L’immigration tire-t-elle les salaires et l’emploi vers le bas ?
L’idée selon laquelle l’immigration se traduit fatalement par une dégradation du marché du travail est-elle juste ?
Elle le serait si le facteur démographique (ici l’augmentation du nombre de travailleurs) était le seul déterminant du salaire moyen et de l’emploi. Si tel était le cas, en effet, l’arrivée de nouveaux travailleurs signifierait plus de concurrence entre tous et, par conséquent, l’emploi pris par les uns détruirait celui des autres. Mais le marché du travail n’est pas figé : la quantité de travail n’est pas une grandeur fixe à partager. Cette quantité peut varier, en l’occurrence augmenter, selon la capacité des entreprises à réagir à l’arrivée de nouveaux travailleurs : vont-elles adapter leur stock de capital et leur technique de production de façon à maintenir un niveau élevé de capital par travailleur, auquel cas la productivité de ces derniers sera au même niveau qu’avant le choc migratoire ? Tout dépend aussi de l’ampleur des effets induits de l’immigration : les immigrés ne sont pas seulement des travailleurs, ils consomment, entreprennent, innovent et participent ainsi à la création de richesses et exercent, en conséquence, des effets positifs sur la croissance, les salaires et l’emploi.
Pas simple ! Mais alors comment fait-on pour évaluer les effets de l’immigration sur les salaires et l’emploi ?
En effet, ce n’est pas simple. Par exemple, on pourrait se dire qu’il suffit d’évaluer si les zones géographiques où la présence immigrée a le plus augmenté sont aussi celles où le salaire moyen (ou l’emploi) a le plus augmenté ou baissé pour savoir si l’effet de l’immigration sur les salaires (l’emploi) est positif ou négatif. Mais ce serait considérer que les choix de résidence des immigrés sont indépendants des conditions économiques locales. Or, ils peuvent ne pas l’être. En effet si les immigrés sont plus enclins à s’installer dans les régions les plus dynamiques sur le plan économique, alors l’effet mesuré sur les salaires ou l’emploi pourrait refléter ce choix plutôt que l’effet de la présence immigrée.
Pour contourner cette difficulté, il est possible d’exploiter des épisodes historiques d’immigration soudaine, massive et non-anticipée. Dans ces cas particuliers, les choix de localisation des immigrés sont vraisemblablement moins connectés aux performances économiques du pays d’accueil. C’est ce que les économistes David Card, pour les États-Unis, et Jennifer Hunt, pour la France, ont fait. Le premier évalue les conséquences économiques de l’arrivée de plus de 125 000 réfugiés cubains à Miami en 1980. La seconde examine les conséquences du rapatriement d’environ 900 000 Français d’Algérie entre 1962 et 1968 (suite à l’indépendance de l’Algérie) sur l’emploi et les salaires des travailleurs résidant en métropole.
Quels sont les résultats de ces études ?
Les résultats de David Card indiquent que le choc migratoire n’a eu aucun effet sur le salaire et le taux d’emploi moyen de Miami. Ceux de Jennifer Hunt montrent qu’en moyenne le rapatriement des 900 000 Français d’Algérie a eu un effet négatif, bien que limité, sur l’emploi et les salaires des métropolitains. La principale conclusion de ces études est que l’immigration n’a pratiquement pas d’effets sur le salaire et l’emploi moyens des travailleurs. Des études plus récentes (théoriquement fondées et neutralisant les problèmes liés aux choix de localisation des immigrés), menées aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne et en France, le confirment. Certaines d’entre elles montrent même que l’immigration a parfois des effets légèrement positifs sur le salaire moyen des natifs : les nouveaux arrivants dégraderaient plutôt les conditions d’emploi des précédentes vagues d’immigration et permettraient aux natifs de se réorienter vers des emplois plus rémunérateurs.
Donc peu d’effets sur le salaire ou l’emploi moyen. Mais est-ce le cas pour toutes les catégories de travailleurs ?
A priori, non. Ce qui se passe en moyenne peut effectivement masquer des effets différents selon les catégories de travailleurs. Tout dépend des caractéristiques des nouveaux entrants comparées à celles des natifs.
