Pourquoi l'UE a été dégradée dans la hiérarchie diplomatique de Washington
Article publié dans l'Obs le 22 janvier 2019
Billet du 11 mars 2019
L'équipe de la mission diplomatique de l'Union européenne à Washington commençait à avoir des soupçons : l'ambassadeur, David O'Sullivan, n'avait pas été invité aux côtés de ses collègues représentants des États membres de l'Union à plusieurs réunions organisées par le Département d'État. La cérémonie organisée à la cathédrale de Washington pour les funérailles du président George H.W. Bush a fourni la preuve : l'ambassadeur européen s'est retrouvé dégradé dans la hiérarchie diplomatique de la capitale américaine.
L'affaire nécessite une plongée rapide dans les subtilités du protocole diplomatique local, assez simple au demeurant. Les ambassadeurs sont classés par ordre d'ancienneté en fonction de la date de présentation de leurs lettres de créance.
Une seconde liste, moins prestigieuse, comprend les représentants des organisations internationales à Washington, Union africaine ou Organisation des États américains par exemple. L'UE faisait partie de cette deuxième liste jusqu'à la création du poste de Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et d'un service diplomatique.
Pour reconnaître cette nouvelle réalité, l'administration Obama avait procédé au reclassement du représentant de l'Union, qui se retrouvait parmi les ambassadeurs de plein titre aux environs de la trentième place, loin derrière le doyen, l'ambassadeur de la République des Palaos.
Las ! Sans même que le département d'État ait eu la courtoisie de l'avertir, le jour des funérailles, l'ambassadeur européen s'est retrouvé relégué parmi la plèbe diplomatique au fond de la cathédrale. Le jour même où était célébré un président ami de l'Europe et artisan de la réunification allemande.
Tempête dans un verre d'eau ?
Tempête dans un verre d'eau ? Ce n'est pas ce que pense la nouvelle majorité démocrate à la Chambre des représentants, qui demande des explications au Département d'État. C'est en réalité la traduction symbolique du mépris, voire de la haine, que l'institution européenne inspire à Washington.
À commencer par le président, qui en faisait un "ennemi" des États-Unis au même titre que la Russie et la Chine dans une interview, en juillet 2018, à la chaîne CBS depuis son golf écossais (il ignore sans doute l'avis de la majorité des Écossais sur le Brexit). Quelques jours plus tôt, il avait déclaré sur la chaîne d'État américaine, Fox News, que "l'UE fait probablement autant de mal que la Chine" sur le commerce.
L'exemple vient donc de haut, et on peut descendre la chaîne, à commencer par le secrétaire d'État, Mike Pompeo, voix de son maître, qui a démoli allègrement l'Union européenne, dans un discours au German Marshall Fund à Bruxelles le 4 décembre, le lendemain du jour où il s'était porté garant de l'innocence de Mohammed Ben Salman dans le meurtre de Khashoggi à Istanbul.
Une structure de l'UE complexe à comprendre
Au nom des États-nations, et prétendant vouloir la création d'un nouvel ordre libéral international – où l'on imagine que l'Arabie saoudite aura la place éminente qui lui revient –, Mike Pompeo démolissait allègrement l'ensemble des institutions internationales, à commencer par l'ONU, dont les missions de maintien de la paix s'éternisent (pas comme les États-Unis en Afghanistan), l'accord de Paris sur le climat, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, avant de s'en prendre à l'Union européenne et ses "bureaucrates", juste après quelques piques assénées à l'Union africaine et à l'Organisation des États Américains.
Membre du Tea Party et donc très soucieux de l'usage des deniers de l'État, Mike Pompeo se méfie des fonctionnaires : qu'il se rassure, les effectifs de la Commission européenne sont le quart du seul ministère de l'Agriculture américain (on plaisante à Washington sur le fait qu'il y a autant de fonctionnaires au ministère que d'agriculteurs dans le pays).
Et même si la structure de l'UE est difficile à comprendre pour un élu du Kansas, État d'origine de M. Pompeo, c'est bien avec la Commission qu'il doit négocier sur les questions de commerce, et un commissaire qui peut casser les monopoles et oligopoles américains. Une nuance d'importance par rapport aux autres organisations plurilatérales que M. Pompeo mettait dans le même sac que l'UE.
La barre était placée assez haut dans ce discours. L'ambassadeur des États-Unis à Bruxelles l'a néanmoins franchie aisément quelques jours plus tard, dans une interview à Politico, où il a réussi à aboyer plus fort que son maître. Avec des accents proches de ceux d'un mafioso, il a menacé de "faire ce qu'on devra faire" pour se débarrasser du déséquilibre commercial bilatéral (un conseil : changer radicalement la politique macroéconomique à Washington en réduisant déficit et endettement serait un bon début) avant de s'en prendre à l'Allemagne à propos du pipeline Nord Stream 2, à la France pour son soutien à son agriculture ou à son industrie de défense.
Cette dernière attaque est particulièrement risible, venant d'un pays qui a fermé son marché sidérurgique pour de prétendues – et fausses – raisons de "sécurité nationale" et s'apprête à faire de même pour son marché automobile. En somme, l'ambassadeur des États-Unis auprès de l'Union européenne, Gordon Sondland, se prend pour le proconsul américain, ou, comme au bon temps de l'Empire britannique, le vice-roi de l'Europe.
Il est professionnellement l'heureux propriétaire d'une chaîne d'hôtels de luxe dans l'Ouest américain : on espère que son sens de l'hospitalité est plus développé que sa pratique de la diplomatie. Son collègue en poste en Allemagne n'est pas en reste, qui donne allègrement des ordres aux entreprises allemandes sur l'Iran ou Nord Stream 2.
Primeur à la Pologne
Pour couronner le tout, c'est en Pologne que Mike Pompeo va réunir mi-février un sommet anti-Iran (pays qui prend presque des allures de démocratie comparé à l'Arabie saoudite). Hommage sans doute à Donald Rumsfeld et à la différence faite au moment de la guerre en Irak entre vieille Europe et nouvelle Europe, clin d'œil évident à l'autocratie polonaise, et tentative pour faire abandonner à l'UE son soutien à l'accord nucléaire iranien de 2015.
Que la Russie soit intervenue ou pas dans l'élection américaine, peu chaut aux Européens. Ils savent maintenant en revanche que l'Union a deux ennemis, Vladimir Poutine et Donald Trump, et que le pire des deux n'est sans doute pas celui qu'on croit.
La question protocolaire ? Un détail réglé facilement par l'application stricte du mot d'ordre favori de la diplomatie américaine : la réciprocité. Si M. O'Sullivan est dégradé à Washington, l'ambassadeur des États désunis d'Amérique peut aussi aller à la queue.
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