Brexit: le défi de la négociation commerciale avec l’Union européenne
Interview parue dans l’Opinion.fr le 15 décembre 2019.
Billet du 2 janvier 2020 - Dans les médias
Y a-t-il eu dans le passé des accords de séparation de ce type comme celui auquel devraient arriver le Royaume Uni et l’Union européenne ?
Pour l’Union européenne, non, même si dans l’absolu se sont déjà produites des séparations comme celle de la Slovaquie et de la Tchéquie après l’éclatement de l’État fédéral. Mais aucun cas passé ne pourra servir de guide dans cette négociation. Il n’y a pas de précédent comparable. D’ailleurs, les références utiles, aujourd’hui, ce sont les accords récents de l’UE comme l’accord économique commercial global (AECG ou CETA en anglais) conclu récemment avec le Canada ou ceux, plus anciens, qui régissent les relations avec la Suisse ou la Norvège.
Dans ce cadre, comment voyez-vous les négociations commerciales à venir dès lors que Boris Johnson se dit pressé ?
C’est un accord qui actera des divergences mais son objet sera surtout de savoir quelles sont les garanties et l’encadrement juridique que l’on se donnera pour limiter ces divergences et leurs effets. J’ai du mal à croire qu’une négociation de cette complexité puisse être bouclée dans de bonnes conditions en onze mois, sachant que l’accord qui a été le plus rapidement bouclé, à ma connaissance, a été celui conclu avec la Corée, qui a nécessité deux ans et demi de discussions. Je crains que Boris Johnson ne sous-estime la complexité de la négociation et je ne suis pas sûr que cela le meilleur moyen pour le Royaume Uni d’obtenir un bon accord. Il se met en position de faiblesse en partant sur cette base. Dans ce type de négociation, c’est le plus pressé qui est contraint à faire le plus de concessions pour conclure. D’autant qu’il va se trouver confronté à des négociateurs européens très aguerris. Ils sont parmi les meilleurs au monde alors que ceux du Royaume Uni sont assez peu expérimentés. Ils ne partent pas avec un avantage en matière de maîtrise technique.
Sur quoi va-t-on négocier ?
Cela va être un accord entre voisins immédiats, c’est-à-dire de bon voisinage, avec des enjeux plus lourds que pour des partenaires distants. Les enjeux globaux sont clairs en termes d’intérêts offensifs et défensifs de ce type de négociation. L’Union Européenne va mettre l’accent sur l’industrie et l’agriculture et le Royaume Uni sur les services financiers et assurantiels même s’il y a des secteurs comme la chimie et la pharmacie où les Britanniques sont très compétitifs. Il y a quand même un contexte spécifique pour l’industrie, en particulier les secteurs où des chaînes de valeur complexes sont déjà en place, comme dans l’automobile et l’aéronautique, avec beaucoup d’aller-retours de part et d’autre de la Manche. Même avec zéro droits de douane, il faudra des contrôles en douane pour s’assurer du respect des règles d’origine et de la conformité aux réglementations techniques de l’UE, sans parler de la perception de la TVA. On n’aura jamais la même fluidité que précédemment. Il va y avoir des créneaux où le Royaume Uni aura du mal à rester performant.
C’est-à-dire ?
Quand on négocie un accord de libéralisation, on négocie autour d’opportunités possibles. Si on y arrive, les agents économiques vont investir pour s’en saisir, c’est à dire adapter leurs produits, faire du marketing, trouver des distributeurs et des clients, etc. Mais dans le cas présent, ces flux commerciaux existent déjà. Les exportateurs ont investi dans la connaissance du marché et l’identification des partenaires, ils ont des coûts fixes associés. Du coup, les dégradations de conditions d’accès au marché du partenaire seront très coûteuses, parce qu’elles remettront en cause la rentabilité d’investissements et d’adaptations qui ont déjà été réalisés. Cela peut être source de pertes pour un certain nombre d’entreprises, y compris des PME pour lesquelles l’ajustement ne sera pas toujours facile.
La pêche est un atout dans les mains britanniques...
C’est effectivement un dossier extrêmement sensible sur lequel le Royaume Uni va se trouver en position de force. Ce sera un élément important de cette négociation. Cela peut faire partie de ces dossiers qui ne seront tranchés qu’à la fin parce qu’il y a une énorme pression politique autour.
Boris Johnson peut aussi claquer la porte purement et simplement...
Il peut jouer cette carte politiquement mais il ne sera pas en position de force pour le faire. Il a beaucoup à perdre. Les Européens aussi, mais beaucoup moins que le Royaume Uni. Boris Johnson risque de s’affronter à une bonne partie des acteurs économiques britanniques qui seront vent debout contre une telle attitude. Ce serait très dangereux d’organiser un choc qui pourrait être très négatif pour une grande partie du tissu économique du Royaume Uni.
Un accord commercial rapide avec les États-Unis comme le promet Donald Trump est-il faisable ?
C’est la même problématique qu’avec l’Union européenne mais en pire! Les États-Unis vont être un partenaire très mal commode. On voit bien comment fonctionne l’administration Trump. Elle sera prête à offrir aux Britanniques un accord très limité dans son périmètre en échange de baisse des barrières douanières comme elle l’a fait avec le Japon. Il peut être négociable assez rapidement. Mais les Américains essaieront d’exploiter au maximum la position de faiblesse du Royaume Uni. Est-ce que Boris Johnson va pouvoir résister aux pressions de Washington pour la hausse de la tarification des médicaments ou l'ouverture large du marché agricole britannique? Il y a des différences significatives dans l’approche des priorités commerciales que les Britanniques risquent de payer cher à la fin des négociations avec les États-Unis. Ce sont des négociations où il y a des rapports de force et Boris Johnson se met dans des positions qui ne seront pas forcément faciles à gérer.
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