L’AIIB (3/3) : L’AIIB dans la stratégie financière internationale de la Chine
Première institution financière multilatérale créée en dehors du cadre de Bretton Woods, l’AIIB participe à la stratégie régionale et globale de Pékin.
Par Christophe Destais
L’AIIB se définit, légitimement, comme une « banque de développement multilatérale », en anglais Multilateral Development Banks ou MDBs. Les MDBs ont la particularité d’avoir à leur capital non seulement les pays des régions concernées mais également de nombreux autres pays désireux d’être impliqués dans leurs activités, en particulier les pays développés. Trois banques de développement régionales ont été créées dans un contexte marqué par la guerre froide et la décolonisation : la Banque Interaméricaine de Développement (1959), la Banque Africaine de Développement (1963) et la Banque Asiatique de Développement (1966). La quatrième, la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement (1991), l’a été dans le contexte de l’effondrement du bloc soviétique. Ces quatre MDBs régionales disposent d’un statut juridique propre et d’une autonomie opérationnelle mais elles exercent un mandat défini dans des termes similaires et entretiennent entre elles et avec la Banque Mondiale des relations étroites [1]. La Chine et les autres pays émergents sont clairement sous représentés dans les MDBs [2] et voudraient avoir davantage leur mot à dire dans les institutions mais le rythme – lent – des réformes leur a fait perdre leurs illusions.
Contrairement aux autres MDBs, l’AIIB a été créée en dehors du giron de la Banque mondiale et donc du cadre issu des accords de Bretton Woods (1944).
L’initiative chinoise succède à l’annonce de la création de la New Development Bank (NDB) ou BRICS Bank, le 15 juillet 2014. La NDB visait ouvertement à se poser en alternative à la Banque Mondiale et au FMI, auxquels il était reproché d’être dominés par les États-Unis et devait fonctionner sur le modèle « un pays, un vote », sans droit de veto. Toutefois, alors que la NDB tarde à devenir opérationnelle, la mise en place effective de l’AIIB – qui se fonde sur un modèle plus classique où les droits de votes sont, en gros, proportionnels à la part dans le capital – s’est effectuée en un temps record.
La décision prise d’utiliser le dollar et non la monnaie chinoise, le Renminbi, comme monnaie de compte et monnaie dans laquelle les prêts seront remboursés, a fait l’objet de nombreux commentaires en Chine où elle a été interprétée comme une reculade.
Il est probable que la liquidité internationale du Renminbi ne soit pas suffisante aujourd’hui pour que l’on puisse envisager qu’une banque multilatérale en fasse sa monnaie d’usage. La pression de certains membres a également dû jouer. Les recettes d’exportation de nombreux pays d’Asie, en particulier ceux qui exportent des matières premières, restent libellées en dollar et faire fonctionner la Banque en Renminbi les exposeraient également à un risque de change.
L’AIIB constitue un pion dans une stratégie d’ensemble régionale et globale de la Chine, à la fois politique, économique et financier. D’une part, si la Chine dispose d’instruments financiers bilatéraux déjà puissants comme la Bank of Development et des moyens financiers de poursuivre leur développement, la multilatéralisation des financements est une bonne manière d’isoler les financements des tensions géopolitiques bilatérales entre certains pays de la région et la Chine, pour autant que cette dernière résiste à la tentation d’un pouvoir hégémonique sur l’AIIB.
L’internationalisation du Renminbi, les swaps entre banque centrales, l’ouverture du bilan des intermédiaires financiers chinois en sont d’autres exemples. La Chine a pris simultanément une autre initiative dans la stratégie de la nouvelle route de la Soie : « One Belt, One road » (OBOR). Ce projet constitue un cadre pour développer les infrastructures de connectivité entre la Chine elle-même et l’Europe à travers deux routes, l’une maritime (Maritime Silk Road ou MSR) et l’autre terrestre (Silk Road Economic Belt ou SREB). Si les deux initiatives sont distinctes, elles procèdent de la même logique économique (et sans doute politique) du point de vue des Chinois : mieux ancrer le reste de l’Asie à la Chine, favoriser l’expansion internationale de ses entreprises, notamment dans le domaine des infrastructures. Il est très probable par ailleurs que l’AIIB sera sollicitée pour financer des projets qui émargeront à l’OBOR.
L’OBOR et l’AIIB témoignent aussi de la montée en puissance financière de la Chine. Ces initiatives ont d’ailleurs certainement joué un rôle important dans le revirement américain au sujet de la place de la Chine au FMI opéré en 2015. D’une part, les États-Unis ne se sont pas opposés à ce que le Renminbi soit intégré au panier de devises qui constitue l’unité de compte du Fonds Monétaire, les droits de tirage spéciaux (DTS). D’autre part, le Sénat américain a consenti, après cinq années de blocage, à ratifier une réforme de 2010 du FMI qui augmente les ressources de ce dernier et accroît modestement la place des émergents dans sa gouvernance [3].
Cette dynamique s’appuyait sur le sentiment d’une irrésistible ascension économique, financière et politique de la Chine. Le ralentissement économique que connaît cette dernière depuis deux ans, les sorties de capitaux, la baisse de ses réserves de change ont quelque peu terni le tableau. Toutefois, rien n’indique aujourd’hui que la Chine pourrait mettre cette politique d’influence financière internationale en sommeil. Tout juste certaines modalités sont susceptibles d’être modifiées, certaines initiatives retardées. Il est peu probable que cela soit le cas de l’AIIB dans laquelle les autorités chinoises ont engagé un crédit politique considérable.
