L’Europe face aux guerres commerciales
Billet du 29 mars 2019
Ce billet est issu d'une contribution à une étude collective de l'Ifri : Élections européennes 2019 : les grands débats. Thomas GOMART, (dir.), Marc HECKER, (dir.), février 2019, qui a également fait l'objet d'une publication sur LesEchos.fr du 7 mars 2019.
Les négociations sur un accord de libre-échange transatlantique ont monopolisé les débats commerciaux lors de la campagne électorale européenne de 2014, avec des interrogations sur la manière de façonner la mondialisation en cohérence avec les valeurs et les objectifs politiques européens.
Cinq ans plus tard, ces débats paraissent bien loin. Le paysage est bouleversé et les enjeux radicalement transformés. Le système commercial multilatéral fondé sur des règles, que beaucoup voyaient comme une toile de fond immuable, est aujourd'hui en péril. L'Union européenne (UE), multilatéraliste à la fois par principe et par intérêt, doit faire face à un double défi primordial.
L'UE face à Washington et Pékin
Le premier est lié à la politique commerciale de l'administration Trump, qui bafoue délibérément et ouvertement ses engagements internationaux au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). La menace de taxes douanières à grande échelle est tangible, avec des répercussions potentiellement graves pour l'UE, notamment si le secteur automobile était touché. Une contagion au-delà des États-Unis est également à craindre. Elle résulterait à la fois d'un effet de ricochet - l'UE elle-même y ayant déjà contribué en annonçant des mesures de sauvegarde dans la sidérurgie - et du coup fatal porté à la légitimité d'un système institutionnel dont les États-Unis ont été l'architecte et le leader.
En bloquant le fonctionnement de l'organe de règlement des différends de l'OMC et en invoquant la sécurité nationale comme motif de protection douanière additionnelle, les États-Unis sont en train de saper le système commercial multilatéral dans ses fondements, au point qu'il est difficile d'espérer aujourd'hui pouvoir revenir au statu quo ante.
Ce n'est d'ailleurs pas nécessairement l'intérêt de l'UE, parce que le second défi est lié à la concurrence de la Chine. Son capitalisme d'État se traduit par une étroite coordination de l'économie par l'État et le Parti. Ces derniers identifient des secteurs prioritaires favorisés par un ensemble de mesures et de pratiques, incluant notamment des subventions directes et indirectes massives, ainsi que de fortes pressions sur les entreprises étrangères pour obtenir des transferts de technologie.
Ce problème n'est pas nouveau, mais il a changé de nature, à la fois parce qu'il est devenu clair que ce système n'était pas une étape provisoire dans un processus de convergence vers un fonctionnement proche de celui des économies occidentales, et parce que la Chine est aujourd'hui la première puissance industrielle au monde, y compris dans certains secteurs de haute technologie.
L'industrie des panneaux solaires a illustré dans les années 2000 les dommages qu'une telle concurrence subventionnée pouvait causer aux industries occidentales. Le risque est que des dégâts comparables affectent demain le coeur de l'industrie européenne, dans des secteurs comme l'automobile, l'aéronautique ou la robotique.
La marche à suivre
Dans ce contexte mouvementé, voire hostile, la politique commerciale commune doit se donner les moyens de favoriser la croissance et l'innovation, de protéger l'emploi et d'oeuvrer au développement durable. Pour ce faire, la sauvegarde d'un système commercial multilatéral fondé sur des règles est une priorité, en s'assurant que ces règles permettent une concurrence équitable et qu'elles soient correctement appliquées. Cependant, l'appel au respect du cadre institutionnel établi ne suffit plus, il faut se donner les moyens de le faire évoluer et de le faire respecter.
Cela passe par une grande cohérence dans l'action de l'UE qui doit se conformer à ses engagements internationaux pour éviter de fragiliser davantage les institutions existantes. L'UE doit aussi défendre fermement ses intérêts, à la fois pour garantir aux salariés et aux entreprises une protection contre les pratiques déloyales, et pour montrer à ses partenaires que leurs politiques non coopératives ne resteront pas sans réponse. La combinaison de ces injonctions demande une grande clairvoyance dans l'utilisation de mesures de représailles voire de sauvegarde.
Dans un cadre où la réciprocité ne va plus de soi, elle passe également par une approche plus exigeante, en particulier en matière d'investissement direct et de marchés publics, deux domaines dans lesquels les discussions de réforme, déjà avancées, doivent désormais être conclues rapidement. Dans cet environnement conflictuel, les accords de libre-échange prennent une connotation nouvelle. À condition d'être en pleine cohérence avec l'ensemble des objectifs de la politique commerciale européenne, y compris de développement durable et de soutien du multilatéralisme, ils acquièrent une valeur nouvelle comme partenariat stratégique et comme police d'assurance.
Enfin, l'Union a un intérêt stratégique à oeuvrer à une réforme du système commercial multilatéral. Face à des États-Unis tentés par l'unilatéralisme et à une Chine qui se satisferait volontiers du statu quo, il s'agit d'une gageure. L'Europe ne peut cependant s'en remettre à personne d'autre pour essayer d'impulser une dynamique de discussions qui permette de dessiner une issue positive aux conflits commerciaux en cours. L'alternative reviendrait à se résigner à des confrontations ou des accords de "commerce administré", dont l'UE risquerait de faire les frais et qui signeraient de façon tragique l'incapacité des grandes puissances à collaborer pour relever les défis communs.
Contribution, publiée dans LesEchos.fr, issue de l'étude collective de l'Ifri : Élections européennes 2019 : les grands débats. Thomas GOMART, (dir.), Marc HECKER, (dir.), février 2019.
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