Discrimination d’origine à l’embauche en France : forte et non spécifique à une origine particulière
En 2008, plus d’un dixième de la population adulte française est directement issue de l’immigration. Une étude expérimentale menée en France montre que la discrimination liée à l’origine dans l’accès à l’emploi est forte mais ne concerne pas d’origine ethnique particulière.
Par Anthony Edo
Les Français issus de l'immigration sont-ils discriminés dans leur accès à l’emploi ? Cette question est d’autant plus cruciale que plus d’un dixième des adultes de nationalité française est issu de l’immigration ; cette population regroupe les immigrés naturalisés français et les individus nés en France d'un parent immigré.
La discrimination à l’embauche des personnes qui portent un nom d’origine maghrébine est de l’ordre de 40 %
L’application de la méthode du testing (cf. encadré) au marché du travail français permet d’y apporter un certain nombre d’éléments de réponse.[1] Tout d’abord, conformément aux études réalisées précédemment en France ou à l’étranger, les travaux que nous avons réalisés avec N. Jacquemet pour la France montrent que la discrimination à l’encontre des candidats français d’origine étrangère est de l’ordre de 40 % : à CV équivalent, un candidat dont le nom est à consonance maghrébine reçoit 60 convocations à un entretien d’embauche quand les autres candidats (dont le nom est à consonance « française ») en reçoivent 100. Cet écart représente un handicap considérable pour trouver un emploi, et concerne tant les femmes que les hommes d’origine maghrébine.
D’autres travaux se sont intéressés au rôle joué par l’appartenance religieuse des candidats issus de l’immigration dans l’accès à l’emploi. À cet égard, Adida et al. (2010) [2] montre que la discrimination d’origine tend à s’accentuer lorsque les candidats sont perçus comme appartenant à la communauté musulmane. À profil de compétences égal, un Français d’origine étrangère a deux fois moins de chances d’être convoqué à un entretien lorsqu’il signale sur son CV la pratique d’une activité extra-professionnelle perçue comme musulmane (bénévolat pour les jeunes musulmans de France) que lorsqu’il y indique une activité perçue comme chrétienne (bénévolat pour les scouts). En plus de l’origine perçue, la religion apparaît ainsi comme une information supplémentaire mobilisée dans le processus de recrutement.
La discrimination n’est cependant pas spécifique à une vague particulière d’immigration
Une étude menée par Duguet et al. (2012) analyse la discrimination à l’embauche en élargissant le spectre des origines testées[3]. Ils utilisent non seulement des noms à consonance marocaines, mais aussi des noms à consonances sénégalaises et asiatiques. Leurs résultats indiquent la présence d'une forte discrimination à l'embauche quelle que soit l'origine qu’il est possible d’inférer du nom porté par les candidatures. Dans le processus de recrutement, les employeurs avantagent donc systématiquement la candidature dont le nom est à consonance française.
L’étude que nous avons réalisée confirme l’idée selon laquelle la discrimination ne serait pas spécifique à un groupe ethnique particulier. Nous avons ainsi étudié les différences de traitement entre trois types de candidats (fictifs). Les deux premiers candidats portent des noms à consonance française et maghrébine, alors que le troisième porte un nom dont la consonance est étrangère, mais dont l’origine reste inconnue de la population des recruteurs. Nous avons envoyé les candidatures (préalablement construites) en réponse à 504 offres d’emploi dans le secteur de la comptabilité en Île-de-France.
Nous montrons que la discrimination à l’embauche affecte autant les candidatures dont l’origine est maghrébine que celles dont l’origine est inconnue. Alors que les candidats dont le nom est à consonance française reçoivent en moyenne 17 convocations à un entretien pour 100 candidatures envoyées, les candidats d’origine maghrébine et étrangère (sans identification précise de l’origine) n’en reçoivent que 10.
La discrimination d'origine ne semble donc pas liée à une défiance ciblée à l’encontre de minorités ethniques bien déterminées, mais subie de manière indifférenciée par tous les candidats d’origine étrangère, dans la mesure où ces derniers sont perçus comme n’appartenant pas au groupe ethnique majoritaire. Ces résultats mettent en lumière l’existence d’une forme d’homéophilie ethnique – c'est-à-dire une tendance parmi les recruteurs à favoriser les candidats qui partagent le même groupe ethnique d’appartenance.
