Les investissements étrangers en France : biais statistiques et astuces comptables
D’après les chiffres récemment publiés par la CNUCED, l’investissement étranger en France aurait dramatiquement chuté en 2013, alors même qu’il explosait en Allemagne. Ces statistiques reflètent avant tout des différences méthodologiques et des phénomènes liés aux prêts au sein des grands groupes.
Par Sébastien Jean, Farid Toubal
Billet du 4 février 2014
L’adage prêté par Mark Twain à Benjamin Disraëli selon lequel « il y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les gros mensonges et les statistiques » s’applique particulièrement bien aux discussions autour des chiffres publiés par la CNUCED ce 28 janvier. Ils confondront même les observateurs les plus pessimistes : selon les estimations préliminaires publiées, les investissements directs étrangers en France auraient baissé de 77% en 2013 par rapport à leur niveau de 2012, alors même qu’ils augmentaient de 398% en Allemagne. Divisés par quatre de ce côté du Rhin, alors qu’ils sont multipliés par cinq de l’autre. Aucun élément de théorie économique, aucune étude économique sérieuse spécifique à la compétitivité ou à l’attractivité des territoires ne pourraient justifier une telle divergence. Alors, mensonge statistique ? Un examen méthodologique attentif apporte des éléments de réponse.
Les investissements directs étrangers sont souvent mis en œuvre au travers de montages complexes reposant sur plusieurs structures intermédiaires, et les prêts entre filiales de nationalités différentes au sein d’un même groupe sont comptabilisés dans les statistiques d’investissements directs utilisées par la CNUCED. Les entités à vocations spéciales, généralement implantées dans d’autres pays que ceux où s’effectue l’investissement, y jouent un rôle croissant. Il s’agit de filiales étrangères sans activité productive, créées essentiellement pour financer ou intermédier les activités d’un groupe international. L’utilisation de plus en plus fréquente de facilités de trésorerie centralisées au niveau des groupes explique en partie ces montages et, dans beaucoup de cas, les comportements d’optimisation fiscale n’y sont pas étrangers. L’effondrement des investissements étrangers en France est pour l’essentiel lié aux évolutions de ces prêts entre filiales, particulièrement ardues à décrypter et souvent déconnectées de l’attractivité des territoires pour la production de richesse. Les investissements directs français à l’étranger ont diminué plus encore l’an dernier, ce n’est probablement pas sans lien.
Les chiffres de la CNUCED montrent d’ailleurs que les Iles Vierges Britanniques, récipiendaires de 92 milliards de dollars d’investissements étrangers, se hissent au quatrième rang mondial. Autant pour l’indicateur d’attractivité. Et pour la lutte contre les paradis fiscaux…
Les statistiques produites par ailleurs par la Banque de France sur la base d’une nouvelle méthode de comptabilisation, qui ne sera étendue à l’échelle européenne qu’à partir de 2014, sont éclairantes. Cette nouvelle méthodologie consiste dans ses grandes lignes à ne tenir compte que de l’investisseur en dernier ressort. Elle permet de dégonfler les statistiques d’investissements directs étrangers des opérations des entités à vocations spéciales. Certaines années, l’impact peut être massif : en 2008, par exemple, les investissements directs étrangers en France, évalués à 43,8 milliards d’euros d’après la méthode traditionnelle, tombent à 16,3 milliards avec l’application de ce nouveau « principe directionel étendu ». Encore ce dernier chiffre incluait-il 4,1 milliards d’euros provenant in fine d’investisseurs français.
Quels enseignements peut-on alors tirer des statistiques d’investissement direct à l’étranger ? Le premier est amer : on s’est longtemps lourdement trompé sur le niveau de l’attractivité de la France, qui s’est trouvée à de nombreuses occasions dans les premiers rangs mondiaux des pays d’accueil d’investissements directs. Une grande partie des investissements reçus n’existaient que dans les livres de compte et les annuaires statistiques. La vérité, c’est que si le stock d’investissements étrangers en France est très important, l’attractivité de notre pays pour les investissements nouveaux est limitée depuis déjà longtemps. Le second enseignement est moins alarmant : pour autant que l’on puisse en juger, les statistiques d’investissement étranger en France ne montrent pas de dégradation très récente. Si le total a baissé l’an dernier, c’est en raison d’une forte chute du solde des prêts entre filiales d’un même groupe. Cette évolution pose certes différentes questions, mais elle renseigne peu sur l’attractivité de la France. Le meilleur indicateur que l’on puisse utiliser pour en juger sur la période récente est l’investissement étranger en capital social, même s’il est lui-même très approximatif. Les derniers chiffres sur 12 mois, de décembre 2012 à novembre 2013, donnent un total de 15,8 milliards, légèrement supérieur à la moyenne des cinq dernières années.
