Exporter et importer, l'un ne va pas sans l'autre
Les entreprises manufacturières ne sont pas seulement productrices et exportatrices, elles sont aussi importatrices. Fait qui doit être souligné au cours des débats sur la protection de nos activités économiques.
Par Paul Hadji-Lazaro
Taxer ou limiter les importations de biens et services pour favoriser la production et les exportations nationales, voilà une idée qui a le vent en poupe ces temps-ci. L’élection de D. Trump aux États-Unis ou la présence de M. Le Pen au deuxième tour de la présidentielle française témoignent en effet du regain d’opinions protectionnistes. Mais réduire les importations est-il vraiment une solution au retour de l’activité ?
Les firmes, ou unités de production (car près de la moitié du commerce mondial se fait aujourd'hui à l'intérieur des firmes, entre différentes unités1) constituent dorénavant des maillons d’un processus de production plus large. Dans ce cadre, les importations peuvent être considérées comme une donnée essentielle qui permet de comprendre l’activité des firmes à l’exportation (sur ce sujet, voir le billet de C. Emlinger et G. Santoni publié le 9 mai, Du made in… importé).
Les données de douane française, où figurent tous les flux commerciaux entrants et sortants ainsi que l’identité des firmes à l’origine de ces flux, permettent de rendre compte de l’importance que revêtent les activités d’importation pour les firmes exportatrices2. Force est de constater que celles-ci sont, pour la grande majorité (68%), importatrices. En outre, c’est plus des trois-quarts de la valeur totale des exportations françaises qui est effectuée par des entreprises importatrices.
Les activités d’importations et d’exportations paraissent solidement corrélées. On observe d’abord que les entreprises qui importent une plus grande variété de produits sont également celles qui exportent le plus en valeur (graphique 1.a). Par exemple, les firmes qui importent un seul produit (1er décile) exportent en moyenne pour une valeur inférieure à 80 000 euros alors que les firmes qui importent entre 30 et 46 produits (8ème décile) exportent pour environ 150 000 euros par an.
De plus, plus le nombre de pays d’origine des importations d’une firme est grand, plus la valeur de ses exportations est importante (graphique 1.b). Un plus grand nombre de pays d’origine implique aussi une plus large distribution de ses exportations dans le monde (graphique 1.c). Et il est à noter qu’environ les trois-quarts des firmes qui exportent et importent, exportent au moins un produit vers une destination depuis laquelle elles importent.
La corrélation entre activités d’exportation et d’importation est donc avérée. Les entreprises qui importent le plus sont celles qui exportent le plus en valeur (marge intensive) et qui exportent une plus grande variété de produits vers une plus grande diversité de destinations (marge extensive). Deux explications peuvent rendre compte de cette corrélation (Bernard & al., 2016) : un biais de sélection et un mécanisme de causalité (ou de complémentarité).
L’existence de coûts supplémentaires nécessaires pour commercer à l’international (trade-cost) peut être à l’origine d’un biais de sélection. Les entreprises qui veulent exporter ou importer doivent ainsi être assez productives pour être capable de subir ces coûts (Melitz 2003). La plus forte propension des firmes exportatrices à importer s’explique ainsi par le fait qu’elles sont également les plus productives et les plus grosses.
Le mécanisme de complémentarité rend quant à lui compte d’un possible lien de causalité : la participation au commerce mondial par l’importation faciliterait l’exportation. Différents canaux de transmission peuvent intervenir. Le premier fait référence aux gains de productivité rendus possibles par l’importation d’intrants. En tirant parti des avantages comparatifs d’autres pays pour une production finale moins coûteuse, les firmes qui assemblent ces intrants peuvent profiter de gains significatifs par rapport à leurs concurrents, ce qui facilite leurs exportations. Importer peut aussi permettre aux firmes de s’approprier des technologies ou autres capacités et pratiques qui leur étaient étrangères3 : c’est ce qu’on appelle l’effet d’apprentissage par l’importation4 (learning-by-importing). Le deuxième canal possible relève de la diversification des fournisseurs. La diversification permet de réduire les risques de rupture d’approvisionnement et donc de pérenniser l’activité d’exportation. Enfin, le dernier canal envisageable souligne l’importance pour une firme, de son réseau à l’international. L’importation de biens ou de services permet la constitution de ce réseau et facilite ainsi les exportations par la baisse continue (au fil des relations) des coûts de transaction5.
Pour conclure, il va sans dire que de comprendre les activités d’exportation des firmes passe par l’étude de leurs importations. Et que les liens entre les deux ont assurément des rapports étroits avec le niveau productivité des entreprises6. Mais reste à savoir quelle explication l’emporte : est-ce parce-que les firmes sont plus productives qu’elles commercent à l’international (biais de sélection), ou est-ce parce qu’elles commercent que les firmes sont plus productives (mécanisme de causalité)?
Les firmes, ou unités de production (car près de la moitié du commerce mondial se fait aujourd'hui à l'intérieur des firmes, entre différentes unités1) constituent dorénavant des maillons d’un processus de production plus large. Dans ce cadre, les importations peuvent être considérées comme une donnée essentielle qui permet de comprendre l’activité des firmes à l’exportation (sur ce sujet, voir le billet de C. Emlinger et G. Santoni publié le 9 mai, Du made in… importé).
