En Chine, une Journée de la Terre sur fond de pollution massive
Billet du 22 avril 2018
C’est en 1970 qu’a été célébrée pour la première fois la Journée de la Terre, sous l’impulsion du sénateur américain Gaylord Nelson et d’un groupe d’étudiants. Depuis, chaque 22 avril rappelle la naissance de ce mouvement porté par la société civile.
En Chine, cette journée a été fêtée pour la première fois en 2011, attestant d’une prise de conscience grandissante des citoyens chinois à l’égard de l’environnement. Mais si Pékin semble vouloir prendre en charge les défis environnementaux qui s’imposent au pays, les effets des réformes amorcées tardent à venir, exposant la population à des niveaux de pollution extrêmement préoccupants.
Plus d’un million de morts chaque année
La crise environnementale en Chine est inédite en raison de la simultanéité et de l’intensité des problèmes. Aucun pays n’a en effet exposé sa population à de tels niveaux de pollution sur des durées aussi longues.
L’épisode de pollution atmosphérique longtemps considéré comme le plus meurtrier, le « Great Smog » de Londres, a causé la mort d’environ 12 000 personnes en quatre jours durant l’hiver 1952 ; soit 3 000 morts par jour. Le nombre quotidien de personnes décédées prématurément du fait de la pollution de l’air ambiant était à peu près équivalent en Chine en 2015, aboutissant à un total de 1,1 million de morts précoces sur l’année.
Dans l’empire du Milieu, les problèmes environnementaux se juxtaposent. On connaît bien sûr ceux relatifs à la qualité de l’air ; ils ont focalisé l’attention des médias et ému l’opinion internationale ces dernières années.
Mais d’autres pollutions, moins visibles car touchant l’eau et les sols, sont tout aussi importantes. Certains experts les considèrent même comme plus problématiques car la dépollution de ces milieux est extrêmement complexe et nécessite un temps souvent très long.
Des sols pollués par les métaux lourds
Ce n’est qu’à partir de 2005 que le ministère de la Protection de l’environnement (MEP) et le ministère du Territoire et des Ressources chinois ont mené conjointement une enquête nationale sur la pollution des sols. Avant cette date, la Chine n’avait pas de statistiques officielles sur leur état ; la publication des résultats de cette étude a été repoussée à plusieurs reprises du fait de la sensibilité du sujet.
Depuis la fin des années 2000, plusieurs scandales sanitaires ont touché le pays, avec notamment la découverte de niveaux dangereux de métaux lourds dans certaines denrées alimentaires, suscitant beaucoup d’émoi dans la population. En 2013, les responsables de la sécurité alimentaire du Guangzhou ont ainsi trouvé du cadmium dans plusieurs échantillons de riz. Le MEP estime que la contamination par les métaux lourds affecte 12 millions de tonnes de céréales en Chine chaque année, ce qui correspond à une production permettant de nourrir 24 millions de personnes.
La distribution spatiale des résultats n’a pas été rendue publique, mais il a été précisé que la pollution dans la partie sud de la Chine était plus préoccupante qu’au nord. Les deltas du fleuve Yangtze et de la rivière des Perles ainsi que le nord-est de la Chine sont ainsi particulièrement pollués en raison des activités de l’industrie lourde dans ces zones. Les niveaux de métaux lourds sont d’autre part particulièrement élevés dans le sud-ouest et le centre-sud du pays, principales régions d’extraction et de fusion des métaux.
Le vice-ministre chinois des Terres et des Ressources, Wang Shiyuan, a annoncé en 2014 qu’environ 3,33 millions d’hectares de terres agricoles chinoises étaient trop pollués pour être cultivés, soit 2 % des terres arables (une superficie un peu plus grande que celle de la Belgique). Or, la part de terres arables par habitant en Chine est déjà inférieure de moitié à celle de la moyenne mondiale.
Cette décision accentue les difficultés du pays à atteindre l’autosuffisance alimentaire, une priorité pour les autorités chinoises depuis les années 1950, période de famine. Cet objectif a conduit à augmenter de façon continue la superficie des terres agricoles, ce qui a parfois abouti à cultiver des terres à proximité d’usines chimiques, de mines ou d’autres installations industrielles.
La mise en jachère de terres trop polluées pour être exploitées pourrait également freiner le reboisement conduit dans le pays depuis plusieurs décennies. Des sols qui avaient été dédiés à la couverture forestière pourraient être de nouveau utilisés pour de la production agricole. La politique de reboisement a permis d’augmenter la superficie des forêts de 17 % du territoire en 1990 à 22 % en 2010.