En théorie, l’arrivée de travailleurs immigrés devrait détériorer l’emploi et les salaires des travailleurs natifs qui possèdent les mêmes qualifications, car ils sont en concurrence sur le marché du travail. À l’inverse, elle devrait moins affecter, voire améliorer les conditions d’emplois de ceux dont les qualifications sont différentes : ces derniers vont en effet pouvoir se concentrer sur les tâches pour lesquelles ils sont les plus productifs. Ainsi, un afflux de travailleurs immigrés qualifiés devrait réduire le salaire des travailleurs natifs qualifiés et accroître celui des non qualifiés
En France, entre 1990 et 2010, la part des immigrés dans la population active est passée de 7 % à 10 %. Sur ces 10 %, en 2010, plus d’un quart (28 %) avaient un niveau d’éducation élevé (au moins 2 années d’études après le baccalauréat) alors qu’ils n’étaient que 10 % (des 7 %) en 1990. À l’inverse, la part des immigrés faiblement qualifiés (sans diplôme ou brevet des collèges) a chuté de 67 % à 39 % entre 1990 et 2010. Pendant cette période, l’immigration a donc surtout augmenté le nombre relatif de travailleurs qualifiés. De ce fait, entre 1990 et 2010, l'immigration en France a réduit le salaire des natifs qualifiés et augmenté légèrement celui des natifs faiblement qualifiés. L’immigration a ainsi redistribué la richesse des travailleurs qualifiés vers les travailleurs moins qualifiés et contribué à réduire les inégalités salariales. Pas forcément les effets mis en avant dans le débat public !
Cette perception de l’immigration peut-elle changer ?
Pour cela, il faut informer davantage. Une étude réalisée par des chercheurs des universités d’Oxford et Bocconi montre clairement que les individus, lorsqu’ils sont informés des chiffres de l’immigration, sont moins enclins à considérer que les immigrés sont trop nombreux.
Source : INSEE, Enquêtes-emploi.
Pour aller plus loin
Edo A. [2016], « Migrations et mouvements de réfugiés : état des lieux et conséquences économiques », in CEPII L’économie mondiale 2017, La Découverte, « Repères », Paris.
Edo A. et Toubal F. [2014], « L’immigration en France, quelles réactions des salariés et de l’emploi ? », Lettre du CEPII, n° 347, septembre.
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Elle le serait si le facteur démographique (ici l’augmentation du nombre de travailleurs) était le seul déterminant du salaire moyen et de l’emploi. Si tel était le cas, en effet, l’arrivée de nouveaux travailleurs signifierait plus de concurrence entre tous et, par conséquent, l’emploi pris par les uns détruirait celui des autres. Mais le marché du travail n’est pas figé : la quantité de travail n’est pas une grandeur fixe à partager. Cette quantité peut varier, en l’occurrence augmenter, selon la capacité des entreprises à réagir à l’arrivée de nouveaux travailleurs : vont-elles adapter leur stock de capital et leur technique de production de façon à maintenir un niveau élevé de capital par travailleur, auquel cas la productivité de ces derniers sera au même niveau qu’avant le choc migratoire ? Tout dépend aussi de l’ampleur des effets induits de l’immigration : les immigrés ne sont pas seulement des travailleurs, ils consomment, entreprennent, innovent et participent ainsi à la création de richesses et exercent, en conséquence, des effets positifs sur la croissance, les salaires et l’emploi.
Pas simple ! Mais alors comment fait-on pour évaluer les effets de l’immigration sur les salaires et l’emploi ?
En effet, ce n’est pas simple. Par exemple, on pourrait se dire qu’il suffit d’évaluer si les zones géographiques où la présence immigrée a le plus augmenté sont aussi celles où le salaire moyen (ou l’emploi) a le plus augmenté ou baissé pour savoir si l’effet de l’immigration sur les salaires (l’emploi) est positif ou négatif. Mais ce serait considérer que les choix de résidence des immigrés sont indépendants des conditions économiques locales. Or, ils peuvent ne pas l’être. En effet si les immigrés sont plus enclins à s’installer dans les régions les plus dynamiques sur le plan économique, alors l’effet mesuré sur les salaires ou l’emploi pourrait refléter ce choix plutôt que l’effet de la présence immigrée.
