La voie chinoise. Capitalisme et Empire. (2/2)
Retranscription écrite de l'émission "Carnets de l'économie", du lundi au jeudi à 17h55 sur France Culture, où Michel Aglietta présente ses analyses sur les mutations de l'économie chinoise.
Par Michel Aglietta
Audio du 16 octobre 2012
>> La voie chinoise. Capitalisme et Empire. (1/2)
Etat des lieux : comment interpréter les signaux d'un ralentissement de la croissance chinoise ? (3/4)
La croissance chinoise a ralenti pour des raisons externes identiques aux autres pays émergents, liées aux répercussions des crises qui affectent le monde développé, et pour des raisons structurelles internes, liées aux contradictions de la croissance intensive en capital.
Les crises occidentales, tout particulièrement celle de la zone euro en 2012, ont des effets néfastes sur les pays émergents. En cause : le fort ralentissement de la croissance ainsi que les politiques monétaires menées par les banques centrales occidentales qui entraînent des mouvements de capitaux instables. Grâce à son contrôle efficace des changes, la Chine a été moins affectée. Cependant la baisse des exportations vers les Etats-Unis et l’Europe accroît à la fois le besoin de redéploiement du commerce extérieur vers les pays en développement et du système productif vers la demande intérieure. C’est là que la conjoncture morose de l’économie mondiale rencontre les problèmes structurels hérités de la croissance intensive en capital.
Les symptômes des dysfonctionnements de la haute croissance industrielle sont bien identifiés : inégalités excessives des revenus, intensité énergétique trop élevée et détérioration environnementale, surcapacités de production dans les industries lourdes, transferts massifs de ressources financières vers les entreprises d’Etat entravant l’essor des PME et entraînant un sous-développement des services.
Pour engager la 3ème phase de la réforme il faut aller au-delà de l’observation des symptômes et identifier la logique des contradictions. Cette analyse est bien comprise du leadership politique. Les dysfonctionnements du système économique viennent de la mauvaise régulation des prix des facteurs de production.
Le marché du travail est en transformation parce que le surplus de main d’œuvre rurale qui avait permis de maintenir le salaire des travailleurs non qualifiés à un niveau très bas s’est tari. Les salaires montent rapidement, soutenus par le gouvernement qui réévalue le salaire minimum au rythme de 20% par an. Une vaste réforme du droit du travail a été promulguée en 2008 qui établit le contrat de travail et donne aux salariés les moyens juridiques de défendre leurs revendications, mais elle reste à appliquer au secteur privé.
Le marché du capital est caractérisé par la concentration bancaire et le contrôle des taux d’intérêt de base par l’Etat. Cela provoque une distorsion dans l’allocation de l’épargne chinoise : coût du capital trop bas pour les grandes entreprises publiques et trop élevé pour les PME dont résulte le sous-développement des services, rémunération trop faible de l’épargne des ménages et insuffisance des marchés obligataires.
Le marché foncier est un enjeu politique majeur parce qu’il est étroitement lié aux ressources financières des gouvernements locaux. Ceux-ci manquent de ressources fiscales pour couvrir les besoins d’infrastructures et de services publics. Ils ont recours à la spoliation des paysans pour capturer les droits d’usage sur les terres rurales de manière construire des parcs industriels produisant de la TVA et des terres constructibles qu’ils revendent aux promoteurs. Il en a résulté le surdimensionnement de l’industrie et la spéculation immobilière.
Enfin dans le domaine de l’énergie et du carbone, les droits d’extraction du charbon ont été très bon marché trop longtemps et les externalités environnementales n’ont pas été reconnues.
Prospective : le modèle chinois de développement durable (4/4)
En Chine les finalités du développement sont politiques. Le développement durable est l’évolution vers la société harmonieuse dont l’avènement implique trois conditions : la souveraineté de l’Etat central unitaire doit être renforcée pour conduire la planification stratégique tournée vers le long terme; les intérêts de la bureaucratie doivent être alignés sur ceux du souverain ; le bien-être du peuple doit être satisfait. Cela implique des politiques inclusives pour généraliser le progrès social et des politiques de conservation environnementale pour l’équilibre avec la nature.
