Au secours, notre industrie fiche le camp !
Retranscription écrite de l'émission du 12 avril "Les idées claires d'Agnès Bénassy Quéré", chronique hebdomadaire sur France Culture le jeudi matin à 7h38
Par Agnès Bénassy-Quéré
Audio du 12 avril 2012
Au secours, notre industrie fiche le camp ! La part de l’industrie dans l’économie a été divisée par deux en quarante ans, de 26% du PIB en 1970 à 13% aujourd’hui, alors qu’en Allemagne elle se maintient autour de 24%. Mais au fait, pourquoi s’inquiéter ? Au début du 19ème siècle, les deux tiers de la production venaient de l’agriculture. Aujourd’hui cette part est tombée à moins de 2%. Est-ce un drame ? Au cours de la révolution industrielle, puis de la mécanisation agricole, nos cols verts sont devenus cols bleus et notre niveau de vie en a bénéficié : moins de paysans mieux équipés, c’est un revenu par tête plus élevé à la campagne, mais aussi une alimentation meilleur marché. Dans le même temps, les paysans émigrés à la ville ont développé une industrie manufacturière de masse. Résultat : innovations techniques et prix en baisse. Les ménages ont pu s’équiper en frigos, en autos, s’habiller et vivre mieux, même si tout le monde n’en a pas également profité.
La désindustrialisation que nous observons serait-elle un remake de ce que nos aïeux ont vécu en passant de l’agriculture à l’industrie ? Les cols bleus se font aujourd’hui cols blancs ; ceux qui restent à l’usine deviennent hyper-productifs, et produisent donc moins cher ; le pouvoir d’achat dégagé permet le développement de nouvelles activités, principalement dans les services : scénario d’une désindustrialisation heureuse.
En réalité cette vision soulève trois problèmes. D’abord, les services sont en moyenne moins échangés entre pays que les biens industriels ou agricoles. En substituant des services aux activités industrielles, on réduit le potentiel d’exportation et on accroît les besoins d’importation. Il en découle un déficit commercial structurel, et donc une dépendance durable vis-à-vis des investisseurs étrangers. Le deuxième problème, c’est que la productivité croît moins vite dans les services que dans l’industrie. En abandonnant l’industrie, on réduit les gains de productivité agrégés et donc les perspectives de hausse du niveau de vie. Enfin, les services n’ont peut-être pas la même capacité d’entraînement que l’industrie ou l’agriculture. Lorsque vous implantez une usine dans une ville, vous créez une demande pour toute une série d’activités tertiaires : restauration, nettoyage, mais aussi bureaux d’étude et services juridiques. À l’inverse, si vous installez un bureau d’étude, vous créez aussi une demande, mais vous ne faites pas venir une usine.
Alors, oui, il faut faire quelque chose. Mais la réponse de nos politiques, « produire en France », est un peu courte. Si l’Allemagne a réussi à maintenir son industrie, c’est en partie parce qu’elle a laissé ses entreprises délocaliser certaines étapes des processus industriels. Ce qu’il faut, c’est créer un environnement favorable au développement d’activités exportables et à forte valeur ajoutée, que ce soit dans l’industrie manufacturière ou dans les services ; et concentrer les moyens sur les entreprises les plus prometteuses, par exemple par des procédures d’appels d’offre. La politique industrielle, ce n’est pas la sécurité sociale : son but n’est pas de financer des béquilles pour les éclopés de l’industrie.
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