Chypre et la démocratie européenne
Retranscription écrite de l'émission du 7 juin "Les idées claires d'Agnès Bénassy Quéré", chronique hebdomadaire sur France Culture le jeudi matin à 7h38
Par Agnès Bénassy-Quéré
Aujourd’hui je voudrais vous parler d’une demi-île de 800 000 habitants située au marge de la Grèce. Vous avez deviné, c’est l’île d’Aphrodite – autrement dit Chypre. Le pays a adhéré à l’Union européenne en 2004 et a adopté l’euro en 2008. Il a prospéré grâce à son tourisme, à ses services de transport maritime et… à ses banques. Et c’est là que le bât blesse. Le système bancaire chypriote représente neuf fois le PIB annuel du pays. Pire, la plus grande banque représente à elle seule deux fois et demie le PIB. En France, la plus grosse banque (BNP-Paribas) représente « seulement » une fois le PIB. Comme l’Islande puis l’Irlande, Chypre se trouve aujourd’hui bien encombrée par des banques beaucoup trop grandes pour elle. Or, ces banques sont naturellement très engagées en Grèce : elles ont prêté à l’Etat et aux entreprises grecques et elles se sont implantées dans ce pays. De fait, l’économie chypriote tout entière est fortement dépendante d’Athènes qui représente le cinquième du commerce et le quart des investissements étrangers. D’où la frayeur que cause sur l’île la perspective d’une éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro.
Les choses ont commencé à tourner vinaigre lorsque l’association internationale des banques a accepté pour ses adhérents une décote d’environ 50% sur les dettes détenues par le secteur privé. Les banques chypriotes ont pris les pertes de plein fouet. Déjà en difficulté, le gouvernement du pays a bénéficié l’an dernier d’un prêt de 2,5 milliards d’euros de la Russie et on dit qu’il serait actuellement en cours de négociation avec la Chine pour une opération similaire. Plus probablement, Chypre va devoir passer sous les fourches caudines de la troïka formée, rappelons-le, de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international. Le Fonds européen de stabilisation n’aura pas de mal à voler au secours d’un pays dont le PIB ne dépasse pas celui du Limousin. Mais il mettra ses conditions : réduction du déficit budgétaire, gel des salaires, réformes structurelles, inspections régulières de la troïka.
La mise sous tutelle de Chypre par la communauté européenne et internationale sera sans doute un micro-événement étant donnée la modestie des sommes en jeu. Mais ce pourrait être une mise en bouche pour un pays nettement plus gros – l’Espagne. Or cette forme d’intégration – qui consiste à confier les clés de la politique économique nationale à des institutions européennes et internationales – ressemble à un hold up des politiques par les bureaucrates. C’est dans ce contexte qu’il faut réfléchir à l’intégration politique en Europe : l’alternative à l’intégration politique, ce n’est pas la souveraineté nationale mais le diktat des fonctionnaires européens. A moins de renoncer à l’euro, ce qui est toujours possible.
On peut finalement conclure sur une note d’optimisme : cette crise de la zone euro va nous obliger à bouger, en avant ou en arrière ; nous ne pouvons rester au milieu du gué, sauf à nous faire hélitreuiller contre notre gré par la Commission européenne. Marc, ne lâchez pas votre bouée de sauvetage.