Feu sur l’OMC ?
Donald Trump et son administration s’en prennent durement à l’OMC, symbole d’un multilatéralisme commercial dont ils estiment être victime. Cette position est très déstabilisante pour le système commercial multilatéral, même si les États-Unis auraient aussi beaucoup à perdre à sa remise en cause.
Par Jean-François Boittin
Billet du 13 décembre 2017
Le Président Trump a profité de son déplacement en Asie pour reprendre les thèmes fondamentaux de sa « doctrine » en matière d’échanges commerciaux : mercantilisme (les déficits commerciaux sont une abomination), dénonciation des accords passés par ses prédécesseurs (« des films d’épouvante »), refus des accords plurilatéraux comme l’accord Trans Pacifique. Pour faire bonne mesure, il a aussi dénoncé, en termes très durs, l’OMC (« l’OMC nous a exploités comme pas possible »).
Mais les temps ont changé, assure-t-il. De fait, la contre-attaque commerciale américaine est aujourd’hui tous azimuts : utilisation de toute la gamme des instruments de défense commerciale (actions en antidumping et antisubventions, sauvegarde, section 301, invocation –rare- de la clause de sauvegarde pour sécurité nationale dite section 232), remise en cause de l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et de l’accord passé avec la Corée du Sud, attaque contre la Chine.
C’est très logiquement que se pose la question de savoir si l’étape ultime du « renversement trumpien » n’est pas la remise en cause de l’OMC. Au-delà des signaux envoyés à voix haute et claire par le Président en marge du sommet de l’APEC, quatre raisons justifieraient un assaut contre l’institution genevoise :
Mais les temps ont changé, assure-t-il. De fait, la contre-attaque commerciale américaine est aujourd’hui tous azimuts : utilisation de toute la gamme des instruments de défense commerciale (actions en antidumping et antisubventions, sauvegarde, section 301, invocation –rare- de la clause de sauvegarde pour sécurité nationale dite section 232), remise en cause de l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et de l’accord passé avec la Corée du Sud, attaque contre la Chine.
C’est très logiquement que se pose la question de savoir si l’étape ultime du « renversement trumpien » n’est pas la remise en cause de l’OMC. Au-delà des signaux envoyés à voix haute et claire par le Président en marge du sommet de l’APEC, quatre raisons justifieraient un assaut contre l’institution genevoise :
- l’OMC censure les abus manifestes commis par l’administration américaine dans sa mise en œuvre des instruments de défense commerciale. Les États-Unis ont été condamnés dans 89% des 129 plaintes instruites contre eux (et ont remporté 91% des 117 procédures qu’ils ont initiées). L’USTR, Robert Lighthizer, a l’occasion de régler un compte quasi-personnel : avocat défenseur de la sidérurgie américaine dans d’innombrables procédures commerciales (qui l’ont considérablement enrichi), il a « perdu » nombre de panels sur des procédures antidumping et tient une occasion unique de prendre sa revanche
- dans la vision « trumpienne » du monde, où les déficits commerciaux sont le résultat, non pas de la politique macroéconomique et de l’absence d’épargne intérieure, mais des accords négociés par des incapables –ses prédécesseurs-, l’OMC est « la mère de tous les accords ». Les États-Unis ont au total un léger surplus avec les pays avec lesquels ils ont un accord de libre-échange, malgré les déficits enregistrés avec le Mexique et la Corée du Sud. Ils ont en revanche un déficit1 de 701 milliards de $ en 2016 par rapport à treize pays (dont la France) avec lesquels leurs relations sont gouvernées par les seules règles de l'OMC
- l’OMC est le principal obstacle à la mise en place de mesures –droits de douane ou quotas- qui pourraient être adoptées pour « rééquilibrer » les échanges avec des pays tiers. Si demain le Président met fin à l’ALENA, les entreprises automobiles installées au Mexique feraient face à un droit de douane américain de 2,5% (droit « consolidé » à l’OMC, que les États-Unis ne peuvent augmenter sans payer des compensations à leurs partenaires principaux exportateurs de véhicules automobiles) pour exporter aux États-Unis automobiles et pièces détachées. Ce droit serait évidemment compensé, et au-delà, par la baisse du peso par rapport au dollar que provoquerait la disparition de l’ALENA
L’opération de neutralisation de l’OMC est en fait déjà engagée, et prolonge par certains côtés une tendance amorcée sous l’administration Obama, où l’essentiel des négociations se passait déjà en dehors de l’organisation : TPP et TTIP bien sûr, mais aussi accord sur le commerce des services. La position américaine s’était durcie à la veille de la ministérielle de Buenos Aires, la onzième depuis la création de l’organisation, et l’objectif est parfaitement clair : empêcher tout accord de substance, jusqu’à refuser même le principe d’une déclaration ministérielle, minimum syndical de pareil exercice.
