Restructuration de la dette grecque : un débat difficile sur le statut de créancier privilégié de la BCE et du FMI
L’inéluctable restructuration de la dette grecque conduira soit à un transfert de charges vers les États membres de la zone Euro, soit à un abandon au moins partiel par le FMI et/ou la BCE de leur statut de créanciers privilégiés.
Par Christophe Destais
Avant même la victoire électorale de Syriza, la dette publique grecque était considérée comme insoutenable et sa restructuration inéluctable par la majorité des observateurs. Cette conclusion découle non seulement du niveau de cette dette, environ 175 % du PIB, mais également de la spirale déflationniste dans laquelle le pays a été plongé et du fait que les autorités du pays n’ont qu’une influence très limitée sur l’émission de la monnaie -l’Euro - dans laquelle cette dette est libellée, contrairement à la dette publique japonaise, par exemple.
La victoire du parti d’extrême gauche n’a donc fait que cristalliser un débat inéluctable et fait évoluer la posture de négociation du gouvernement grec en faveur d’un soutien plus affirmé à la dépense publique.
La dette grecque est aujourd’hui détenue à près de 80 % par des « créanciers officiels » : les gouvernements des autres pays membres de l’Eurozone, qui dans un premier temps, ont prêté directement au gouvernement grec, le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF), prédécesseur entre 2010 et 2013 du Mécanisme Européen de Stabilité, l’ensemble formé des banques centrales de la zone Euro et de la BCE (ci-après la BCE) et, finalement, le FMI.
Cette situation résulte de l’action combinée des programmes successifs de soutien financier à la Grèce qui ont abouti à la substitution des créanciers publics aux créanciers privés et à des abandons de créances consenties par ces derniers en février 2012 dans le cadre du programme « Private Sector Involvement » (PSI).
La BCE détient également des créances sur des banques commerciales garanties par des titres émis par le gouvernement grec.
Toute restructuration de la dette publique grecque ne pourra donc que concerner, au premier chef, sinon exclusivement, les créanciers officiels.
Or, une part importante des créances détenues par les États membres et le FESF comportent de longues périodes de grâce, y compris pour le paiement des intérêts. L’essentiel des paiements relatifs à la dette grecque jusqu’au début de la prochaine décennie concerne donc les créances de la BCE et du FMI [1]. Ces créances seraient les premières concernées par un défaut, s’il devait se produire.
Ces deux créanciers se considèrent comme des créanciers privilégiés par rapport aux autres, c'est-à-dire en l’occurrence essentiellement les États membres de la zone Euro et le FESF.
La BCE l’a rappelé dans des termes très nets dès le lendemain de la victoire de Syriza par la voix de Benoît Coeuré. Elle souhaite moins que jamais que sa crédibilité dans la mise en œuvre du programme d’achats massifs de titres de la dette publique, qu’elle vient de décider, soit altérée par des abandons de créances. Elle en avait déjà été exemptée en février 2012 lors de la mise en œuvre du PSI bien que les titres qu’elle détient aient été achetés sur le marché à des créanciers privés et que donc aucun privilège ne leur est a priori attaché. Cette position, qui fait de la BCE un créancier privilégié en raison de son statut, avait été implicitement critiquée en juillet 2012 par le FMI [2] et la BCE avait accepté de ne pas revendiquer de privilège dans le cadre du programme OMT qu’elle n’a finalement pas mis en œuvre à ce jour.[3] Le FMI n’a, pour ce qui le concerne, jamais officiellement accepté que son propre statut de créancier privilégié soit remis en cause. Invoqué par le Fonds depuis sa création, ce dernier n’est pourtant pas mentionné dans ses Statuts. Il lui a néanmoins été, jusqu’à présent, de facto reconnu [4]. Le contentieux qui a opposé ces dernières années les fonds vautours au gouvernement argentin devant la justice américaine sur l’application de la clause « pari passu » n’a pas conduit à sa remise en cause formelle. En effet, si la justice américaine a donné droit à la demande des requérants que leur soit appliqué un traitement identique à celui des investisseurs qui avaient accepté une réduction de leur créance dans les années 2000, les fonds vautours ont précisé que leur requête ne s’applique pas aux créances du FMI qui avaient pourtant été totalement remboursées [5].