Ces objectifs conduisent aux axes de la planification stratégique de la 3ème phase de la réforme à l’horizon 2030. Le premier axe est l’urbanisation adaptée au changement climatique sous forme d’ensembles urbains multipolaires avec des centres compacts, un habitat bas carbone et des transports collectifs liant les pôles. Le second axe est une nouvelle frontière technologique qui combine les investissements R&D dans les laboratoires publics et les grandes entreprises aux innovations indigènes et frugales. Ces dernières sont des technologies à bas coûts, accessibles à des ménages aux revenus de 3 000 à 5 000 dollars. Le troisième axe est l’essor des services étroitement associés à l’urbanisation.
Les principales réformes pour conduire cette transformation consistent à surmonter les distorsions dans les prix des facteurs de production.
La réforme fiscale et administrative a plusieurs composantes : simplifier la hiérarchie administrative et instituer une péréquation légale de la ressource fiscale, élargir la base d’impôts directs et accroître leur progressivité, créer les impôts environnementaux pour valoriser les ressources naturelles et réduire les émissions carbone.
La réforme foncière pour faciliter la mobilité sociale des ruraux passe par la reconnaissance légale des droits d’usage sur les terres rurales contre toute spoliation et l’organisation d’un marché des droits sur la terre pour donner aux fermiers une richesse suffisante pour financer leur mobilité, tout en concentrant les exploitations agricoles.
La réforme financière consiste à déréguler prudemment les taux d’intérêt bancaires, à développer un marché des obligations à long terme, à développer les investisseurs institutionnels chinois et à poursuivre la construction d’un système moderne de régulation financière.
Enfin la politique sociale passe par la poursuite de l’énorme effort d’éducation et de recherche et par l’ouverture du système de santé au secteur privé. Quant aux choix politiques du système de protection sociale encore en devenir, ils sont clairs : couverture universelle de base en assurance santé et pension, forte participation des réseaux de solidarité de la société civile, financement distinguant les prestations contributives par cotisations sur le revenu salarial et non contributives par une taxe sociale sur le revenu national.
Les avantages du système politique chinois sont sa vue longue et la continuité de ses objectifs dont dépend sa légitimité. C’est aussi la grande vitalité de la société civile grâce à ses réseaux de solidarité inspirés de l’éthique confucéenne. Le système politique doit évoluer pour rester fidèle à la sélection méritocratique des élites pour une bureaucratie allégée et responsable. Il doit aussi reconnaître l’auto-organisation de la société civile comme base d’une démocratie réelle capable de contrôler les performances des institutions publiques.
Etat des lieux : comment interpréter les signaux d'un ralentissement de la croissance chinoise ? (3/4)
La croissance chinoise a ralenti pour des raisons externes identiques aux autres pays émergents, liées aux répercussions des crises qui affectent le monde développé, et pour des raisons structurelles internes, liées aux contradictions de la croissance intensive en capital.
Les crises occidentales, tout particulièrement celle de la zone euro en 2012, ont des effets néfastes sur les pays émergents. En cause : le fort ralentissement de la croissance ainsi que les politiques monétaires menées par les banques centrales occidentales qui entraînent des mouvements de capitaux instables. Grâce à son contrôle efficace des changes, la Chine a été moins affectée. Cependant la baisse des exportations vers les Etats-Unis et l’Europe accroît à la fois le besoin de redéploiement du commerce extérieur vers les pays en développement et du système productif vers la demande intérieure. C’est là que la conjoncture morose de l’économie mondiale rencontre les problèmes structurels hérités de la croissance intensive en capital.
Les symptômes des dysfonctionnements de la haute croissance industrielle sont bien identifiés : inégalités excessives des revenus, intensité énergétique trop élevée et détérioration environnementale, surcapacités de production dans les industries lourdes, transferts massifs de ressources financières vers les entreprises d’Etat entravant l’essor des PME et entraînant un sous-développement des services.
Pour engager la 3ème phase de la réforme il faut aller au-delà de l’observation des symptômes et identifier la logique des contradictions. Cette analyse est bien comprise du leadership politique. Les dysfonctionnements du système économique viennent de la mauvaise régulation des prix des facteurs de production.
Le marché du travail est en transformation parce que le surplus de main d’œuvre rurale qui avait permis de maintenir le salaire des travailleurs non qualifiés à un niveau très bas s’est tari. Les salaires montent rapidement, soutenus par le gouvernement qui réévalue le salaire minimum au rythme de 20% par an. Une vaste réforme du droit du travail a été promulguée en 2008 qui établit le contrat de travail et donne aux salariés les moyens juridiques de défendre leurs revendications, mais elle reste à appliquer au secteur privé.