Pour contourner cette difficulté, il est possible d’exploiter des épisodes historiques d’immigration soudaine, massive et non-anticipée. Dans ces cas particuliers, les choix de localisation des immigrés sont vraisemblablement moins connectés aux performances économiques du pays d’accueil. C’est ce que les économistes David Card, pour les États-Unis, et Jennifer Hunt, pour la France, ont fait. Le premier évalue les conséquences économiques de l’arrivée de plus de 125 000 réfugiés cubains à Miami en 1980. La seconde examine les conséquences du rapatriement d’environ 900 000 Français d’Algérie entre 1962 et 1968 (suite à l’indépendance de l’Algérie) sur l’emploi et les salaires des travailleurs résidant en métropole.
Quels sont les résultats de ces études ?
Les résultats de David Card indiquent que le choc migratoire n’a eu aucun effet sur le salaire et le taux d’emploi moyen de Miami. Ceux de Jennifer Hunt montrent qu’en moyenne le rapatriement des 900 000 Français d’Algérie a eu un effet négatif, bien que limité, sur l’emploi et les salaires des métropolitains. La principale conclusion de ces études est que l’immigration n’a pratiquement pas d’effets sur le salaire et l’emploi moyens des travailleurs. Des études plus récentes (théoriquement fondées et neutralisant les problèmes liés aux choix de localisation des immigrés), menées aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne et en France, le confirment. Certaines d’entre elles montrent même que l’immigration a parfois des effets légèrement positifs sur le salaire moyen des natifs : les nouveaux arrivants dégraderaient plutôt les conditions d’emploi des précédentes vagues d’immigration et permettraient aux natifs de se réorienter vers des emplois plus rémunérateurs.
Donc peu d’effets sur le salaire ou l’emploi moyen. Mais est-ce le cas pour toutes les catégories de travailleurs ?
A priori, non. Ce qui se passe en moyenne peut effectivement masquer des effets différents selon les catégories de travailleurs. Tout dépend des caractéristiques des nouveaux entrants comparées à celles des natifs.
En théorie, l’arrivée de travailleurs immigrés devrait détériorer l’emploi et les salaires des travailleurs natifs qui possèdent les mêmes qualifications, car ils sont en concurrence sur le marché du travail. À l’inverse, elle devrait moins affecter, voire améliorer les conditions d’emplois de ceux dont les qualifications sont différentes : ces derniers vont en effet pouvoir se concentrer sur les tâches pour lesquelles ils sont les plus productifs. Ainsi, un afflux de travailleurs immigrés qualifiés devrait réduire le salaire des travailleurs natifs qualifiés et accroître celui des non qualifiés
En France, entre 1990 et 2010, la part des immigrés dans la population active est passée de 7 % à 10 %. Sur ces 10 %, en 2010, plus d’un quart (28 %) avaient un niveau d’éducation élevé (au moins 2 années d’études après le baccalauréat) alors qu’ils n’étaient que 10 % (des 7 %) en 1990. À l’inverse, la part des immigrés faiblement qualifiés (sans diplôme ou brevet des collèges) a chuté de 67 % à 39 % entre 1990 et 2010. Pendant cette période, l’immigration a donc surtout augmenté le nombre relatif de travailleurs qualifiés. De ce fait, entre 1990 et 2010, l'immigration en France a réduit le salaire des natifs qualifiés et augmenté légèrement celui des natifs faiblement qualifiés. L’immigration a ainsi redistribué la richesse des travailleurs qualifiés vers les travailleurs moins qualifiés et contribué à réduire les inégalités salariales. Pas forcément les effets mis en avant dans le débat public !
Cette perception de l’immigration peut-elle changer ?
Pour cela, il faut informer davantage. Une étude réalisée par des chercheurs des universités d’Oxford et Bocconi montre clairement que les individus, lorsqu’ils sont informés des chiffres de l’immigration, sont moins enclins à considérer que les immigrés sont trop nombreux.
Graphique : Structure par qualification de la population active immigrée
Source : INSEE, Enquêtes-emploi.
Propos recueillis par Isabelle Bensidoun & Jézabel Couppey-Soubeyran
Pour aller plus loin
Edo A. [2016], « Migrations et mouvements de réfugiés : état des lieux et conséquences économiques », in CEPII L’économie mondiale 2017, La Découverte, « Repères », Paris.
Edo A. et Toubal F. [2014], « L’immigration en France, quelles réactions des salariés et de l’emploi ? », Lettre du CEPII, n° 347, septembre.