La banque centrale japonaise face à des défis de taille
Au Japon, le gouvernement de Shinzo Abe avait insufflé, dès la fin 2012, un nouveau dynamisme dans la politique monétaire du pays. Cela s’est concrétisé par le programme d’assouplissement monétaire quantitatif et qualitatif (QQE). Que peut-on en attendre ?
Par Urszula Szczerbowicz
Billet du 23 octobre 2013
Depuis l’éclatement de la bulle immobilière et d’actifs dans les années 1990, le Japon a connu une période de déflation prolongée et une croissance faible. La crise financière globale a davantage détérioré l’économie du pays en provoquant l’appréciation du yen et la chute de la demande globale pour les produits japonais. Pour contrer la déflation et l’appréciation du yen, la Banque du Japon (BdJ) ne pouvait plus mener une politique monétaire traditionnelle et baisser son taux directeur, ce dernier ayant atteint le niveau zéro. Ainsi, les politiques monétaires « non conventionnelles » ont été mises en place à partir de 2008 : apports de liquidités au-delà de ce qui est nécessaire pour maintenir le taux à zéro et achats d'obligations souveraines à plus long terme (pour plus d’informations sur les politiques non conventionnelles menées avant 2013, voir le billet du blog du CEPII du 25 mars 2013, « Banque du Japon : a-t-elle raison de changer de stratégie ? »).
Fin 2012, ces politiques ont été jugées insuffisantes par le nouveau Premier ministre Shinzo Abe, qui a contraint la BdJ à adopter une cible d’inflation deux fois plus haute (2 %) et à augmenter ses achats de titres risqués. Ainsi, le nouveau gouverneur de la BdJ, Haruhiko Kuroda, a déclaré que la Banque du Japon ferait tout son possible pour sortir le Japon de la déflation et pour atteindre l’inflation de 2 % en deux ans. Cette annonce était accompagnée de mesures concrètes : doublement de la base monétaire, ainsi que de la maturité des obligations détenues par la BdJ, en deux ans (QQE : Quantitative and Qualitative Easing). Ces mesures constituent un point de rupture avec celles mises en place jusqu’alors par le Gouverneur précédent, Masaaki Shirakawa, et ont provoqué l’enthousiasme des marchés financiers et les protestations de ses partenaires commerciaux.
Comment ces mesures étaient-elles censées stimuler l’économie et déclencher l’inflation ? Les effets de la politique monétaire sont déterminés par l’écart entre le taux d’intérêt naturel et le taux d’intérêt réel. Le taux naturel, déterminé à l’équilibre de l’épargne et de l’investissement, est assimilable à la rentabilité de l’investissement. Le taux réel correspond à la différence entre le taux d’intérêt nominal fixé par la banque centrale (taux directeur) et le taux d’inflation, et représente le taux auquel les entreprises empruntent. Si ces deux taux sont les mêmes, les prix restent stables car les entreprises décident d’investir jusqu’au moment où le retour sur investissement égalise le taux réel. Si par contre le taux réel est plus bas que le taux naturel, les entreprises peuvent s’endetter à un taux inférieur au taux de rentabilité de l’investissement. Ainsi, les conditions monétaires sont plus souples, ce qui stimule l’investissement et provoque une augmentation des prix.
La Banque du Japon a manifesté sa volonté de diminuer le taux réel et d’augmenter le taux naturel en même temps. [1] Pour baisser le taux réel, elle s’est fixé plusieurs objectifs :
Augmenter l’inflation. Celle-ci mise sur plusieurs canaux de transmission.
Premièrement, les achats massifs d’obligations souveraines à long terme ont pour but de diminuer les taux longs et de baisser le coût du crédit stimulant ainsi la consommation, l’investissement et par suite l’inflation. Les taux longs nominaux sont cependant déjà très bas au Japon (voir graphique) et il est peu probable qu’une baisse supplémentaire stimule la demande.
Deuxièmement, l’augmentation importante de la base monétaire doit apporter aux banques des réserves excédentaires qu’elles pourraient utiliser soit pour prêter aux entreprises et aux ménages, soit pour acheter les titres plus risqués (principe du « rééquilibrage de portefeuille »). Cet effet ne devrait pourtant pas être très important : alors que les banques sont en bonne santé et surliquides (elles disposent de réserves excédentaires à la banque centrale et le montant des dépôts qui dépasse les encours de prêts), elles ne prêtent pas, ce qui laisse penser que c’est la demande de crédit et le manque des projets d’investissement intéressants qui fait défaut au Japon.