Les données de douane française, où figurent tous les flux commerciaux entrants et sortants ainsi que l’identité des firmes à l’origine de ces flux, permettent de rendre compte de l’importance que revêtent les activités d’importation pour les firmes exportatrices2. Force est de constater que celles-ci sont, pour la grande majorité (68%), importatrices. En outre, c’est plus des trois-quarts de la valeur totale des exportations françaises qui est effectuée par des entreprises importatrices.
Les activités d’importations et d’exportations paraissent solidement corrélées. On observe d’abord que les entreprises qui importent une plus grande variété de produits sont également celles qui exportent le plus en valeur (graphique 1.a). Par exemple, les firmes qui importent un seul produit (1er décile) exportent en moyenne pour une valeur inférieure à 80 000 euros alors que les firmes qui importent entre 30 et 46 produits (8ème décile) exportent pour environ 150 000 euros par an.
De plus, plus le nombre de pays d’origine des importations d’une firme est grand, plus la valeur de ses exportations est importante (graphique 1.b). Un plus grand nombre de pays d’origine implique aussi une plus large distribution de ses exportations dans le monde (graphique 1.c). Et il est à noter qu’environ les trois-quarts des firmes qui exportent et importent, exportent au moins un produit vers une destination depuis laquelle elles importent.
La corrélation entre activités d’exportation et d’importation est donc avérée. Les entreprises qui importent le plus sont celles qui exportent le plus en valeur (marge intensive) et qui exportent une plus grande variété de produits vers une plus grande diversité de destinations (marge extensive). Deux explications peuvent rendre compte de cette corrélation (Bernard & al., 2016) : un biais de sélection et un mécanisme de causalité (ou de complémentarité).
L’existence de coûts supplémentaires nécessaires pour commercer à l’international (trade-cost) peut être à l’origine d’un biais de sélection. Les entreprises qui veulent exporter ou importer doivent ainsi être assez productives pour être capable de subir ces coûts (Melitz 2003). La plus forte propension des firmes exportatrices à importer s’explique ainsi par le fait qu’elles sont également les plus productives et les plus grosses.
Le mécanisme de complémentarité rend quant à lui compte d’un possible lien de causalité : la participation au commerce mondial par l’importation faciliterait l’exportation. Différents canaux de transmission peuvent intervenir. Le premier fait référence aux gains de productivité rendus possibles par l’importation d’intrants. En tirant parti des avantages comparatifs d’autres pays pour une production finale moins coûteuse, les firmes qui assemblent ces intrants peuvent profiter de gains significatifs par rapport à leurs concurrents, ce qui facilite leurs exportations. Importer peut aussi permettre aux firmes de s’approprier des technologies ou autres capacités et pratiques qui leur étaient étrangères3 : c’est ce qu’on appelle l’effet d’apprentissage par l’importation4 (learning-by-importing). Le deuxième canal possible relève de la diversification des fournisseurs. La diversification permet de réduire les risques de rupture d’approvisionnement et donc de pérenniser l’activité d’exportation. Enfin, le dernier canal envisageable souligne l’importance pour une firme, de son réseau à l’international. L’importation de biens ou de services permet la constitution de ce réseau et facilite ainsi les exportations par la baisse continue (au fil des relations) des coûts de transaction5.
Pour conclure, il va sans dire que de comprendre les activités d’exportation des firmes passe par l’étude de leurs importations. Et que les liens entre les deux ont assurément des rapports étroits avec le niveau productivité des entreprises6. Mais reste à savoir quelle explication l’emporte : est-ce parce-que les firmes sont plus productives qu’elles commercent à l’international (biais de sélection), ou est-ce parce qu’elles commercent que les firmes sont plus productives (mécanisme de causalité)?
Graphique 1 – les entreprises qui exportent le plus sont aussi celles qui importent le plus
1.a – valeur exportée (en euros) selon le nombre de produits importés
|
1.b – valeur exportée (en euros) selon le nombre de pays fournisseurs
|
1.c – nombre de destinations des exportations en fonction du nombre de pays fournisseurs
|
Source : calculs des auteurs à partir des données de douane françaises.
[1] Voir à ce propos Lanz & Miroudot (2011).
[2] Très détaillée, plus de 10 000 produits y sont répertoriés (classification à 8 chiffres).
[3] Pour plusieurs pays en développement, Rigo (2017) met en évidence un effet d’apprentissage de nouvelles pratiques et technologies par les firmes intégrées au commerce international : acquisition de brevets plus importante, plus grande utilisation d’internet, mise en place de programmes de formations…
[4] Sur l’existence d’un tel effet, voir Kasahar & Rodrigue (2007), De Loecker (2007) ou encore Vogel & Wagner (2009) qui travaillent respectivement sur des données chiliennes, slovènes et allemandes. Cette littérature tend à montrer qu’il existe surtout pour les pays en développement.
