Accord commercial États-Unis/Europe : vers une baisse de la qualité des produits ?
Les sujets jugés trop sensibles seront certainement exclus des négociations afin d’éviter un échec de ces dernières. Il est probable que l’accord final vise surtout à renforcer la coopération entre les régulateurs sur la manière de mettre en application la réglementation en matière d’obstacles non tarifaires.
Par Julien Gourdon
Billet du 11 juin 2014
Pour mieux comprendre les termes du débat, voir le billet « Mesures non tarifaires : que négocie-t-on avec les États-Unis ? », du 6 juin 2014, par le même auteur.
OGM, viande aux hormones… doit-on craindre une arrivée massive de ces produits en Europe ?
Les sujets mis initialement à la table des négociations étaient nombreux (à l’exception des services audiovisuels et des échanges de données personnelles) : les négociations de ce type débutent souvent avec un potentiel négociable important. Cela a pu susciter des craintes quant à la signature d’un accord conduisant à une autorisation de produits alimentaires jugés dangereux ou de mauvaise qualité par de nombreux consommateurs en Europe.
Cependant, les deux partenaires avaient bien stipulé, dès le lancement des négociations, que d’éventuels accords sur les réglementations ne devraient pas conduire à diminuer le niveau de qualité des produits dont les consommateurs bénéficient actuellement ou empêcher « l’application ou l’adoption de mesures nécessaires pour protéger la santé humaine, animale, ou végétale […] relative à la conservation des ressources naturelles […] ». Ces deux principes sont naturellement sujets à interprétation et conduisent donc à définir une ligne de partage assez floue entre les sujets qui sont négociables et ceux qui ne le sont pas.
Les sujets sensibles seront exclus des négociations afin d’éviter un échec
Certains sujets semblent d’ores et déjà exclus de facto du champ de la négociation. Le cinquième round de négociations qui vient de se terminer à Washington (du 19 au 23 mai) a été l’occasion pour le négociateur européen de réaffirmer que la prohibition de viande aux hormones en Europe serait maintenue et que pour les OGM (dont 50 variétés sont déjà autorisées en Europe), les procédures de tests que les États-Unis souhaitaient voir modifiées, sont maintenues telles quelles. On ne voit pas dans ces conditions comment un accord bilatéral pourrait venir à bout d’un dissensus ancien entre les deux grands blocs économiques qu’aucune intercession de l’Organisation Mondiale de Commerce n’a permis de résorber.
Le dossier des produits chimiques, tout aussi sensible mais moins médiatisé, devrait lui aussi être écarté. La Commission Européenne avait affiché début mai sa position et conclut que les réglementations étaient bien trop éloignées entre les deux parties pour envisager une harmonisation ou une reconnaissance mutuelle. Les Européens ont mis au point en 2007 un nouveau cadre réglementant l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et les restrictions des substances chimiques (REACH) et ne souhaitent pas le modifier.
L’UE a déjà une expérience solide dans l'harmonisation des normes
Le volet « obstacles non tarifaires » des négociations comprend de très nombreuses réglementations sur lesquelles les États membres de l’UE ont déjà eu à s’accorder, ces derniers sont donc (souvent mais pas toujours) plus proches des standards internationaux que les États-Unis. Surtout, ce sont les européens qui ont l’expertise autour de la table s’agissant des solutions permettant de faire face à la diversité réglementaire. Mais tout dépend de la force de frappe des lobbies, qui semblent mieux organisés aux États-Unis.
Les réglementations américaines ne sont pas nécessairement moins exigeantes que les européennes
Hormis dans le secteur agricole pour lequel les normes américaines sont souvent jugées laxistes par les consommateurs européens, les mesures techniques sur l’ensemble des produits poursuivent le même objectif de protection des consommateurs de part de d’autre de l’Atlantique et les normes sont même parfois considérées plus restrictives aux États-Unis, comme sur le niveau de pollution des moteurs ou encore la manière de tester d’inflammabilité des textiles.
Très souvent les divergences dans les normes reposent davantage sur des façons de faire différentes que sur une appréciation différente du risque lié à un produit. Ainsi les exigences de sécurité de l’UE et des États-Unis relatives aux feux, au verrouillage des portières, aux freins, à la direction, aux sièges, aux ceintures de sécurité et aux vitres électriques des automobiles sont différentes, mais pour un grand nombre d’entre elles, il pourrait être formellement reconnu qu’elles offrent le même niveau de sécurité. Les prises électriques sont aussi un autre exemple.
Les négociations viseront surtout à renforcer la coopération entre les régulateurs sur la mise en œuvre des réglementations
Il est facile de deviner ce vers quoi tendent les négociations dans ce chapitre « obstacles non tarifaires » au vu de documents publiés sur le site de la Commission européenne –présentant les positions de l’UE– ou de documents de l’American Chambre of Commerce qui présentent les intérêts des groupes américains.
