Dollar
Retranscription écrite de l'émission du 9 février "Les idées claires d'Agnès Bénassy Quéré", chronique hebdomadaire sur France Culture le jeudi matin à 7h38.
Par Agnès Bénassy-Quéré
Ce matin j’ai apporté un billet de 1 dollar, un billet qui ne vaut que 75 centimes d’euro, trois de nos petites pièces jaunes. Pourtant le dollar a encore aujourd’hui un rôle prépondérant dans le monde. Il est partout ! De fait, j’en ai trouvé un facilement dans mon placard et je suis sûre qu’il en traîne au fond des tiroirs de bien des auditeurs. La moitié des billets verts circulent en effet à l’extérieur des États-Unis. Sur le marché des changes, 85% des transactions font intervenir la monnaie américaine : dollar contre euro, dollar contre yen, dollar contre livre sterling, dollar contre roupie, ringgit, baht et autres. Quant aux réserves de change, plus de 60% sont en dollars. Et les activités internationales des banques se font principalement en quoi, selon vous ? En dollars, évidemment.
Cette situation est paradoxale car cela fait 40 ans que le dollar n’est officiellement plus la monnaie clé du système monétaire international. Et puis, la crise financière n’a-t-elle pas débuté aux États-Unis ? Or, en pleine crise des subprimes, le billet vert a encore servi de valeur refuge. Quelle idée d’aller se réfugier dans un appartement en flammes ?
La domination du dollar a certes des avantages. Outre qu’il permet au monde entier de parler la même langue, ce système mono-monnaie s’est bien comporté pendant la crise : la monnaie américaine ne s’est pas effondrée et la Réserve fédérale a su fournir aux banques centrales étrangères les dollars qui leur manquaient pour aider leurs banques. Alors, où est le problème ? Eh bien, c’est qu’un système monétaire centré sur le dollar est de moins en moins adapté à une économie de plus en plus multipolaire. Deux raisons à cela.
Premièrement, le monde a besoin de liquidité internationale pour financer les échanges et constituer des réserves en cas de coup dur. Or ce monde est de plus en plus gros car les pays émergents croissent vite. Encouragés par cette frénésie pour le dollar, les américains vont continuer à vivre au-dessus de leurs moyens : les taux d’intérêt vont rester bas aux États-Unis (pourquoi rémunérer des investisseurs qui ne veulent que du dollar et rien d’autre ?), le dollar va rester relativement fort, le déficit extérieur va perdurer mais tout cela risque de mal finir le jour où les marchés se mettront à douter de la solvabilité de l’économie américaine.
Le second problème est que la politique monétaire américaine se transmet mécaniquement aux pays étrangers via le financement dollar des banques et aussi parce que de nombreuses monnaies sont ancrées au dollar. Or, comme on le voit en Chine, la politique américaine de taux d’intérêt nuls n’est pas adaptée à des pays émergents croissant vite, avec risques d’inflation et de bulles financières. Ces pays ont donc besoin de s’émanciper de la politique monétaire américaine.
L’économie mondiale doit ainsi trouver des alternatives au dollar. Nul doute que la monnaie chinoise sera un jour une monnaie clé, mais cela va prendre du temps. Pour l’instant, seul l’euro peut véritablement compléter les services du dollar. À condition de surmonter sa crise : à Athènes ces jours-ci se décide aussi le système monétaire de demain.