Toutefois, lorsque le Fonds s’était engagé, en 2010, à prêter 30 milliards de dollars à la Grèce, le montant le plus élevé pour un seul pays [6], il s’était réservé la possibilité de ne pas exiger que le programme associé à ce financement rende son remboursement hautement probable, contrairement à sa pratique habituelle. Les États-Unis, le Brésil et la Suisse s’étaient fait confirmer par le Fond que les créances des États membres étaient bien subordonnées à celles du Fonds [7]. Certains analystes estiment que ce relâchement de la politique de prêt du Fonds pour des montants aussi importants a de facto contribué à affaiblir sa capacité à maintenir ses privilèges dans le futur. [8]
Le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) est lui un créancier privilégié, second après le FMI, en application d’une décision des chefs d’États et de Gouvernements de ses États membres et non du traité qui l’a créé. Il a toutefois déjà abandonné ce statut dans le cadre de sa participation à la recapitalisation des banques espagnoles (en précisant que ce cas serait unique). C’est son prédécesseur, le FESF, qui porte les créances sur la Grèce (140 milliards d’Euros environ) et le FESF lui ne bénéficie d’aucun privilège [9]. Les financements éventuels du MES à des pays qui bénéficiaient déjà de prêts du FESF auraient le même statut que ces derniers [10].
Sauf à tordre le cou au FMI ou à la BCE et à créer un précédent, les États membres de la zone Euro risquent donc de devoir supporter - directement et à travers le mécanisme de financement collectif qu’ils ont mis en place - la charge d’un allègement de la dette grecque quitte à recourir à des artifices comptables qui permettent de reporter dans le futur le constat de la perte.
La victoire du parti d’extrême gauche n’a donc fait que cristalliser un débat inéluctable et fait évoluer la posture de négociation du gouvernement grec en faveur d’un soutien plus affirmé à la dépense publique.
La dette grecque est aujourd’hui détenue à près de 80 % par des « créanciers officiels » : les gouvernements des autres pays membres de l’Eurozone, qui dans un premier temps, ont prêté directement au gouvernement grec, le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF), prédécesseur entre 2010 et 2013 du Mécanisme Européen de Stabilité, l’ensemble formé des banques centrales de la zone Euro et de la BCE (ci-après la BCE) et, finalement, le FMI.
Cette situation résulte de l’action combinée des programmes successifs de soutien financier à la Grèce qui ont abouti à la substitution des créanciers publics aux créanciers privés et à des abandons de créances consenties par ces derniers en février 2012 dans le cadre du programme « Private Sector Involvement » (PSI).
La BCE détient également des créances sur des banques commerciales garanties par des titres émis par le gouvernement grec.
Toute restructuration de la dette publique grecque ne pourra donc que concerner, au premier chef, sinon exclusivement, les créanciers officiels.
Or, une part importante des créances détenues par les États membres et le FESF comportent de longues périodes de grâce, y compris pour le paiement des intérêts. L’essentiel des paiements relatifs à la dette grecque jusqu’au début de la prochaine décennie concerne donc les créances de la BCE et du FMI [1]. Ces créances seraient les premières concernées par un défaut, s’il devait se produire.
Ces deux créanciers se considèrent comme des créanciers privilégiés par rapport aux autres, c'est-à-dire en l’occurrence essentiellement les États membres de la zone Euro et le FESF.
