L’épidémie de Covid-19 est aussi une crise de la mondialisation
Billet du 10 mars 2020
Les épidémies n’ont pas attendu l’intensité actuelle des interdépendances économiques pour faire des ravages dans des zones très éloignées. La peste de Justinien, du VIe au milieu du VIIIe siècle, la peste noire au XIVe siècle, ou plus récemment la grippe espagnole ont été des cataclysmes d’ampleur internationale, se développant sur de très longues distances, généralement le long des principales routes commerciales.
Il n’en reste pas moins évident que le brassage accélère la contagion, si bien que l’extension de la présente épidémie a été presque immédiatement internationale, voire mondiale, malgré les efforts des autorités chinoises pour l’endiguer.
Demande et offre simultanément frappées
Les interactions accentuent également ses conséquences économiques, qui affectent d’ores et déjà toutes les grandes économies. Le choc est double, puisque les conséquences de l’épidémie sur les comportements et les mesures prises pour limiter sa contagion réduisent brutalement la consommation, tout en paralysant les transports et une partie de l’activité productive.
À l’autre bout du monde, l’assèchement des arrivées de touristes et l’affaissement des débouchés pour les exportations frappent durement des secteurs entiers, tandis que les interruptions de production laissent craindre des ruptures d’approvisionnement non seulement pour les consommateurs, mais également pour les producteurs ayant recours à des pièces et composants chinois, parfois difficiles à remplacer.
La demande et l’offre sont simultanément frappées, ce qui en fait une crise atypique, d’autant plus que l’importance centrale de la Chine à la fois comme marché et comme producteur lui confère une ampleur sans précédent récent à l’échelle mondiale, pour un évènement dont l’origine est extérieure à la sphère économique et financière.
En illustrant à quel point l’économie mondiale dépend de la Chine, cette épidémie pourrait aussi influer sur sa structuration à l’avenir. Le fait que la division internationale du travail induit des fragilités et que le recours à des fournisseurs très éloignés expose à des perturbations également lointaines n’est pas une découverte.
Une analyse du risque pas assez globale
L’analyse des risques est un élément central des stratégies d’entreprises, qui nécessite de peser les avantages et inconvénients de ce type de choix. Pour autant, les décisions en la matière sont tributaires de la perception des risques et de celle de la fiabilité des marchés. L’épidémie actuelle pourrait bien les changer, d’une façon que l’on peut illustrer par deux parallèles.
Le premier est relatif à la crise financière des subprimes, au cours de laquelle nombre d’acteurs financiers avaient considéré que la titrisation des prêts les rendait moins risqués parce qu’elle permettait une diversification entre de nombreux emprunteurs, sans voir que tous étaient soumis au même aléa d’effondrement du marché immobilier.
Dans le cas présent, les entreprises ne sont-elles pas excessivement focalisées sur une analyse du risque considérant chaque fournisseur individuellement, sans prendre suffisamment la mesure de la probabilité que tous ceux situés dans un même pays ne soient affectés par un même choc ? Cette question est d’autant plus légitime et forte qu’elle est déjà posée par la montée du risque géopolitique au cours des dernières années, y compris sous la forme de guerre commerciale.
Le deuxième parallèle convoque la crise du riz des années 1973-1974. Après une très mauvaise récolte en Asie du Sud-Est provoquée par un épisode El Niño de grande ampleur, les prix ont flambé au début de l’année 1973, avant de provoquer un effondrement pur et simple du marché international du riz pendant neuf mois. Cet épisode dramatique a laissé un souvenir durable dans de grands pays importateurs comme l’Inde ou l’Indonésie, qui ne se sont par la suite plus appuyés sur les marchés internationaux avec la même confiance que précédemment.
La prédominance de la Chine en question
Dans le cas présent, des ruptures d’approvisionnement sont constatées, ou pourront l’être, en raison à la fois de la paralysie de la production chinoise et de la nécessité soudainement démultipliée d’équipements médicaux, de protection en particulier. Ce dernier cas a d’ailleurs amené les autorités chinoises à interdire l’exportation des produits en pénurie, ce qui n’a rien d’anormal au vu de l’interdiction faite par la loi française de modernisation du système de santé de 2016 d’exporter les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur en rupture d’approvisionnement.
Cette situation est exceptionnelle et n’a guère de raison de devenir plus courante, mais elle peut amener à réévaluer les fragilités issues du recours à des sous-traitants ou des filiales lointains et souvent concentrés. C’est l’affaire des entreprises, dans le cadre de leur stratégie de gestion des risques. Cela peut également relever de l’État pour des produits stratégiques, dont la disponibilité relève d’objectifs de politique publique ; outre des équipements de défense, pour lesquels cette remarque tient de l’évidence, cette épidémie pointe le cas des médicaments et des équipements de santé.
Au-delà, c’est la question de la dépendance à la Chine qui est posée, faisant écho à des préoccupations exprimées avec force aux États-Unis depuis plusieurs années, et plus récemment en Europe. Même si la Chine est le premier exportateur mondial de marchandises depuis 2009, la question n’est pas celle de son poids : sa part de marché, de l’ordre de 15 %, est similaire celle des États-Unis au milieu des années 1980 (nettement inférieure à celle d’après-guerre), ainsi qu’à celle du Royaume-Uni au début du XXe siècle, il est vrai dans un commerce moins intense à l’échelle mondiale.
C’est plutôt la prédominance de la Chine dans certains secteurs de haute technologie qui pose question. Dans l’immédiat, elle laisse craindre des pénuries de certains produits et composants électroniques, en particulier ; à terme, elle pose à l’Europe la question de sa capacité à assurer la maîtrise de son destin même dans des situations de crise, c’est-à-dire de son autonomie stratégique. Un débat, là encore, pleinement d’actualité.
L’épidémie de Covid-19 est un phénomène exceptionnel qui n’altère pas profondément et durablement les données de base de la mondialisation. En mettant à l’épreuve d’un choc exceptionnel les perceptions des fragilités et des risques qui lui sont associés, elle pourrait cependant influencer durablement les choix des entreprises et des États. La crise sanitaire est de grande ampleur ; à différents égards, elle est aussi une crise de la mondialisation.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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