Avons-nous raison d'aider les banques ?
Retranscription écrite de l'émission du 31 mai "Les idées claires d'Agnès Bénassy Quéré", chronique hebdomadaire sur France Culture le jeudi matin à 7h38
Par Agnès Bénassy-Quéré
On sauve les banques mais on coupe dans les dépenses sociales ! Pourquoi ce favoritisme à l’égard d’un secteur pourtant responsable de la crise financière mondiale ? Il y a deux réponses classiques à cette question. Premièrement, on ne donne pas d’argent public aux banques : soit on leur prête, en menaçant de les nationaliser si elles ne remboursent pas ; soit on les nationalise directement. On ne peut donc pas mettre sur le même plan le renflouement des banques et les dépenses sociales. Deuxièmement, l’aide apportée aux banques vise à protéger non pas leurs dirigeants ou leurs actionnaires, mais les déposants et surtout les entreprises qui, en Europe, sont très dépendantes des financements bancaires pour leur trésorerie et leurs investissements.
Ces deux réponses sont correctes mais insuffisantes. En particulier, les banques de la zone euro ont reçu à deux reprises des refinancements très généreux de la part de la Banque centrale européenne. Certains se sont étonnés de ce que la BCE puisse prêter à 1% aux banques pour que ces dernières prêtent à 6% aux Etats en difficulté. Pourquoi ne pas prêter directement aux Etats à 1% afin de stopper la spirale de l’endettement public ? On nous répond que la mission de la BCE est de prêter aux banques, non aux Etats, surtout si ces derniers sont en difficulté. Elle a donc délégué la tâche aux banques, lesquelles se font rémunérer pour le risque encouru. Fort bien. Mais tant qu’un Etat ne fait pas défaut sur sa dette, les banques engrangent l’écart entre le taux auquel elles prêtent et celui auquel elles empruntent auprès de la BCE. Ce n’est pas forcément choquant, si ce gain leur permet d’améliorer leur bilan. Cependant, l’autorité bancaire européenne pourrait surveiller d’un peu plus près ce que les banques font de cette liquidité, par exemple en interdisant temporairement la distribution de dividendes. Après tout, si l’argent est vraiment utilisé pour redresser les bilans, les actionnaires en bénéficieront via un rebond du prix de leurs actions.
Vous l’avez compris, le problème n’est pas tant d’aider les banques que d’obtenir les bonnes contreparties. Dans le bras de fer qui les oppose aux régulateurs et aux Etats, les banques sont en position de force en raison de leur taille, mais aussi parce qu’elles peuvent menacer de stopper les prêts aux PME et parce qu’une faillite bancaire est très difficile à gérer, notamment lorsque l’Etat est affaibli (par exemple lorsqu’il est incapable de rembourser les déposants) ou lorsqu’il y a un risque de contagion. Alors l’Etat s’entend avec ses banques pour que la vie continue : il s’endette pour renflouer les banques, lesquelles achètent des obligations publiques nationales. Essayez ce jeu en famille : je te porte et simultanément tu me portes. Les lois de la gravité se rappelleront à vous. Et elles sont en train de mettre l’Espagne à terre. Or, la solution à ce problème est connue : autoriser le fonds de soutien européen à recapitaliser directement les banques et à en prendre le contrôle ; et mutualiser au passage le système d’assurance des dépôts. Les banques ne seront plus portées par un Etat lui-même en lévitation mais par une institution fédérale enracinée dans les différents pays de l’Union. Alors seulement, nous aurons une chance de sauver l’euro.