Devant le momentum que les Chinois ont réussi à imprimer à la création de l’AIIB, les autres bailleurs de fonds n’ont eu d’autre choix que de reconnaître l’émergence d’une nouvelle banque multilatérale et, à ce stade, se déclarer ouvert à des cofinancements et des partenariats. Cette situation favorise également l’AIIB qui pourra ainsi se prévaloir de la crédibilité des MDBs et autres bailleurs existants.
Contrairement aux autres MDBs, l’AIIB a été créée en dehors du giron de la Banque mondiale et donc du cadre issu des accords de Bretton Woods (1944).
L’initiative chinoise succède à l’annonce de la création de la New Development Bank (NDB) ou BRICS Bank, le 15 juillet 2014. La NDB visait ouvertement à se poser en alternative à la Banque Mondiale et au FMI, auxquels il était reproché d’être dominés par les États-Unis et devait fonctionner sur le modèle « un pays, un vote », sans droit de veto. Toutefois, alors que la NDB tarde à devenir opérationnelle, la mise en place effective de l’AIIB – qui se fonde sur un modèle plus classique où les droits de votes sont, en gros, proportionnels à la part dans le capital – s’est effectuée en un temps record.
La décision prise d’utiliser le dollar et non la monnaie chinoise, le Renminbi, comme monnaie de compte et monnaie dans laquelle les prêts seront remboursés, a fait l’objet de nombreux commentaires en Chine où elle a été interprétée comme une reculade.
Il est probable que la liquidité internationale du Renminbi ne soit pas suffisante aujourd’hui pour que l’on puisse envisager qu’une banque multilatérale en fasse sa monnaie d’usage. La pression de certains membres a également dû jouer. Les recettes d’exportation de nombreux pays d’Asie, en particulier ceux qui exportent des matières premières, restent libellées en dollar et faire fonctionner la Banque en Renminbi les exposeraient également à un risque de change.
L’AIIB constitue un pion dans une stratégie d’ensemble régionale et globale de la Chine, à la fois politique, économique et financier. D’une part, si la Chine dispose d’instruments financiers bilatéraux déjà puissants comme la Bank of Development et des moyens financiers de poursuivre leur développement, la multilatéralisation des financements est une bonne manière d’isoler les financements des tensions géopolitiques bilatérales entre certains pays de la région et la Chine, pour autant que cette dernière résiste à la tentation d’un pouvoir hégémonique sur l’AIIB.
L’internationalisation du Renminbi, les swaps entre banque centrales, l’ouverture du bilan des intermédiaires financiers chinois en sont d’autres exemples. La Chine a pris simultanément une autre initiative dans la stratégie de la nouvelle route de la Soie : « One Belt, One road » (OBOR). Ce projet constitue un cadre pour développer les infrastructures de connectivité entre la Chine elle-même et l’Europe à travers deux routes, l’une maritime (Maritime Silk Road ou MSR) et l’autre terrestre (Silk Road Economic Belt ou SREB). Si les deux initiatives sont distinctes, elles procèdent de la même logique économique (et sans doute politique) du point de vue des Chinois : mieux ancrer le reste de l’Asie à la Chine, favoriser l’expansion internationale de ses entreprises, notamment dans le domaine des infrastructures. Il est très probable par ailleurs que l’AIIB sera sollicitée pour financer des projets qui émargeront à l’OBOR.
L’OBOR et l’AIIB témoignent aussi de la montée en puissance financière de la Chine. Ces initiatives ont d’ailleurs certainement joué un rôle important dans le revirement américain au sujet de la place de la Chine au FMI opéré en 2015. D’une part, les États-Unis ne se sont pas opposés à ce que le Renminbi soit intégré au panier de devises qui constitue l’unité de compte du Fonds Monétaire, les droits de tirage spéciaux (DTS). D’autre part, le Sénat américain a consenti, après cinq années de blocage, à ratifier une réforme de 2010 du FMI qui augmente les ressources de ce dernier et accroît modestement la place des émergents dans sa gouvernance [3].
Cette dynamique s’appuyait sur le sentiment d’une irrésistible ascension économique, financière et politique de la Chine. Le ralentissement économique que connaît cette dernière depuis deux ans, les sorties de capitaux, la baisse de ses réserves de change ont quelque peu terni le tableau. Toutefois, rien n’indique aujourd’hui que la Chine pourrait mettre cette politique d’influence financière internationale en sommeil. Tout juste certaines modalités sont susceptibles d’être modifiées, certaines initiatives retardées. Il est peu probable que cela soit le cas de l’AIIB dans laquelle les autorités chinoises ont engagé un crédit politique considérable.
Devant le momentum que les Chinois ont réussi à imprimer à la création de l’AIIB, les autres bailleurs de fonds n’ont eu d’autre choix que de reconnaître l’émergence d’une nouvelle banque multilatérale et, à ce stade, se déclarer ouvert à des cofinancements et des partenariats. Cette situation favorise également l’AIIB qui pourra ainsi se prévaloir de la crédibilité des MDBs et autres bailleurs existants.
[1] Il existe par ailleurs d’autres institutions financières multilatérales centrées sur le développement qui ont une base de membres et des objectifs plus étroits que ceux des MDBs comme les banques subrégionales (Corporacion Andina de Fomento…) ou certaines institutions plus focalisées (Banque Islamique de Développement, Nordic Development Bank…).
[2] T20 Policy Forum Shenzhen, 27-28 January 2016 – Sessions 2: Governance and Reform of Multilateral Development Banks - Remarks by Michel Callaghan.
[3] Les droits de vote de la Chine sont passés de 3,8 % à 6 %.