La BCE l’a rappelé dans des termes très nets dès le lendemain de la victoire de Syriza par la voix de Benoît Coeuré. Elle souhaite moins que jamais que sa crédibilité dans la mise en œuvre du programme d’achats massifs de titres de la dette publique, qu’elle vient de décider, soit altérée par des abandons de créances. Elle en avait déjà été exemptée en février 2012 lors de la mise en œuvre du PSI bien que les titres qu’elle détient aient été achetés sur le marché à des créanciers privés et que donc aucun privilège ne leur est a priori attaché. Cette position, qui fait de la BCE un créancier privilégié en raison de son statut, avait été implicitement critiquée en juillet 2012 par le FMI [2] et la BCE avait accepté de ne pas revendiquer de privilège dans le cadre du programme OMT qu’elle n’a finalement pas mis en œuvre à ce jour.[3] Le FMI n’a, pour ce qui le concerne, jamais officiellement accepté que son propre statut de créancier privilégié soit remis en cause. Invoqué par le Fonds depuis sa création, ce dernier n’est pourtant pas mentionné dans ses Statuts. Il lui a néanmoins été, jusqu’à présent, de facto reconnu [4]. Le contentieux qui a opposé ces dernières années les fonds vautours au gouvernement argentin devant la justice américaine sur l’application de la clause « pari passu » n’a pas conduit à sa remise en cause formelle. En effet, si la justice américaine a donné droit à la demande des requérants que leur soit appliqué un traitement identique à celui des investisseurs qui avaient accepté une réduction de leur créance dans les années 2000, les fonds vautours ont précisé que leur requête ne s’applique pas aux créances du FMI qui avaient pourtant été totalement remboursées [5].
Toutefois, lorsque le Fonds s’était engagé, en 2010, à prêter 30 milliards de dollars à la Grèce, le montant le plus élevé pour un seul pays [6], il s’était réservé la possibilité de ne pas exiger que le programme associé à ce financement rende son remboursement hautement probable, contrairement à sa pratique habituelle. Les États-Unis, le Brésil et la Suisse s’étaient fait confirmer par le Fond que les créances des États membres étaient bien subordonnées à celles du Fonds [7]. Certains analystes estiment que ce relâchement de la politique de prêt du Fonds pour des montants aussi importants a de facto contribué à affaiblir sa capacité à maintenir ses privilèges dans le futur. [8]
Le Mécanisme Européen de Stabilité (MES) est lui un créancier privilégié, second après le FMI, en application d’une décision des chefs d’États et de Gouvernements de ses États membres et non du traité qui l’a créé. Il a toutefois déjà abandonné ce statut dans le cadre de sa participation à la recapitalisation des banques espagnoles (en précisant que ce cas serait unique). C’est son prédécesseur, le FESF, qui porte les créances sur la Grèce (140 milliards d’Euros environ) et le FESF lui ne bénéficie d’aucun privilège [9]. Les financements éventuels du MES à des pays qui bénéficiaient déjà de prêts du FESF auraient le même statut que ces derniers [10].
Sauf à tordre le cou au FMI ou à la BCE et à créer un précédent, les États membres de la zone Euro risquent donc de devoir supporter - directement et à travers le mécanisme de financement collectif qu’ils ont mis en place - la charge d’un allègement de la dette grecque quitte à recourir à des artifices comptables qui permettent de reporter dans le futur le constat de la perte.
[1] IMF (2014), “Greece: Fifth Review Under the Extended Arrangement Under the Extended Fund Facility, and Request for Waiver of Nonobservance of Performance Criterion and Rephasing of Access”, Staff Report, Press Release,and Statement by the Executive Director for Greece, June 10, page 60.
[2] IMF (2012), Euro Area Policies: 2012 Article IV Consultation, "Possible Subordination Effects of Eurosystem Bond Purchases", pp. 47 à 55.
[2] IMF (2012), Euro Area Policies: 2012 Article IV Consultation, "Possible Subordination Effects of Eurosystem Bond Purchases", pp. 47 à 55.
[3] Reuters, “ECB drops preferred creditor status for new bond buys”, Thu Sep 6, 2012.
[4] En 1988, une des instances dirigeantes du Fond avait « exhorté » (« urged » en anglais) les États-Membres à lui reconnaître ce privilège « dans la limite de leurs lois internes ».
[5] Melissa Boudreau and Mitu Gulati, The IMF’s imperiled priority, Draft: June 23, 2014, Duke University. Ces auteurs pensent que les décisions –devenues définitives– de la justice américaine dans le contentieux qui oppose les fonds vautour au gouvernement argentin ont ouvert la « boîte de pandore » d’une remise en cause du statut de créancier privilégié du FMI.
[6]L’encours du FMI sur la Grève au 31 décembre 2014 était égal à 28,7 milliards de dollars, soit 26,6 % de son encours de prêt.