La participation au marché du travail est un vecteur fondamental d’intégration (Gordon, 1964)[4]. La lutte contre les discriminations à l’embauche est donc essentielle pour améliorer l’intégration des minorités et favoriser la cohésion sociale. Si plusieurs pistes de réflexion ont déjà été apportées pour combattre les discriminations (programme de discrimination positive, CV anonyme ou système de labellisation du niveau de maîtrise du langage), nos conclusions suggèrent que les modalités d’action doivent concernées l’ensemble des minorités ethniques. En effet, une mesure ciblée en faveur d’un groupe particulier ne serait que partiellement efficace, puisqu’elle laisserait inchangée la situation des individus qui, bien qu’issus de l’immigration, échappent à ces catégorisations.
La discrimination à l’embauche des personnes qui portent un nom d’origine maghrébine est de l’ordre de 40 %
L’application de la méthode du testing (cf. encadré) au marché du travail français permet d’y apporter un certain nombre d’éléments de réponse.[1] Tout d’abord, conformément aux études réalisées précédemment en France ou à l’étranger, les travaux que nous avons réalisés avec N. Jacquemet pour la France montrent que la discrimination à l’encontre des candidats français d’origine étrangère est de l’ordre de 40 % : à CV équivalent, un candidat dont le nom est à consonance maghrébine reçoit 60 convocations à un entretien d’embauche quand les autres candidats (dont le nom est à consonance « française ») en reçoivent 100. Cet écart représente un handicap considérable pour trouver un emploi, et concerne tant les femmes que les hommes d’origine maghrébine.
D’autres travaux se sont intéressés au rôle joué par l’appartenance religieuse des candidats issus de l’immigration dans l’accès à l’emploi. À cet égard, Adida et al. (2010) [2] montre que la discrimination d’origine tend à s’accentuer lorsque les candidats sont perçus comme appartenant à la communauté musulmane. À profil de compétences égal, un Français d’origine étrangère a deux fois moins de chances d’être convoqué à un entretien lorsqu’il signale sur son CV la pratique d’une activité extra-professionnelle perçue comme musulmane (bénévolat pour les jeunes musulmans de France) que lorsqu’il y indique une activité perçue comme chrétienne (bénévolat pour les scouts). En plus de l’origine perçue, la religion apparaît ainsi comme une information supplémentaire mobilisée dans le processus de recrutement.
La discrimination n’est cependant pas spécifique à une vague particulière d’immigration
Une étude menée par Duguet et al. (2012) analyse la discrimination à l’embauche en élargissant le spectre des origines testées[3]. Ils utilisent non seulement des noms à consonance marocaines, mais aussi des noms à consonances sénégalaises et asiatiques. Leurs résultats indiquent la présence d'une forte discrimination à l'embauche quelle que soit l'origine qu’il est possible d’inférer du nom porté par les candidatures. Dans le processus de recrutement, les employeurs avantagent donc systématiquement la candidature dont le nom est à consonance française.
L’étude que nous avons réalisée confirme l’idée selon laquelle la discrimination ne serait pas spécifique à un groupe ethnique particulier. Nous avons ainsi étudié les différences de traitement entre trois types de candidats (fictifs). Les deux premiers candidats portent des noms à consonance française et maghrébine, alors que le troisième porte un nom dont la consonance est étrangère, mais dont l’origine reste inconnue de la population des recruteurs. Nous avons envoyé les candidatures (préalablement construites) en réponse à 504 offres d’emploi dans le secteur de la comptabilité en Île-de-France.
Nous montrons que la discrimination à l’embauche affecte autant les candidatures dont l’origine est maghrébine que celles dont l’origine est inconnue. Alors que les candidats dont le nom est à consonance française reçoivent en moyenne 17 convocations à un entretien pour 100 candidatures envoyées, les candidats d’origine maghrébine et étrangère (sans identification précise de l’origine) n’en reçoivent que 10.