Finalement, l’effet secondaire de la baisse des taux longs serait la dépréciation du yen. C’est un effet souhaité qui pourrait contribuer non seulement à baisser le prix des exportations japonaises mais aussi à augmenter l’inflation importée. Cet effet peut être potentiellement contreproductif, et diminuer le pouvoir d’achat des Japonais, si la hausse des produits importés n’est pas suivie par la hausse des salaires. [2]
Baisser (ou stabiliser) les taux nominaux à long terme. Etant donné ses objectifs d’augmenter l’inflation et de baisser le taux réel, la BdJ doit s’assurer que les taux nominaux restent stables. Son outil principal pour y parvenir repose sur les achats d’obligations souveraines à long terme. Cette tâche est très ambitieuse vu que la banque centrale n’a qu’un impact limité sur les taux sur les maturités longues. Par ailleurs, ces achats peuvent contribuer à l’augmentation de la volatilité des ces taux, ce qui est néfaste autant pour les investisseurs que pour les institutions financières qui en détiennent une grande quantité. Les derniers développements sur les marchés financiers témoignent de l’instabilité des taux longs (voir graphique).
L’augmentation du taux naturel semble encore plus difficile à obtenir que les évolutions nominales.
Pour cela, la BdJ entend réveiller l’« esprit animal » des Japonais. C’est un canal bien spécifique de l’approche japonaise et il a pour but d’augmenter le taux d’intérêt naturel en créant un environnement favorable à la prise de risque, où cette dernière est récompensée. Par la liquidité abondante et la promesse de lutte contre la déflation, la BdJ souhaite raviver le dynamisme des entreprises et des ménages qui se sont depuis longtemps résignés à la baisse des prix. [3] Cependant, les entreprises japonaises ne manquent pas de dynamisme dans leurs investissements à l’étranger mais elles sont plus réticentes à investir dans leur propre pays. Le vieillissement de la population, le défi lié à la dette publique et la lenteur de la mise en place des reformes structurelles peuvent être à la base de leur réticence.
Bien que l’annonce du QQE ait été suivie par une forte hausse des prix des actions et par la dépréciation du yen, le bilan global des nouvelles mesures monétaires reste encore difficile à évaluer. Ces mouvements de prix ont été principalement dus à l’enthousiasme des investisseurs étrangers et n’ont pas été suivis par les investisseurs japonais qui ne semblent pas encore avoir repris confiance dans l’économie domestique. Dans ce contexte, le traitement des problèmes structurels du pays, y compris celui de la dette souveraine élevée, semble constituer un élément essentiel pour la réussite de la politique monétaire, et du programme d’Abenomics en général.
Graphique – Taux japonais nominal à 10 ans
Source : Thomson Reuters Datastream.
Fin 2012, ces politiques ont été jugées insuffisantes par le nouveau Premier ministre Shinzo Abe, qui a contraint la BdJ à adopter une cible d’inflation deux fois plus haute (2 %) et à augmenter ses achats de titres risqués. Ainsi, le nouveau gouverneur de la BdJ, Haruhiko Kuroda, a déclaré que la Banque du Japon ferait tout son possible pour sortir le Japon de la déflation et pour atteindre l’inflation de 2 % en deux ans. Cette annonce était accompagnée de mesures concrètes : doublement de la base monétaire, ainsi que de la maturité des obligations détenues par la BdJ, en deux ans (QQE : Quantitative and Qualitative Easing). Ces mesures constituent un point de rupture avec celles mises en place jusqu’alors par le Gouverneur précédent, Masaaki Shirakawa, et ont provoqué l’enthousiasme des marchés financiers et les protestations de ses partenaires commerciaux.
Comment ces mesures étaient-elles censées stimuler l’économie et déclencher l’inflation ? Les effets de la politique monétaire sont déterminés par l’écart entre le taux d’intérêt naturel et le taux d’intérêt réel. Le taux naturel, déterminé à l’équilibre de l’épargne et de l’investissement, est assimilable à la rentabilité de l’investissement. Le taux réel correspond à la différence entre le taux d’intérêt nominal fixé par la banque centrale (taux directeur) et le taux d’inflation, et représente le taux auquel les entreprises empruntent. Si ces deux taux sont les mêmes, les prix restent stables car les entreprises décident d’investir jusqu’au moment où le retour sur investissement égalise le taux réel. Si par contre le taux réel est plus bas que le taux naturel, les entreprises peuvent s’endetter à un taux inférieur au taux de rentabilité de l’investissement. Ainsi, les conditions monétaires sont plus souples, ce qui stimule l’investissement et provoque une augmentation des prix.
