La guerre des changes : nouvelle mode des médias
Le Japon a mis la presse en émoi : c’est la guerre des changes ! Mais que ce soit dans les années 1930 ou dans la période actuelle, il n’y a pas de volonté délibérée de rejeter les conséquences de la crise sur les autres pays. Les mouvements de change résultent de l’échec de la coopération internationale.
Par Michel Aglietta
Le terme de « guerre des changes » a été lancé par le ministre des finances brésilien Guido Mantega en septembre 2010. Il jugeait la politique américaine d’achats de titres longs de dette publique inefficace pour les Etats-Unis. Cela ne servait qu’à déclencher des flux de capitaux qui inondaient les pays émergents, y provoquant hausse des prix d’actifs, inflation et appréciation des monnaies détériorant la compétitivité. Si les politiques monétaires de taux zéro sont inefficaces dans leurs pays d’origine, tout en ayant des répercussions négatives dans les pays émergents, elles sont globalement nocives et résultent d’une volonté délibérée de dévaluations compétitives de la part des pays développés.
Une autre analyse est que ces politiques sont efficaces par le guidage des taux d’intérêt futurs (forward guidance) que procure l’engagement de maintenir des taux zéro suffisamment longtemps et par l’achat d’actifs longs ciblés par la banque centrale (large-scale asset purchases), les deux processus conduisant à un abaissement des taux longs [1]. Si donc les politiques sont positives pour les pays développés et négatives pour les pays émergents, il ne s’agit pas de guerre des changes mais de mauvaise coordination internationale, incapable de neutraliser les effets néfastes des mouvements de capitaux induits [2].
Les enseignements des années 1930
L’équivalent des politiques « non conventionnelles » actuelles étaient les politiques de dévaluation par rapport à l’or. En effet, la convention d’avant-crise était la convertibilité-or des monnaies rétablie à un coût social énorme au cours des années 1920, comme la cible d’inflation de 2% dite de la « grande modération » a été celle qui a précédé la crise actuelle. Dans les deux cas, cette stabilité des prix retrouvée a fait le lit de l’instabilité financière.
Mener une politique de guidage monétaire voulait dire élever le prix de l’or et le tenir haut aussi longtemps que les conditions monétaires n’étaient pas redevenues « normales ». La solution coopérative aurait été une hausse coordonnée du prix de l’or dans toutes les monnaies pour stopper la déflation dans tous les pays. L’échec de la conférence de Londres en 1933 a précipité les réactions dispersées, déjà précédées par la sortie de la livre sterling de l’étalon-or en septembre 1931, la politique d’argent bon marché et la formation de la zone sterling. Dès le printemps 1933, Roosevelt et son ministre des finances Morgenthau décidèrent d’achats d’or massifs pour faire remonter les prix afin de désendetter les fermiers. Le Japon amorça sa politique d’armement massif tout en abandonnant l’étalon-or, tandis que la Suède adoptait une politique de ciblage du niveau général des prix. De son côté l’Allemagne rendait sa monnaie inconvertible et entrait dans l’univers du commerce de troc.
Tous ces pays améliorèrent leur compétitivité au détriment des pays du « bloc or », emmenés par la France, lesquels s’imposèrent une déflation absurde avec les mêmes arguments que ceux, aujourd’hui, sur les vertus de l’austérité. Il fallut attendre le Front Populaire pour que la France abandonne enfin l’étalon-or au second semestre 1936. Finalement, tous les pays avaient imposés des politiques de chacun pour soi à la solution coordonnée qui aurait dû rationnellement s’imposer dès 1931. Puisque tous les pays subissaient un choc déflationniste commun (une crise financière globale), la meilleure solution aurait été un accord international pour élever le prix mondial de l’or grâce à des achats simultanés des banques centrales.
Et maintenant, quid de la guerre des changes ?
La crise financière a provoqué un effondrement du commerce international par assèchement du marché de gros du dollar à l’automne 2008 (choc commun). Contrairement aux années 1930 le monde possède un forum politique (G20) et des organisations internationales (FMI, Comité de Bâle). C’est pourquoi les choses avaient mieux commencé avec les politiques de relance concomitantes, à défaut de coordonnées. Mais très vite, la coopération internationale s’est délitée, les politiques régressant au schéma séquentiel des années 1930. Les pays les plus durement touchés par la crise financière furent les plus vite acculés aux politiques monétaires de taux zéro. Partout où elles ont été appliquées sérieusement ces politiques ont été efficaces pour réduire les taux d’intérêt à long terme. Corrélativement elles ont abaissé les taux de change réels, donc augmenté la compétitivité avec des effets défavorables sur les autres pays. Il est malvenu de faire haro sur le Japon. En 5 ans, du début 2007 au début 2012, le yen a subi une appréciation de plus de 50% contre le dollar. Aller raconter que sa baisse de 17% depuis la mi-novembre est une dévaluation compétitive qui déclenche une guerre des changes est pour le moins mal venu. Quant à l’euro, il a subi aussi une appréciation de 50% contre le dollar de 2003 à 2008. Puis il a fluctué au gré des avatars de la crise de la zone euro dans une bande de +/ – 8% autour d’un taux moyen de 1,30$ par euro. Rien de bien scandaleux !
Les obstacles pour parvenir à une coopération internationale sont rendus insurmontables par la nature de la crise. A la barrière de taux zéro il n’est pas possible de séparer politique monétaire et politique budgétaire. Coopérer entre des pays qui sont tous affectés, mais pas de manière symétrique, à cette étape du déroulement de la crise, reviendrait à débattre des politiques budgétaires pour pouvoir doser l’ampleur des financements monétaires des dettes publiques nationales contribuant au montant adéquat de liquidité mondiale. Cela est hors de portée dans le monde actuel pour des raisons tant doctrinales (la sacro-sainte indépendance des banques centrales qui n’a plus de réalité mais qui demeure un dogme) que pratiques. Le mieux est donc d’accepter la fluctuation des taux de change sans crier à la guerre à tous propos et hors de propos.
