Face aux menaces commerciales américaines, l’Europe doit réagir fermement
La volonté de Donald Trump de taxer fortement les importations d’acier et d’aluminium porte le risque d’une déstabilisation des relations commerciales internationales. La réplique de l’Union européenne doit être ferme et coordonnée avec ses partenaires.
Par Sébastien Jean
L’annonce par Donald Trump de la décision imminente de frapper les importations américaines d’acier d’une taxe de 25 % et celles d’aluminium de 10 % n’est pas seulement un incident commercial de plus. Si elle était confirmée, elle serait profondément déstabilisante pour les relations commerciales internationales et leur cadre institutionnel, pour plusieurs raisons.
La taille, d’abord. Les mesures annoncées concerneraient près de 50 milliards de dollars d’importations, une valeur probablement sans précédent pour ce type de mesures, qui plus est dans des secteurs sensibles et sans limitation de durée.
La manière, ensuite. En invoquant la sécurité nationale, le Président américain signifie on ne peut plus clairement que le politique prime l’économique dans son approche des questions commerciales. C’est aller à l’encontre de l’essence même du système commercial multilatéral, dont l’objet est de s’entendre sur des règles permettant de gérer les tensions éventuelles sans avoir recours au rapport de force politique.
La signification politique, enfin. La question commerciale est âprement débattue depuis le début du mandat de Donald Trump au sein même de la Maison Blanche. Cette annonce suggère que les tenants du nationalisme économique tiennent désormais le haut du pavé, ce que confirme la démission de Gary Cohn, principal conseiller économique du président et représentant emblématique des milieux d’affaires parmi ses proches. Même si rien n’est figé dans une administration aussi instable et imprévisible, cela n’augure rien de bon pour la suite, d’autant que l’enquête en cours sur les violations présumées de droits propriété intellectuelle par la Chine pourrait bientôt venir jeter de l’huile sur le feu, et que le signal envoyé aux lobbys les incitera à redoubler de sollicitations pour obtenir chacun une protection sur mesure.
Les précédents récents suggèrent que ces mesures n’apporteront rien de bon à l’économie américaine, hormis pour les actionnaires des entreprises bénéficiant directement de la protection. Les mesures de sauvegarde décrétées par Georges W. Bush en 2002 contre les importations d’acier ont ainsi détruit beaucoup plus d’emplois dans les secteurs utilisateurs d’acier qu’elles n’en ont protégé dans l’industrie sidérurgique. Pour les partenaires, le résultat est encore plus clair, c’est une entrave à l’accès au marché américain qui va directement léser leurs intérêts et potentiellement détruire des emplois dans les entreprises concernées.
Face à cette menace, comment réagir ? Personne ne gagne à une guerre commerciale parce que les coûts induits (inflation, contraction des secteurs exportateurs, perturbation des chaînes d’approvisionnement, affaiblissement de l’innovation, arbitraire des décisions politiques protectionnistes) sont très supérieurs aux bénéfices. Et l’Union Européenne a, plus que tout autre, intérêt à défendre un système commercial basé sur des règles plutôt que des rapports de force politiques, parce qu’elle n’a pas la même cohésion politique qu’un État.
Il faut donc éviter la surenchère, mais cette violation manifeste et délibérée de leurs engagements internationaux par les États-Unis appelle une réponse ferme, à la fois pour ne pas valider la stratégie du Président Trump et pour se donner les moyens d’influer sur la politique américaine et de limiter les dégâts. Le différend doit naturellement être porté devant l’OMC, mais cela ne saurait suffire dans le contexte actuel étant donné les délais prévisibles, d’au moins trois ans, et l’incertitude créée par le blocage des institutions par les États-Unis. Dans le respect de l’esprit des accords internationaux, d’autres mesures « de compensation » sont possibles. Comme l’ont montré plusieurs précédents, notamment en 2003, des représailles ciblées sur des produits politiquement sensibles, par exemple parce que leur site de production est une circonscription importante, sont un moyen de pression efficace. A juste titre, la Commission européenne a annoncé préparer des mesures de ce type. Donald Trump fait des relations commerciales un sujet politique, c’est par la politique qu’il faut lui répondre.
Au-delà, la réplique européenne doit être coordonnée avec ses principaux partenaires, pour éviter que cette perturbation n’engendre des conflits secondaires. Montrer aux États-Unis que l’on peut avancer sans eux dans la redéfinition des relations commerciales est d’ailleurs utile pour les inciter à une attitude plus coopérative. Cela ne doit pas empêcher de chercher ardemment des solutions aux problèmes structurels profonds dont souffre le système commercial multilatéral, liés notamment aux défis posés par les spécificités de l’économie chinoise. Ce n’est d’ailleurs pas le moindre des paradoxes des annonces du président américain que de rendre plus difficile encore la résolution de ces problèmes, après les avoir bruyamment dénoncés, en s’aliénant ses alliés (l’Union Européenne serait la première victime des droits de douane annoncés, ou la deuxième si le Canada n’était pas exempté).
Dans ce contexte tendu et incertain, l’Union Européenne ne peut plus se contenter d’appeler au respect des règles et des engagements, elle doit se donner les moyens de les faire appliquer et d’assurer la protection que réclament ses citoyens. Dans le respect de nos engagements internationaux et d’un esprit d’ouverture, cela passe par une défense ferme et pragmatique de nos intérêts sur les questions commerciales, fiscales et d’investissement. Pour aider au retour à une approche plus coopérative, l’Union doit clairement montrer qu’elle ne sera pas la variable d’ajustement des politiques de ses partenaires. Quoiqu’en tweete Donald Trump, les guerres commerciales sont néfastes et faciles à perdre. Mais il faut y être prêt si l’on veut la paix. Ce ne sont pas seulement quelques droits de douane qui sont en cause ici, c’est la stabilité des relations économiques internationales.