La Banque du Japon a manifesté sa volonté de diminuer le taux réel et d’augmenter le taux naturel en même temps. [1] Pour baisser le taux réel, elle s’est fixé plusieurs objectifs :
Augmenter l’inflation. Celle-ci mise sur plusieurs canaux de transmission.
Premièrement, les achats massifs d’obligations souveraines à long terme ont pour but de diminuer les taux longs et de baisser le coût du crédit stimulant ainsi la consommation, l’investissement et par suite l’inflation. Les taux longs nominaux sont cependant déjà très bas au Japon (voir graphique) et il est peu probable qu’une baisse supplémentaire stimule la demande.
Deuxièmement, l’augmentation importante de la base monétaire doit apporter aux banques des réserves excédentaires qu’elles pourraient utiliser soit pour prêter aux entreprises et aux ménages, soit pour acheter les titres plus risqués (principe du « rééquilibrage de portefeuille »). Cet effet ne devrait pourtant pas être très important : alors que les banques sont en bonne santé et surliquides (elles disposent de réserves excédentaires à la banque centrale et le montant des dépôts qui dépasse les encours de prêts), elles ne prêtent pas, ce qui laisse penser que c’est la demande de crédit et le manque des projets d’investissement intéressants qui fait défaut au Japon.
Finalement, l’effet secondaire de la baisse des taux longs serait la dépréciation du yen. C’est un effet souhaité qui pourrait contribuer non seulement à baisser le prix des exportations japonaises mais aussi à augmenter l’inflation importée. Cet effet peut être potentiellement contreproductif, et diminuer le pouvoir d’achat des Japonais, si la hausse des produits importés n’est pas suivie par la hausse des salaires. [2]
Baisser (ou stabiliser) les taux nominaux à long terme. Etant donné ses objectifs d’augmenter l’inflation et de baisser le taux réel, la BdJ doit s’assurer que les taux nominaux restent stables. Son outil principal pour y parvenir repose sur les achats d’obligations souveraines à long terme. Cette tâche est très ambitieuse vu que la banque centrale n’a qu’un impact limité sur les taux sur les maturités longues. Par ailleurs, ces achats peuvent contribuer à l’augmentation de la volatilité des ces taux, ce qui est néfaste autant pour les investisseurs que pour les institutions financières qui en détiennent une grande quantité. Les derniers développements sur les marchés financiers témoignent de l’instabilité des taux longs (voir graphique).
L’augmentation du taux naturel semble encore plus difficile à obtenir que les évolutions nominales.
Pour cela, la BdJ entend réveiller l’« esprit animal » des Japonais. C’est un canal bien spécifique de l’approche japonaise et il a pour but d’augmenter le taux d’intérêt naturel en créant un environnement favorable à la prise de risque, où cette dernière est récompensée. Par la liquidité abondante et la promesse de lutte contre la déflation, la BdJ souhaite raviver le dynamisme des entreprises et des ménages qui se sont depuis longtemps résignés à la baisse des prix. [3] Cependant, les entreprises japonaises ne manquent pas de dynamisme dans leurs investissements à l’étranger mais elles sont plus réticentes à investir dans leur propre pays. Le vieillissement de la population, le défi lié à la dette publique et la lenteur de la mise en place des reformes structurelles peuvent être à la base de leur réticence.
Bien que l’annonce du QQE ait été suivie par une forte hausse des prix des actions et par la dépréciation du yen, le bilan global des nouvelles mesures monétaires reste encore difficile à évaluer. Ces mouvements de prix ont été principalement dus à l’enthousiasme des investisseurs étrangers et n’ont pas été suivis par les investisseurs japonais qui ne semblent pas encore avoir repris confiance dans l’économie domestique. Dans ce contexte, le traitement des problèmes structurels du pays, y compris celui de la dette souveraine élevée, semble constituer un élément essentiel pour la réussite de la politique monétaire, et du programme d’Abenomics en général.
Graphique – Taux japonais nominal à 10 ans
Source : Thomson Reuters Datastream.
[1] “Japan's Unconventional Monetary Policy and Initiatives toward Ensuring Stability of the Global Financial System”, Remarks at an Economic Policy Symposium Held by the Federal Reserve Bank of Kansas City, Haruhiko Kuroda, Governor of the Bank of Japan, August 24, 2013.
[2] Voir le billet du blog du CEPII du 10 octobre 2013, « Japon : jusqu'ici tout va bien... ».
[3] “Overcoming Deflation: The Bank of Japan's Challenge Speech”, Speech at the Council on Foreign Relations in New York, Haruhiko Kuroda, Governor of the Bank of Japan, October 10, 2013.
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