[5] Les coûts liés à un échange, hors coût du bien ou du service échangé. Coase R., L’entreprise, le marché et le droit, éd. d'Organisation, 2005, p. 23 : « Lorsque l’on souhaite opérer une transaction sur un marché, il est nécessaire de rechercher son ou ses contractants, de leur apporter certaines informations nécessaires et de poser les conditions du contrat, de conduire les négociations instaurant ainsi un véritable marché, de conclure le contrat, de mettre en place une structure de contrôle des prestations respectives des obligations des parties, etc. »
[6] Le complet panorama de Bernard & al. (2007) nous confortera dans cette idée.
References :
Bernard, Andrew B., Jensen, J. Bradford, Redding, Stephen, J. and Schott, Peter K. (2007). “Firms in International Trade.” The Journal of Economic Perspectives, Vol. 21, No. 3 (Summer, 2007), pp. 105-130.
Bernard, Andrew B., Jensen, J. Bradford, Redding, Stephen, J. and Schott, Peter K (2016). “Global Firms.” NBER Working Paper No. 22727, October.
De Loecker, Jan (2007). “Do Exports Generate Higher Productivity? Evidence from Slovenia.” Journal of International Economics, 73, issue 1, p. 69-98.
Kasahara, Hiroyuki., Rodrigue, Joel (2007) “Does the Use of Imported Intermediates Increase Productivity?” Journal of Development Economics, Elsevier, vol. 87(1), pages 106-118, August.
Lanz, R. & Miroudot, S. (2011). “Intra-firm trade: patterns, determinants and policy implications.” OECD Trade Policy Working Paper, No. 114.
Melitz, Marc J. (2003). “The Impact of Trade on Intra-Industry Reallocations and Aggregate Industry Productivity.” Econometrica, Vol. 71, No. 6 (Nov., 2003), pp. 1695-1725.
Rigo, Davide (2017). “A Portrait of Firms Participating in Global Value Chains.” CTEI Working Papers series 01-2017, Centre for Trade and Economic Integration, The Graduate Institute.
Vogel, Alexander, Wagner, Joachim (2010). “Higher productivity in importing German manufacturing firms: self-selection, learning from importing, or both?” Review of World Economics, Vol. 145, No. 4, pp. 641-665.
[2] Très détaillée, plus de 10 000 produits y sont répertoriés (classification à 8 chiffres).
[3] Pour plusieurs pays en développement, Rigo (2017) met en évidence un effet d’apprentissage de nouvelles pratiques et technologies par les firmes intégrées au commerce international : acquisition de brevets plus importante, plus grande utilisation d’internet, mise en place de programmes de formations…
[4] Sur l’existence d’un tel effet, voir Kasahar & Rodrigue (2007), De Loecker (2007) ou encore Vogel & Wagner (2009) qui travaillent respectivement sur des données chiliennes, slovènes et allemandes. Cette littérature tend à montrer qu’il existe surtout pour les pays en développement.
[5] Les coûts liés à un échange, hors coût du bien ou du service échangé. Coase R., L’entreprise, le marché et le droit, éd. d'Organisation, 2005, p. 23 : « Lorsque l’on souhaite opérer une transaction sur un marché, il est nécessaire de rechercher son ou ses contractants, de leur apporter certaines informations nécessaires et de poser les conditions du contrat, de conduire les négociations instaurant ainsi un véritable marché, de conclure le contrat, de mettre en place une structure de contrôle des prestations respectives des obligations des parties, etc. »
[6] Le complet panorama de Bernard & al. (2007) nous confortera dans cette idée.
References :
Bernard, Andrew B., Jensen, J. Bradford, Redding, Stephen, J. and Schott, Peter K. (2007). “Firms in International Trade.” The Journal of Economic Perspectives, Vol. 21, No. 3 (Summer, 2007), pp. 105-130.
Bernard, Andrew B., Jensen, J. Bradford, Redding, Stephen, J. and Schott, Peter K (2016). “Global Firms.” NBER Working Paper No. 22727, October.
De Loecker, Jan (2007). “Do Exports Generate Higher Productivity? Evidence from Slovenia.” Journal of International Economics, 73, issue 1, p. 69-98.
Kasahara, Hiroyuki., Rodrigue, Joel (2007) “Does the Use of Imported Intermediates Increase Productivity?” Journal of Development Economics, Elsevier, vol. 87(1), pages 106-118, August.
Lanz, R. & Miroudot, S. (2011). “Intra-firm trade: patterns, determinants and policy implications.” OECD Trade Policy Working Paper, No. 114.
Melitz, Marc J. (2003). “The Impact of Trade on Intra-Industry Reallocations and Aggregate Industry Productivity.” Econometrica, Vol. 71, No. 6 (Nov., 2003), pp. 1695-1725.
Rigo, Davide (2017). “A Portrait of Firms Participating in Global Value Chains.” CTEI Working Papers series 01-2017, Centre for Trade and Economic Integration, The Graduate Institute.
Vogel, Alexander, Wagner, Joachim (2010). “Higher productivity in importing German manufacturing firms: self-selection, learning from importing, or both?” Review of World Economics, Vol. 145, No. 4, pp. 641-665.