenne. Un effet de boomerang peut finalement heurter l’Allemagne lorsque ses dirigeants et ses milieux d’affaire vont s’apercevoir que la stratégie néo mercantiliste arrive dans une impasse lorsque ses partenaires européens et l’économie mondiale ne sont plus des terrains d’absorption à toute épreuve.
Après un été paisible, les marchés financiers ont été pris début septembre d’une euphorie caractéristique de leur exagération habituelle en réponse aux « news ». Une correction était attendue parce que la situation macroéconomique de la zone euro se détériore à une vitesse alarmante, tant dans la zone euro que dans le monde où le ralentissement est généralisé. En zone euro la situation est particulièrement sérieuse parce que les pays basculent en récession les uns après les autres. Le piège de l’austérité se ferme sur les pays d’Europe du Sud. La cascade de plans de restriction espagnols équivaut à une contraction de 10% de la consommation des ménages. En Italie la chute de la demande interne est de 6% et le chômage s’envole. Le pays glisse en dépression. On conçoit dans ces conditions que l’euphorie boursière ait été stoppée net. Mais il y a pire. Les taux d’intérêts sur les obligations espagnoles qui avaient baissé de manière spectaculaire après l’annonce de Mario Draghi ont remonté en flèche deux semaines après, entraînant comme précédemment les taux italiens. C’est qu’une succession de déclarations allemandes a pratiquement anéanti le potentiel de résolution de la crise contenu dans la réalisation de l’union bancaire et dans le programme OMT.
Considérons d’abord le programme OMT. Mario Draghi avait bien pris soin d’expliquer que ce programme avait pour but de rétablir le mécanisme de transmission d’une politique monétaire unique pour la zone euro, donc de se donner les moyens de respecter son mandat. En effet, les marchés financiers sont pris dans une logique auto réalisatrice où la crainte d’un éclatement de la zone euro entraîne les taux d’intérêt à des niveaux qui rendent impossible la poursuite des politiques de consolidation des dettes publiques. Pour tenter de couper leurs liens avec les pays aux abois, les banques allemandes, françaises et d’autres pays du Nord vendent massivement leurs actifs et se replient sur leur espace national. Il s’ensuit une fragmentation de l’espace financier européen qui annihile l’efficacité de la politique monétaire. Il s’ensuit que le programme OMT est dans l’intérêt des entreprises et des banques allemandes et de quiconque pense que la préservation de l’euro est la priorité absolue.
C’était sans compter avec le débat qui fait rage en Allemagne. Le président de la Bundesbank Jens Weidmann, qui s’était opposé à la grande majorité des membres du conseil de la BCE au sujet de l’OMT, a comparé Mario Draghi à Méphisto dans le « Faust » de Goethe. Le gouvernement allemand, qui avait accepté l’initiative de la BCE, ne veut surtout pas qu’elle soit mise en œuvre et pour cela décourage fermement l’Espagne de demander officiellement l’aide européenne, la condition pour déclencher le programme OMT. Pour verrouiller le tout, l’usage du nouvel instrument monétaire est placé sous la tutelle du Bundestag. En outre, pour que ce programme soit efficace il faudrait aussi traiter le problème de la fragilité bancaire, donc engager le MES dans la recapitalisation des banques espagnoles. Là encore l’Allemagne fait entendre son double langage.
A la fois pour ménager la Bundesbank dont l’influence en Allemagne est grande, pour poursuivre la mansuétude dont ont bénéficié les banques allemandes depuis 2008 et par hostilité à tout mécanisme direct ou indirect de transfert, Angela Merkel et Wolfgang Schäuble cherchent à vider l’union bancaire de son contenu. La BCE superviseur des banques européennes ? Seulement de quelques grandes banques et surtout pas des banques de Lander. Un Fonds européen d’assurance des dépôts ? Jamais de la vie ! Les recapitalisations directes des banques par le MES ? En aucun cas pour les actifs non performants hérités de la crise, seulement pour les problèmes qui pourraient se produire dans l’avenir. Enfin pour mettre le MES hors jeu le gouvernement allemand précise que les recapitalisations ne pourront pas commencer avant que l’union bancaire ne soit parachevée, ce à quoi il met des barrières qu’il espère infranchissables.
Autant dire que l’on est revenu à l’état du débat sur l’avenir de la zone euro qui prévalait avant le sommet du 29 juin. Mais dans ces trois mois la situation économique s’est fortement dégradée et le climat social devient dangereusement proche d’être incontrôlable dans certains pays. En Espagne le risque de déchirement du pays a fortement augmenté avec l’incapacité du gouvernement central de prendre en charge les trous dans les finances publiques des provinces. L’Italie est un pays industriel dynamique qui n’a jamais eu de bulle immobilière et, qui a certes a une dette publique élevée, mais qui l’a gérée depuis plus de trente ans grâce à une épargne des ménages fidèle à l’habitat national. Pourtant le pays paye un prix exorbitant à l’incapacité politique de gérer l’euro comme une monnaie complète. La France s’est engagée dans les objectifs contradictoires de rénover son industrie, ce qui requiert un effort massif d’investissement, et de revenir au fameux déficit mythique de 3% du PIB en un an et en pleine récession européenne. Un effet de boomerang peut finalement heurter l’Allemagne lorsque ses dirigeants et ses milieux d’affaire vont s’apercevoir que la stratégie néo mercantiliste arrive dans une impasse lorsque ses partenaires européens et l’économie mondiale ne sont plus des terrains d’absorption à toute épreuve.
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