Une autre analyse est que ces politiques sont efficaces par le guidage des taux d’intérêt futurs (forward guidance) que procure l’engagement de maintenir des taux zéro suffisamment longtemps et par l’achat d’actifs longs ciblés par la banque centrale (large-scale asset purchases), les deux processus conduisant à un abaissement des taux longs [1]. Si donc les politiques sont positives pour les pays développés et négatives pour les pays émergents, il ne s’agit pas de guerre des changes mais de mauvaise coordination internationale, incapable de neutraliser les effets néfastes des mouvements de capitaux induits [2].
Les enseignements des années 1930
L’équivalent des politiques « non conventionnelles » actuelles étaient les politiques de dévaluation par rapport à l’or. En effet, la convention d’avant-crise était la convertibilité-or des monnaies rétablie à un coût social énorme au cours des années 1920, comme la cible d’inflation de 2% dite de la « grande modération » a été celle qui a précédé la crise actuelle. Dans les deux cas, cette stabilité des prix retrouvée a fait le lit de l’instabilité financière.
Mener une politique de guidage monétaire voulait dire élever le prix de l’or et le tenir haut aussi longtemps que les conditions monétaires n’étaient pas redevenues « normales ». La solution coopérative aurait été une hausse coordonnée du prix de l’or dans toutes les monnaies pour stopper la déflation dans tous les pays. L’échec de la conférence de Londres en 1933 a précipité les réactions dispersées, déjà précédées par la sortie de la livre sterling de l’étalon-or en septembre 1931, la politique d’argent bon marché et la formation de la zone sterling. Dès le printemps 1933, Roosevelt et son ministre des finances Morgenthau décidèrent d’achats d’or massifs pour faire remonter les prix afin de désendetter les fermiers. Le Japon amorça sa politique d’armement massif tout en abandonnant l’étalon-or, tandis que la Suède adoptait une politique de ciblage du niveau général des prix. De son côté l’Allemagne rendait sa monnaie inconvertible et entrait dans l’univers du commerce de troc.
Tous ces pays améliorèrent leur compétitivité au détriment des pays du « bloc or », emmenés par la France, lesquels s’imposèrent une déflation absurde avec les mêmes arguments que ceux, aujourd’hui, sur les vertus de l’austérité. Il fallut attendre le Front Populaire pour que la France abandonne enfin l’étalon-or au second semestre 1936. Finalement, tous les pays avaient imposés des politiques de chacun pour soi à la solution coordonnée qui aurait dû rationnellement s’imposer dès 1931. Puisque tous les pays subissaient un choc déflationniste commun (une crise financière globale), la meilleure solution aurait été un accord international pour élever le prix mondial de l’or grâce à des achats simultanés des banques centrales.
Et maintenant, quid de la guerre des changes ?
La crise financière a provoqué un effondrement du commerce international par assèchement du marché de gros du dollar à l’automne 2008 (choc commun). Contrairement aux années 1930 le monde possède un forum politique (G20) et des organisations internationales (FMI, Comité de Bâle). C’est pourquoi les choses avaient mieux commencé avec les politiques de relance concomitantes, à défaut de coordonnées. Mais très vite, la coopération internationale s’est délitée, les politiques régressant au schéma séquentiel des années 1930. Les pays les plus durement touchés par la crise financière furent les plus vite acculés aux politiques monétaires de taux zéro. Partout où elles ont été appliquées sérieusement ces politiques ont été efficaces pour réduire les taux d’intérêt à long terme. Corrélativement elles ont abaissé les taux de change réels, donc augmenté la compétitivité avec des effets défavorables sur les autres pays. Il est malvenu de faire haro sur le Japon. En 5 ans, du début 2007 au début 2012, le yen a subi une appréciation de plus de 50% contre le dollar. Aller raconter que sa baisse de 17% depuis la mi-novembre est une dévaluation compétitive qui déclenche une guerre des changes est pour le moins mal venu. Quant à l’euro, il a subi aussi une appréciation de 50% contre le dollar de 2003 à 2008. Puis il a fluctué au gré des avatars de la crise de la zone euro dans une bande de +/ – 8% autour d’un taux moyen de 1,30$ par euro. Rien de bien scandaleux !
Les obstacles pour parvenir à une coopération internationale sont rendus insurmontables par la nature de la crise. A la barrière de taux zéro il n’est pas possible de séparer politique monétaire et politique budgétaire. Coopérer entre des pays qui sont tous affectés, mais pas de manière symétrique, à cette étape du déroulement de la crise, reviendrait à débattre des politiques budgétaires pour pouvoir doser l’ampleur des financements monétaires des dettes publiques nationales contribuant au montant adéquat de liquidité mondiale. Cela est hors de portée dans le monde actuel pour des raisons tant doctrinales (la sacro-sainte indépendance des banques centrales qui n’a plus de réalité mais qui demeure un dogme) que pratiques. Le mieux est donc d’accepter la fluctuation des taux de change sans crier à la guerre à tous propos et hors de propos.
[1] M. Woodford (2012), Methods of policy accommodation at the interest rate lower bound, Conference Paper, Jackson Hole Symposium, 31 août. M. Aglietta (2013), The zero lower bound and the financial instability hypothesis, CEPII Working Paper, à paraître.
[2] B. Eichengreen (2013), Currency war or international policy coordination ?, Univ. Berkeley, janvier.