Au-delà des différences de normes, le coût lié aux mesures techniques se situe dans l’administration de ces réglementations : elles ne sont pas toujours transparentes et parfois inutilement compliquées. L’accord ne concernera donc peut-être pas tant la reconnaissance ou l’harmonisation des normes que la reconnaissance mutuelle des procédures de tests de conformité. Certaines procédures administratives pour la certification des produits pourraient être simplifiées.
Par exemple, pour les équipements sous pression (autocuiseur, bouteille de gaz, etc.), seuls les laboratoires américains peuvent aujourd’hui effectuer les tests de conformité nécessaires pour la commercialisation du produit sur le marché américain. Pour les crèmes cosmétiques, les États-Unis sont un des seuls pays au monde qui refusent la mention « aqua » pour indiquer la présence d’eau dans les composants et impose de la remplacer par « water », ce qui induit un coût d’adaptation de l’étiquetage pour les producteurs.
Il semble que, dans bien des cas, l’accord qui sera obtenu permettra d’encourager une coopération plus étroite entre les régulateurs sur la manière de mettre en application la réglementation. Ainsi, l’objectif des négociations n’est pas tant de mettre en place des normes transatlantiques uniques que d’organiser une concertation pour rendre les normes européennes et américaines plus compatibles entre elles. Les négociateurs envisagent de créer un « conseil de coopération règlementaire », qui serait chargé de cette mission. Il ne s’agit plus d’harmonisation ou de reconnaissance mutuelle, tout au plus de « cohérence » ou de « convergence » des normes. Cette approche moins ambitieuse peut toutefois s’avérer précieuse comme forum d’examen des futures normes.
Il est donc attendu que les régulateurs coordonnent à l’avenir mieux leurs travaux lorsqu’ils conçoivent une réglementation applicable à de nouveaux produits ou qu’ils mettent à jour une réglementation concernant des produits existants. Il est effectivement plus facile d’aplanir les différences en amont que de changer les choses après avoir établi des systèmes réglementaires complexes.
Toutefois, une analyse définitive est pour l’instant prématurée : nous ne connaissons pas encore le contenu du texte sur lequel aboutiront les négociations. Et la coopération entre régulateurs peut amener à des résultats très divers selon les secteurs.
OGM, viande aux hormones… doit-on craindre une arrivée massive de ces produits en Europe ?
Les sujets mis initialement à la table des négociations étaient nombreux (à l’exception des services audiovisuels et des échanges de données personnelles) : les négociations de ce type débutent souvent avec un potentiel négociable important. Cela a pu susciter des craintes quant à la signature d’un accord conduisant à une autorisation de produits alimentaires jugés dangereux ou de mauvaise qualité par de nombreux consommateurs en Europe.
Cependant, les deux partenaires avaient bien stipulé, dès le lancement des négociations, que d’éventuels accords sur les réglementations ne devraient pas conduire à diminuer le niveau de qualité des produits dont les consommateurs bénéficient actuellement ou empêcher « l’application ou l’adoption de mesures nécessaires pour protéger la santé humaine, animale, ou végétale […] relative à la conservation des ressources naturelles […] ». Ces deux principes sont naturellement sujets à interprétation et conduisent donc à définir une ligne de partage assez floue entre les sujets qui sont négociables et ceux qui ne le sont pas.
Les sujets sensibles seront exclus des négociations afin d’éviter un échec
Certains sujets semblent d’ores et déjà exclus de facto du champ de la négociation. Le cinquième round de négociations qui vient de se terminer à Washington (du 19 au 23 mai) a été l’occasion pour le négociateur européen de réaffirmer que la prohibition de viande aux hormones en Europe serait maintenue et que pour les OGM (dont 50 variétés sont déjà autorisées en Europe), les procédures de tests que les États-Unis souhaitaient voir modifiées, sont maintenues telles quelles. On ne voit pas dans ces conditions comment un accord bilatéral pourrait venir à bout d’un dissensus ancien entre les deux grands blocs économiques qu’aucune intercession de l’Organisation Mondiale de Commerce n’a permis de résorber.
Le dossier des produits chimiques, tout aussi sensible mais moins médiatisé, devrait lui aussi être écarté. La Commission Européenne avait affiché début mai sa position et conclut que les réglementations étaient bien trop éloignées entre les deux parties pour envisager une harmonisation ou une reconnaissance mutuelle. Les Européens ont mis au point en 2007 un nouveau cadre réglementant l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et les restrictions des substances chimiques (REACH) et ne souhaitent pas le modifier.