Cette tribune est parue dans Le Monde, édition datée du 10 & 11 mars 2018.
La taille, d’abord. Les mesures annoncées concerneraient près de 50 milliards de dollars d’importations, une valeur probablement sans précédent pour ce type de mesures, qui plus est dans des secteurs sensibles et sans limitation de durée.
La manière, ensuite. En invoquant la sécurité nationale, le Président américain signifie on ne peut plus clairement que le politique prime l’économique dans son approche des questions commerciales. C’est aller à l’encontre de l’essence même du système commercial multilatéral, dont l’objet est de s’entendre sur des règles permettant de gérer les tensions éventuelles sans avoir recours au rapport de force politique.
La signification politique, enfin. La question commerciale est âprement débattue depuis le début du mandat de Donald Trump au sein même de la Maison Blanche. Cette annonce suggère que les tenants du nationalisme économique tiennent désormais le haut du pavé, ce que confirme la démission de Gary Cohn, principal conseiller économique du président et représentant emblématique des milieux d’affaires parmi ses proches. Même si rien n’est figé dans une administration aussi instable et imprévisible, cela n’augure rien de bon pour la suite, d’autant que l’enquête en cours sur les violations présumées de droits propriété intellectuelle par la Chine pourrait bientôt venir jeter de l’huile sur le feu, et que le signal envoyé aux lobbys les incitera à redoubler de sollicitations pour obtenir chacun une protection sur mesure.
Les précédents récents suggèrent que ces mesures n’apporteront rien de bon à l’économie américaine, hormis pour les actionnaires des entreprises bénéficiant directement de la protection. Les mesures de sauvegarde décrétées par Georges W. Bush en 2002 contre les importations d’acier ont ainsi détruit beaucoup plus d’emplois dans les secteurs utilisateurs d’acier qu’elles n’en ont protégé dans l’industrie sidérurgique. Pour les partenaires, le résultat est encore plus clair, c’est une entrave à l’accès au marché américain qui va directement léser leurs intérêts et potentiellement détruire des emplois dans les entreprises concernées.
Face à cette menace, comment réagir ? Personne ne gagne à une guerre commerciale parce que les coûts induits (inflation, contraction des secteurs exportateurs, perturbation des chaînes d’approvisionnement, affaiblissement de l’innovation, arbitraire des décisions politiques protectionnistes) sont très supérieurs aux bénéfices. Et l’Union Européenne a, plus que tout autre, intérêt à défendre un système commercial basé sur des règles plutôt que des rapports de force politiques, parce qu’elle n’a pas la même cohésion politique qu’un État.
Il faut donc éviter la surenchère, mais cette violation manifeste et délibérée de leurs engagements internationaux par les États-Unis appelle une réponse ferme, à la fois pour ne pas valider la stratégie du Président Trump et pour se donner les moyens d’influer sur la politique américaine et de limiter les dégâts. Le différend doit naturellement être porté devant l’OMC, mais cela ne saurait suffire dans le contexte actuel étant donné les délais prévisibles, d’au moins trois ans, et l’incertitude créée par le blocage des institutions par les États-Unis. Dans le respect de l’esprit des accords internationaux, d’autres mesures « de compensation » sont possibles. Comme l’ont montré plusieurs précédents, notamment en 2003, des représailles ciblées sur des produits politiquement sensibles, par exemple parce que leur site de production est une circonscription importante, sont un moyen de pression efficace. A juste titre, la Commission européenne a annoncé préparer des mesures de ce type. Donald Trump fait des relations commerciales un sujet politique, c’est par la politique qu’il faut lui répondre.
Au-delà, la réplique européenne doit être coordonnée avec ses principaux partenaires, pour éviter que cette perturbation n’engendre des conflits secondaires. Montrer aux États-Unis que l’on peut avancer sans eux dans la redéfinition des relations commerciales est d’ailleurs utile pour les inciter à une attitude plus coopérative. Cela ne doit pas empêcher de chercher ardemment des solutions aux problèmes structurels profonds dont souffre le système commercial multilatéral, liés notamment aux défis posés par les spécificités de l’économie chinoise. Ce n’est d’ailleurs pas le moindre des paradoxes des annonces du président américain que de rendre plus difficile encore la résolution de ces problèmes, après les avoir bruyamment dénoncés, en s’aliénant ses alliés (l’Union Européenne serait la première victime des droits de douane annoncés, ou la deuxième si le Canada n’était pas exempté).
Dans ce contexte tendu et incertain, l’Union Européenne ne peut plus se contenter d’appeler au respect des règles et des engagements, elle doit se donner les moyens de les faire appliquer et d’assurer la protection que réclament ses citoyens. Dans le respect de nos engagements internationaux et d’un esprit d’ouverture, cela passe par une défense ferme et pragmatique de nos intérêts sur les questions commerciales, fiscales et d’investissement. Pour aider au retour à une approche plus coopérative, l’Union doit clairement montrer qu’elle ne sera pas la variable d’ajustement des politiques de ses partenaires. Quoiqu’en tweete Donald Trump, les guerres commerciales sont néfastes et faciles à perdre. Mais il faut y être prêt si l’on veut la paix. Ce ne sont pas seulement quelques droits de douane qui sont en cause ici, c’est la stabilité des relations économiques internationales.
Cette tribune est parue dans Le Monde, édition datée du 10 & 11 mars 2018.