L’OMC, outre qu’elle représente un corps de règles, a deux fonctions principales : être une enceinte de négociations, et un tribunal (beaucoup d’analystes doutent que cette deuxième fonction perdure si la première disparaît). L’USTR bloque la première, et essaie de saboter la seconde, en refusant la nomination de tout nouveau « juge » à l’organe d’appel de l’OMC, sous un prétexte futile2qui ne trompe personne : c’est le prétendu activisme de l’organe d’appel qui est visé. Robert Lighthizer, qui, comme son maître3, regrette le bon vieux temps (« Make America Great Again ») a expliqué publiquement qu’il faudrait revenir au fonctionnement du GATT, où les procédures contentieuses n’étaient pas automatiques, et où tout se terminait par des négociations. Il oublie que ce sont les États-Unis qui ont demandé la mise en place de procédures quasi-automatiques et contraignantes, excédés par les blocages répétés de la Communauté Européenne dans les procédures lancées par Washington contre la Politique Agricole Commune. La disparition possible de l’organe d’appel, par attrition des juges, enlèverait une partie de leur crédibilité aux panels de première instance, et augmenterait la marge de manœuvre des États-Unis pour jouer de l’intimidation. Mais d’autres, à commencer par la Chine, connaissent aussi ce jeu.
La poursuite de la stratégie actuelle déboucherait sur une OMC zombie, privée de tout pouvoir. Il n’est pas certain que cela suffise au Président qui pourrait souhaiter, pour des raisons de communication, une démonstration plus voyante et une sortie théâtrale de l’organisation (à la mode sortie de l’accord de Paris).
L’issue de la procédure contentieuse lancée par la Chine contre l’Union Européenne sur son statut d’économie de marché pourrait fournir une parfaite excuse. L’USTR a déjà déclaré que l’issue du contentieux pourrait être un « cataclysme » pour l’organisation.
Le pire n’est pas certain : la communication récente des États-Unis sur la question de l’économie de marché en Chine, précisément, n’est pas seulement un appui bienvenu à la position européenne. Elle témoigne aussi d’un intérêt de principe à maintenir l’organisation en vie. Cet intérêt pourrait s’expliquer pour plusieurs raisons : décision stratégique de rester pour mieux orienter les débats, choix bureaucratique de privilégier la présence dans une enceinte où l’USTR est leader, plutôt que le Département d’État ou le Treasury…
Une chose est sûre : le positionnement des États-Unis à l’égard de l’OMC représente un vrai défi pour l’Union Européenne, qui a le multilatéralisme pour ADN. Elle peut certainement appuyer les efforts de l’USTR pour renouveler l’organisation et mieux l’adapter au nouveau monde qu’a précipité la spectaculaire montée en puissance de la Chine aujourd’hui, et peut-être de l’Inde demain.
Un retrait des États-Unis en revanche compliquerait l’équation : le leadership, dans l’histoire récente de l’organisation, était double, assumé conjointement par les États-Unis et l’UE. La Chine serait un candidat logique à un rôle dans un duumvirat, mais n’a pas montré de volonté concrète de traduire en actes les fortes déclarations du Président Xi Jin Ping à Davos sur les vertus du libre-échange. Elle se contente d’un rôle de passager clandestin, bénéficiaire de l’acquis, toujours prêt à jouer la défensive, mais pas à contribuer à hauteur de la place que le pays occupe aujourd’hui dans les échanges internationaux. Est-il possible de la convaincre de changer son approche? Ce n’est pas évident.
Le Japon pourrait être pour l’Europe le partenaire indispensable : traditionnellement attaché au système multilatéral, il a pris récemment l’initiative de relancer la négociation pour la mise en place d’un TPP à 11, sans les États-Unis, et pourrait prétendre à jouer le rôle de leader de la zone Pacifique, tandis que Bruxelles assurerait la direction du monde atlantique, délaissée – temporairement?- par les États-Unis.
[1] Les chiffre sont ceux des échanges de marchandises, les seuls qui comptent au regard de l’administration, qui ignore systématiquement toute statistique sur les échanges de services, excédentaires dans la plupart des cas.
[2] Des membres de l’organe d’appel ont signé des procès-verbaux de procédures quelques semaines après avoir quitté officiellement leurs fonctions
[3] Il a déclaré récemment devant des sénateurs à propos de la renégociation de l’ALENA qu’il avait « une seule personne pour public ».
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