La discrimination d'origine ne semble donc pas liée à une défiance ciblée à l’encontre de minorités ethniques bien déterminées, mais subie de manière indifférenciée par tous les candidats d’origine étrangère, dans la mesure où ces derniers sont perçus comme n’appartenant pas au groupe ethnique majoritaire. Ces résultats mettent en lumière l’existence d’une forme d’homéophilie ethnique – c'est-à-dire une tendance parmi les recruteurs à favoriser les candidats qui partagent le même groupe ethnique d’appartenance.
La participation au marché du travail est un vecteur fondamental d’intégration (Gordon, 1964)[4]. La lutte contre les discriminations à l’embauche est donc essentielle pour améliorer l’intégration des minorités et favoriser la cohésion sociale. Si plusieurs pistes de réflexion ont déjà été apportées pour combattre les discriminations (programme de discrimination positive, CV anonyme ou système de labellisation du niveau de maîtrise du langage), nos conclusions suggèrent que les modalités d’action doivent concernées l’ensemble des minorités ethniques. En effet, une mesure ciblée en faveur d’un groupe particulier ne serait que partiellement efficace, puisqu’elle laisserait inchangée la situation des individus qui, bien qu’issus de l’immigration, échappent à ces catégorisations.
Encadré – La mesure de la discrimination dans l’accès à l’emploi
Une situation de discrimination dans l’accès à l’emploi opère lorsque deux candidats de productivité identique subissent un traitement inégal. Détecter la présence d’un comportement discriminatoire suppose donc de s’assurer que le traitement défavorable subi par un individu est uniquement lié à une caractéristique qui n’affecte pas sa productivité (comme son origine). Par nature, la discrimination à l'embauche exclut toutes les inégalités de traitement imputables à des différences de caractéristiques productives comme le niveau de diplôme ou l'aptitude à occuper un emploi. Les enquêtes statistiques ne permettent pas de dresser la liste complète des caractéristiques productives, ce qui rend particulièrement délicate l’utilisation des parcours individuels observés sur le marché du travail pour mesurer et comprendre les discriminations qui s’y exercent. Pour pallier ces difficultés, les travaux d’économie appliquée se sont tournés vers une méthode expérimentale appelée le test par correspondance (ou testing). Cette méthode est fondée sur un envoi contrôlé de candidatures fictives préalablement construites (CV et lettre de motivation) en réponse à des offres d’emploi réelles. Pour évaluer le niveau de discrimination à l’embauche, les candidatures qui sont envoyées ne doivent se différencier que par la caractéristique que l’on cherche à tester (patronyme, genre, lieu de résidence, etc.). L’avantage d’une telle méthode réside dans le contrôle complet des caractéristiques apportées aux candidatures (éducation, expérience professionnelle, loisirs, etc.). À l’issue de l’étude, l’expérimentateur est donc certain de saisir la cause des inégalités de traitement constatées entre les différentes candidatures, à savoir l’existence d’un comportement discriminatoire à l’encontre de la seule caractéristique qui diffère d’une candidature à l’autre. |
[1] Les résultats décrits dans ce billet sont présentés plus en détail dans Anthony Edo et Nicolas Jacquemet. La discrimination à l’embauche sur le marché du travail français, Opuscule du CEPREMAP n° 31, Éditions Rue d’Ulm, Paris, 2013. Voir aussi Anthony Edo et Nicolas Jacquemet. « Discrimination d'origine et de genre à l’embauche et homéophilie ethnique : une expérience de testing par correspondance en France », Economie et Statistique, n° 464-465-466, 2014, p. 155-172.
[2] Claire Adida, David Laitin et Marie-AnneValfort, « Identifying barriers to Muslim integration in France », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 107, n° 52, 2010, p. 1-7.
[3] Emmanuel Duguet, Loïc Du Parquet, Yannick L’Horty et Pascale Petit, « First Order Stochastic Dominance and the Measurement of Hiring Discrimination: A Ranking Extension of Correspondence Testings with an Application to Gender and Origin », Document de travail ERUDITE, 2012.
[4] M. M. Gordon. « Assimilation in American Life: the Role of Race, Religion and National Origins », 1964.