
Graphique 1 : Évolution des importations en Russie entre janvier 2020 et novembre 2023, par type de produits. Sources : Calculs des auteurs à partir de Global Trade Tracker et du Journal officiel de l’UE, Fourni par l'auteur
Après le début de la guerre et l’imposition des sanctions, les importations russes ont connu une baisse de 16 %. Cette réduction masque une chute de 64 % des importations en provenance de pays imposant des sanctions et, dans le même temps, une augmentation de 58 % des importations en provenance des autres pays.
Dans ce contexte, la présence sur le champ de bataille de drones et de missiles russes contenant des composants occidentaux, tels que des processeurs, des cartes mémoires ou des amplificateurs, pose la question de l’efficacité des sanctions. Malgré les restrictions, la Russie a en effet continué à s’approvisionner en produits sanctionnés, et leurs importations ont même augmenté de 34 % grâce à une diversion du commerce (Graphique 1), la Chine remplaçant largement l’UE comme principal fournisseur de ces produits (Graphique 2).
Ainsi, un tiers des produits sanctionnés par l’UE ont été entièrement compensés par d’autres fournisseurs, cette proportion atteignant même deux tiers pour la liste restreinte des produits à double usage et des technologies avancées exploitées par l’armée russe sur le champ de bataille en Ukraine.

Graphique 2 : Évolution des importations en Russie de produits sanctionnés, par origine. Sources : Calculs des auteurs à partir de Global Trade Tracker et du Journal officiel de l’UE, Fourni par l'auteur
À titre d’exemple, alors que l’UE était le principal fournisseur de radios de communication importées par la Russie en janvier 2021, pour un montant de 3,4 millions de dollars, contre 0,66 million de dollars pour les importations en provenance de Chine, la chute des exportations de l’UE à partir de 2022 a largement été compensée par l’explosion des exportations chinoises sur cette période (Graphique 3).

Graphique 3 : Évolution des importations russes de radios de communication. Sources : Calculs des auteurs à partir de Global Trade Tracker, Fourni par l'auteur
Si le contournement des sanctions a permis à la Russie de continuer à se procurer des biens critiques, cela ne signifie pas pour autant que les sanctions ont été inefficaces. Car ce contournement des sanctions occidentales a un coût : depuis la guerre (février 2022), le prix des importations russes (toutes origines confondues) a augmenté de 13 % de plus en moyenne que celui des importations du reste du monde (à produits et origines identiques), mais de 22 % en provenance des pays qui n’ont pas imposé de sanctions et de 122 % pour les produits stratégiques.
Ce renchérissement des importations russes provient en partie de la hausse des coûts de transport et d’assurance vers la Russie - de 3 % de plus qu’ailleurs depuis la guerre - du fait des sanctions commerciales et financières. Elle est néanmoins loin d’être le seul facteur explicatif de l’inflation à l’entrée du marché russe.

Graphique 4 : Indice de prix des importations russes et coût de transport et d’assurance. Calculs des auteurs à partir de Global Trade Tracker, Fourni par l'auteur
À la suite des restrictions commerciales, certains pays comme la Turquie ou l’Arménie ont servi d’intermédiaires pour acheminer des biens sanctionnés vers la Russie. Ces réexportations, loin d’être négligeables pour certains produits stratégiques comme les radios de communication (Graphique 5), ne constituent pourtant pas, d’après notre récente étude, un facteur majeur de la hausse des prix observée à l’entrée du marché russe.

Graphique 5 : Réexportations arméniennes de radios de communication. Calculs des auteurs à partir de Global Trade Tracker, Fourni par l'auteur
Reste l’augmentation des marges des exportateurs : les prix des importations russes, nets des coûts de fret, ont en effet crû de 9 % de plus qu’ailleurs en moyenne depuis la guerre, avec une augmentation particulièrement marquée - de 45 % - pour les produits stratégiques. Les fournisseurs de la Russie ont ainsi pu profiter de la réduction de la concurrence sur le marché russe et exploiter sa dépendance pour augmenter leurs marges.
Par ailleurs, il y a toutes les raisons de penser que les nouveaux fournisseurs exportent des produits de moindre qualité, puisque ces origines étaient, avant la guerre, en moyenne moins chères que celles des pays qui ont imposé des sanctions. La Russie importait peu depuis ces pays avant 2022, ce qui suggère que le changement de fournisseur soit une option de second choix.
Les restrictions occidentales à l’exportation ont donc atteint un de leurs objectifs en rendant l’approvisionnement de la Russie en biens stratégiques non seulement plus difficile et plus coûteux, mais aussi de moindre qualité.
Alors que les performances de l’économie russe (faible déficit public, faible dette publique, excédent commercial…) défient les prédictions, l’inflation se stabilise à un haut niveau, dépassant 10 % début 2025. Si la hausse des dépenses militaires et la pénurie de main-d’œuvre expliquent une partie de cette augmentation, les sanctions commerciales, à travers leur effet sur le prix des importations, contribuent également à nourrir cette hausse du niveau général des prix.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.