Il n’y a donc pas de raison de paniquer, mais pas de quoi pavoiser non plus : depuis 2008, l’investissement étranger direct en capital social est inférieur d’un bon quart en moyenne à ce qu’il était entre 2000 et 2007 (environ 15 Mds d’euros par an, comparés à 21 Mds précédemment). L’attractivité économique de la France est une préoccupation légitime, parce que l’investissement étranger, et surtout l’activité en France des filiales de groupes étrangers, sont une composante importante et très réactive de notre activité économique. Mais les statistiques traditionnelles d’investissement étranger direct et leurs comparaisons internationales en sont une piètre mesure. La mauvaise qualité du thermomètre ne guérit pas le malade, mais elle devrait inciter les docteurs à la prudence dans leurs diagnostics.
Ce billet a également été publié sur LeMonde.fr.
Les investissements directs étrangers sont souvent mis en œuvre au travers de montages complexes reposant sur plusieurs structures intermédiaires, et les prêts entre filiales de nationalités différentes au sein d’un même groupe sont comptabilisés dans les statistiques d’investissements directs utilisées par la CNUCED. Les entités à vocations spéciales, généralement implantées dans d’autres pays que ceux où s’effectue l’investissement, y jouent un rôle croissant. Il s’agit de filiales étrangères sans activité productive, créées essentiellement pour financer ou intermédier les activités d’un groupe international. L’utilisation de plus en plus fréquente de facilités de trésorerie centralisées au niveau des groupes explique en partie ces montages et, dans beaucoup de cas, les comportements d’optimisation fiscale n’y sont pas étrangers. L’effondrement des investissements étrangers en France est pour l’essentiel lié aux évolutions de ces prêts entre filiales, particulièrement ardues à décrypter et souvent déconnectées de l’attractivité des territoires pour la production de richesse. Les investissements directs français à l’étranger ont diminué plus encore l’an dernier, ce n’est probablement pas sans lien.
Les chiffres de la CNUCED montrent d’ailleurs que les Iles Vierges Britanniques, récipiendaires de 92 milliards de dollars d’investissements étrangers, se hissent au quatrième rang mondial. Autant pour l’indicateur d’attractivité. Et pour la lutte contre les paradis fiscaux…
Les statistiques produites par ailleurs par la Banque de France sur la base d’une nouvelle méthode de comptabilisation, qui ne sera étendue à l’échelle européenne qu’à partir de 2014, sont éclairantes. Cette nouvelle méthodologie consiste dans ses grandes lignes à ne tenir compte que de l’investisseur en dernier ressort. Elle permet de dégonfler les statistiques d’investissements directs étrangers des opérations des entités à vocations spéciales. Certaines années, l’impact peut être massif : en 2008, par exemple, les investissements directs étrangers en France, évalués à 43,8 milliards d’euros d’après la méthode traditionnelle, tombent à 16,3 milliards avec l’application de ce nouveau « principe directionel étendu ». Encore ce dernier chiffre incluait-il 4,1 milliards d’euros provenant in fine d’investisseurs français.
Quels enseignements peut-on alors tirer des statistiques d’investissement direct à l’étranger ? Le premier est amer : on s’est longtemps lourdement trompé sur le niveau de l’attractivité de la France, qui s’est trouvée à de nombreuses occasions dans les premiers rangs mondiaux des pays d’accueil d’investissements directs. Une grande partie des investissements reçus n’existaient que dans les livres de compte et les annuaires statistiques. La vérité, c’est que si le stock d’investissements étrangers en France est très important, l’attractivité de notre pays pour les investissements nouveaux est limitée depuis déjà longtemps. Le second enseignement est moins alarmant : pour autant que l’on puisse en juger, les statistiques d’investissement étranger en France ne montrent pas de dégradation très récente. Si le total a baissé l’an dernier, c’est en raison d’une forte chute du solde des prêts entre filiales d’un même groupe. Cette évolution pose certes différentes questions, mais elle renseigne peu sur l’attractivité de la France. Le meilleur indicateur que l’on puisse utiliser pour en juger sur la période récente est l’investissement étranger en capital social, même s’il est lui-même très approximatif. Les derniers chiffres sur 12 mois, de décembre 2012 à novembre 2013, donnent un total de 15,8 milliards, légèrement supérieur à la moyenne des cinq dernières années.
Il n’y a donc pas de raison de paniquer, mais pas de quoi pavoiser non plus : depuis 2008, l’investissement étranger direct en capital social est inférieur d’un bon quart en moyenne à ce qu’il était entre 2000 et 2007 (environ 15 Mds d’euros par an, comparés à 21 Mds précédemment). L’attractivité économique de la France est une préoccupation légitime, parce que l’investissement étranger, et surtout l’activité en France des filiales de groupes étrangers, sont une composante importante et très réactive de notre activité économique. Mais les statistiques traditionnelles d’investissement étranger direct et leurs comparaisons internationales en sont une piètre mesure. La mauvaise qualité du thermomètre ne guérit pas le malade, mais elle devrait inciter les docteurs à la prudence dans leurs diagnostics.
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