Une qualité de l’eau dégradée
La qualité de l’eau est généralement mauvaise en Chine, et souvent pire qu’il y a 20 ans. Quelques progrès récents ont néanmoins été enregistrés : une baisse des eaux de très mauvaise qualité (catégorie V +) et une hausse des eaux de relative bonne qualité (classes I à III) ont été constatées dans les eaux de surface et souterraines du pays.
Les progrès sont néanmoins à apprécier selon les régions et restent fragiles. Les différences sont en effet marquées entre les rivières du Nord et du Sud, ce qui s’explique principalement par des ressources en eau moindres dans le Nord et donc une moindre capacité à absorber les rejets polluants. La nature plus concentrée du développement dans le Nord joue également un rôle. Entre 2015 et 2016, la part des eaux de surface de mauvaise et très mauvaise qualités y ont augmenté dans certains bassins.
Le Sud de la Chine est beaucoup plus abondant en eau, tandis qu’une grande partie de la population et des terres arables se trouvent dans le Nord : s’y concentrent seulement 20 % des ressources en eau naturellement disponibles, mais 47 % de la population et 65 % des terres arables.
Stress hydrique et changement climatique
Les problèmes de mauvaise qualité de l’eau accentuent le stress hydrique que connaissent régulièrement entre 400 et 600 grandes villes. Le fleuve Jaune, sixième fleuve de la planète, connaît ainsi des périodes d’assèchement de plus en plus longues. Les problèmes de disponibilité d’eau risquent par ailleurs de s’accentuer en raison d’une demande croissante. Entre 2007 et 2014, elle a fortement augmenté, conduisant à une intensification des prélèvements d’eau douce (environ +10 % sur la période).
Le stress hydrique a également été accentué par une forte baisse des précipitations, entre -2,6 % et -10,4 % au cours des deux dernières décennies, tout particulièrement dans les bassins fluviaux Huai, Hai, Huang et du fleuve Liao, tous situés dans le Nord, là où les problèmes de disponibilité en eau sont les plus critiques.
Cette forte baisse des précipitations a été en partie attribuée aux changements climatiques. Sous l’effet conjugué des facteurs climatiques et des activités humaines, la désertification progresse par ailleurs : depuis 1949, la Chine a perdu 129 000 km² (soit un cinquième de la superficie de la France).
Une autre conséquence de la surexploitation des eaux souterraines est l’affaissement des terres dans certaines régions. Le phénomène se produit lorsque des quantités importantes d’eau souterraine ont été retirées d’un aquifère poreux ; ce dernier se compacte alors, ce qui peut entraîner un abaissement de la surface du sol. D’après des enquêtes menées par Institute for Global Environmental Strategies, des affaissements de terrain se produisent dans les 50 plus grandes villes de la Chine. La superficie totale affectée est de 90 000 km2. Les régions les plus touchées sont la région du delta du Yangtze (autour de Shanghai), la plaine de Chine du Nord et le bassin de la rivière Fen-Wei (province de Shanxi).
Le stress hydrique pourrait donc s’accentuer en Chine dans les prochaines décennies et constituer l’un des plus grands défis de développement pour le pays.
La crise environnementale à laquelle est confronté l’empire du Milieu pose à nouveau la question de la conciliation entre développement et protection de l’environnement. Et les solutions apportées par les autorités seront cruciales pour les pays émergents et en développement qui, sans avoir connu le succès économique de la Chine, sont déjà victimes de situations extrêmement critiques en matière de pollution.
Pékin semble avoir enfin pris conscience de la gravité de la situation, mais aussi de sa complexité. Reste que le pouvoir chinois a beaucoup tardé à agir, laissant s’installer sur son territoire des infrastructures très énergivores et restant prisonnier d’un système de gouvernance ne permettant les adaptations rapides. L’effet bénéfique attendu des mesures portées par le dernier plan quinquennal (2016-20) et la nouvelle loi fiscale sur la protection de l’environnement risque en outre d’être écrasé par les méfaits induits par la poursuite de la trajectoire de croissance.
Stéphanie Monjon, Maître de conférences en sciences économiques, chargée de recherche au CEPII – Recherche et expertise sur l'économie mondiale, Université Paris Dauphine – PSL et Sandra Poncet, Professeure d’économie, chercheuse associée au CEPII, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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