Eurobonds
Retranscription écrite de l'émission du 2 février "Les idées claires d'Agnès Bénassy Quéré", chronique hebdomadaire sur France Culture le jeudi matin à 7h38.
Par Agnès Bénassy-Quéré
La ficelle paraît vraiment grosse. Le taux des emprunts allemands à 10 ans est de 1,8% ; contre 6,1% pour celui des emprunts italiens. Alors l’Italie dit à l’Allemagne : et si nous faisions dette commune ? Facile : nous créons une agence européenne de la dette chargée d’émettre, pour le compte des Etats membres, des obligations publiques indifférenciées. L’acquéreur ne sait pas s’il souscrit des emprunts allemands, italiens, grecs ou français. Peu lui importe puisque les différents Etats membres offrent une garantie dite « conjointe et solidaire » : si un Etat par malheur se trouvait dans l’impossibilité d’honorer ses engagements, alors les autres se chargeraient du remboursement. Quelle aubaine pour l’Italie ! Emprunter au même taux que les allemands, cela représente potentiellement 80 milliards d’euros d’économies chaque année, plus que le budget de l’éducation.
Les Allemands ont bien compris la manœuvre. Ils ne veulent pas être les dindons de la farce, ce qui se conçoit. Qui, parmi les auditeurs, accepterait de faire dette commune avec un voisin panier percé ? Les Allemands ont peur de trois choses : 1) de payer plus cher leur propre dette ; 2) d’encourager les cigales à chanter toujours plus haut, au lieu d’accumuler mouches et vermisseaux ; 3) de récupérer sur leurs épaules l’ensemble de la dette de la zone euro, plus de 8000 milliards d’euros, trois fois le PIB allemand.
Il existe pourtant des objections à chacune de ces craintes. D’abord, payer plus cher : les euro-obligations seraient l’équivalent européen des obligations américaines, qui sont très faiblement rémunérées. Il ne faut donc pas trop s’inquiéter du coût des emprunts pour l’Allemagne. Ensuite, la question des cigales : on peut imaginer que l’agence européenne de la dette re-facture aux Etats un taux d’intérêt variable selon la situation de leurs finances publiques, pour récompenser les fourmis, décourager les cigales. Enfin, le poids écrasant de la dette des autres : eh bien, toute la dette de chaque pays ne sera pas nécessairement transformée en euro-obligations. Certains proposent de limiter le dispositif au 60 premiers pourcent du PIB ; d’autres, au contraire, de l’appliquer uniquement à la dette excessive (au-delà des 60 pourcent) et de pré-affecter des recettes de TVA pour rembourser prioritairement ce surcroît de dette ; d’autres, enfin, suggèrent de restreindre le mécanisme aux obligations à court terme (moins d’un an). Le point commun à toutes ces propositions, c’est qu’il faudra faire coexister deux sortes d’emprunts pour un même emprunteur : des euro-emprunts, qui devront être remboursés en priorité ; et des emprunts bêtement nationaux, à l’ancienne et non prioritaires. La difficulté, c’est à la fois de rassurer nos amis allemands sur la qualité des euro-obligations et de rassurer les marchés sur la qualité des obligations classiques. Pour y parvenir, il faudrait qu’il n’y ait pas trop de dette au total, mais nous sommes une Europe de cigales. Ou bien que les Etats-membres prennent des mesures fortes en faveur de la croissance et donc notre capacité future à rembourser. Réformes structurelles contre Eurobonds : voilà mon programme.