L’UE a déjà une expérience solide dans l'harmonisation des normes
Le volet « obstacles non tarifaires » des négociations comprend de très nombreuses réglementations sur lesquelles les États membres de l’UE ont déjà eu à s’accorder, ces derniers sont donc (souvent mais pas toujours) plus proches des standards internationaux que les États-Unis. Surtout, ce sont les européens qui ont l’expertise autour de la table s’agissant des solutions permettant de faire face à la diversité réglementaire. Mais tout dépend de la force de frappe des lobbies, qui semblent mieux organisés aux États-Unis.
Les réglementations américaines ne sont pas nécessairement moins exigeantes que les européennes
Hormis dans le secteur agricole pour lequel les normes américaines sont souvent jugées laxistes par les consommateurs européens, les mesures techniques sur l’ensemble des produits poursuivent le même objectif de protection des consommateurs de part de d’autre de l’Atlantique et les normes sont même parfois considérées plus restrictives aux États-Unis, comme sur le niveau de pollution des moteurs ou encore la manière de tester d’inflammabilité des textiles.
Très souvent les divergences dans les normes reposent davantage sur des façons de faire différentes que sur une appréciation différente du risque lié à un produit. Ainsi les exigences de sécurité de l’UE et des États-Unis relatives aux feux, au verrouillage des portières, aux freins, à la direction, aux sièges, aux ceintures de sécurité et aux vitres électriques des automobiles sont différentes, mais pour un grand nombre d’entre elles, il pourrait être formellement reconnu qu’elles offrent le même niveau de sécurité. Les prises électriques sont aussi un autre exemple.
Les négociations viseront surtout à renforcer la coopération entre les régulateurs sur la mise en œuvre des réglementations
Il est facile de deviner ce vers quoi tendent les négociations dans ce chapitre « obstacles non tarifaires » au vu de documents publiés sur le site de la Commission européenne –présentant les positions de l’UE– ou de documents de l’American Chambre of Commerce qui présentent les intérêts des groupes américains.
Au-delà des différences de normes, le coût lié aux mesures techniques se situe dans l’administration de ces réglementations : elles ne sont pas toujours transparentes et parfois inutilement compliquées. L’accord ne concernera donc peut-être pas tant la reconnaissance ou l’harmonisation des normes que la reconnaissance mutuelle des procédures de tests de conformité. Certaines procédures administratives pour la certification des produits pourraient être simplifiées.
Par exemple, pour les équipements sous pression (autocuiseur, bouteille de gaz, etc.), seuls les laboratoires américains peuvent aujourd’hui effectuer les tests de conformité nécessaires pour la commercialisation du produit sur le marché américain. Pour les crèmes cosmétiques, les États-Unis sont un des seuls pays au monde qui refusent la mention « aqua » pour indiquer la présence d’eau dans les composants et impose de la remplacer par « water », ce qui induit un coût d’adaptation de l’étiquetage pour les producteurs.
Il semble que, dans bien des cas, l’accord qui sera obtenu permettra d’encourager une coopération plus étroite entre les régulateurs sur la manière de mettre en application la réglementation. Ainsi, l’objectif des négociations n’est pas tant de mettre en place des normes transatlantiques uniques que d’organiser une concertation pour rendre les normes européennes et américaines plus compatibles entre elles. Les négociateurs envisagent de créer un « conseil de coopération règlementaire », qui serait chargé de cette mission. Il ne s’agit plus d’harmonisation ou de reconnaissance mutuelle, tout au plus de « cohérence » ou de « convergence » des normes. Cette approche moins ambitieuse peut toutefois s’avérer précieuse comme forum d’examen des futures normes.
Il est donc attendu que les régulateurs coordonnent à l’avenir mieux leurs travaux lorsqu’ils conçoivent une réglementation applicable à de nouveaux produits ou qu’ils mettent à jour une réglementation concernant des produits existants. Il est effectivement plus facile d’aplanir les différences en amont que de changer les choses après avoir établi des systèmes réglementaires complexes.
Toutefois, une analyse définitive est pour l’instant prématurée : nous ne connaissons pas encore le contenu du texte sur lequel aboutiront les négociations. Et la coopération entre régulateurs peut amener à des résultats très divers selon les secteurs.
Quelques exemples de positions récentes de la Commission dans le cadre du TTIP
Substances chimiques : classer par ordre de priorités les substances chimiques à évaluer et s’accorder sur les meilleures méthodes de test ; partager les données ; recenser les problèmes nouveaux ou émergents.
Cosmétiques : parvenir à la reconnaissance mutuelle des bonnes pratiques de fabrication ; mettre au point des méthodes pour éviter l’expérimentation animale ; harmoniser les techniques de tests des produits.
Produits pharmaceutiques : reconnaissance mutuelle des bonnes pratiques de fabrication et inspection ; échange d’informations ; simplification du système d’autorisation des génériques ; harmonisation des termes utilisés.
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