Le marché du capital est caractérisé par la concentration bancaire et le contrôle des taux d’intérêt de base par l’Etat. Cela provoque une distorsion dans l’allocation de l’épargne chinoise : coût du capital trop bas pour les grandes entreprises publiques et trop élevé pour les PME dont résulte le sous-développement des services, rémunération trop faible de l’épargne des ménages et insuffisance des marchés obligataires.
Le marché foncier est un enjeu politique majeur parce qu’il est étroitement lié aux ressources financières des gouvernements locaux. Ceux-ci manquent de ressources fiscales pour couvrir les besoins d’infrastructures et de services publics. Ils ont recours à la spoliation des paysans pour capturer les droits d’usage sur les terres rurales de manière construire des parcs industriels produisant de la TVA et des terres constructibles qu’ils revendent aux promoteurs. Il en a résulté le surdimensionnement de l’industrie et la spéculation immobilière.
Enfin dans le domaine de l’énergie et du carbone, les droits d’extraction du charbon ont été très bon marché trop longtemps et les externalités environnementales n’ont pas été reconnues.
Prospective : le modèle chinois de développement durable (4/4)
En Chine les finalités du développement sont politiques. Le développement durable est l’évolution vers la société harmonieuse dont l’avènement implique trois conditions : la souveraineté de l’Etat central unitaire doit être renforcée pour conduire la planification stratégique tournée vers le long terme; les intérêts de la bureaucratie doivent être alignés sur ceux du souverain ; le bien-être du peuple doit être satisfait. Cela implique des politiques inclusives pour généraliser le progrès social et des politiques de conservation environnementale pour l’équilibre avec la nature.
Ces objectifs conduisent aux axes de la planification stratégique de la 3ème phase de la réforme à l’horizon 2030. Le premier axe est l’urbanisation adaptée au changement climatique sous forme d’ensembles urbains multipolaires avec des centres compacts, un habitat bas carbone et des transports collectifs liant les pôles. Le second axe est une nouvelle frontière technologique qui combine les investissements R&D dans les laboratoires publics et les grandes entreprises aux innovations indigènes et frugales. Ces dernières sont des technologies à bas coûts, accessibles à des ménages aux revenus de 3 000 à 5 000 dollars. Le troisième axe est l’essor des services étroitement associés à l’urbanisation.
Les principales réformes pour conduire cette transformation consistent à surmonter les distorsions dans les prix des facteurs de production.
La réforme fiscale et administrative a plusieurs composantes : simplifier la hiérarchie administrative et instituer une péréquation légale de la ressource fiscale, élargir la base d’impôts directs et accroître leur progressivité, créer les impôts environnementaux pour valoriser les ressources naturelles et réduire les émissions carbone.
La réforme foncière pour faciliter la mobilité sociale des ruraux passe par la reconnaissance légale des droits d’usage sur les terres rurales contre toute spoliation et l’organisation d’un marché des droits sur la terre pour donner aux fermiers une richesse suffisante pour financer leur mobilité, tout en concentrant les exploitations agricoles.
La réforme financière consiste à déréguler prudemment les taux d’intérêt bancaires, à développer un marché des obligations à long terme, à développer les investisseurs institutionnels chinois et à poursuivre la construction d’un système moderne de régulation financière.
Enfin la politique sociale passe par la poursuite de l’énorme effort d’éducation et de recherche et par l’ouverture du système de santé au secteur privé. Quant aux choix politiques du système de protection sociale encore en devenir, ils sont clairs : couverture universelle de base en assurance santé et pension, forte participation des réseaux de solidarité de la société civile, financement distinguant les prestations contributives par cotisations sur le revenu salarial et non contributives par une taxe sociale sur le revenu national.
Les avantages du système politique chinois sont sa vue longue et la continuité de ses objectifs dont dépend sa légitimité. C’est aussi la grande vitalité de la société civile grâce à ses réseaux de solidarité inspirés de l’éthique confucéenne. Le système politique doit évoluer pour rester fidèle à la sélection méritocratique des élites pour une bureaucratie allégée et responsable. Il doit aussi reconnaître l’auto-organisation de la société civile comme base d’une démocratie réelle capable de contrôler les performances des institutions publiques.
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