Pour une approche progressive de la mutualisation des dettes souveraines en Europe (3/3)
Une solution à la crise des dettes souveraines en zone euro serait de combiner obligation synthétique avec fonds d’amortissement. Cela permettrait de rétablir la confiance perdue entre Etats européens, confiance nécessaire pour construire, à terme, des solutions entièrement fédérales.
Par Agnès Bénassy-Quéré
>>> Pour une approche progressive de la mutualisation des dettes souveraines en Europe (1/3)
>>> Pour une approche progressive de la mutualisation des dettes souveraines en Europe (2/3)
Une solution à la crise des dettes souveraines en zone euro serait de combiner l’obligation synthétique avec le fonds d’amortissement. L’idée serait de faire disparaître du marché les obligations souveraines nationales telles que nous les connaissons aujourd’hui. En-dessous de 60% du PIB, les obligations nationales seraient combinées dans les obligations synthétiques [1] ; au-delà, elles entreraient dans le fonds de remboursement proposé par les sages allemands. Sur le marché ne s’échangeraient alors plus que deux sortes de titres : des titres synthétiques (sans garantie mutuelle) et des titres du fonds d’amortissement (avec garantie mutuelle), ces deux types d’actifs pouvant être refinancés auprès de l’Eurosystème. Les Etats-membres auraient alors interdiction d’émettre des titres de dette en-dehors de ces deux dispositifs [2] et la BCE n’accepterait plus les titres nationaux en collatéral des refinancements bancaires. Cette interdiction des émissions nationales se substituerait favorablement à la surveillance a posteriori opérée par le pacte de stabilité, qui a prouvé son inefficacité. Elle suppose cependant de mettre en place des mécanismes de flexibilité, fonction de la conjoncture, sur le rythme de réduction des dettes incluses dans le fonds d’amortissement. On peut aussi imaginer que le Mécanisme européen de stabilité soit utilisé pour financer temporairement un pays soumis à un choc spécifique, sous conditionnalité stricte.
La disparition des obligations souveraines nationales du marché aurait pour inconvénient de faire disparaître les taux d’intérêt de marché associés à ces titres. Dès lors, l’écart de taux d’intérêt que chaque pays aurait à verser par rapport au taux de marché de l’obligation synthétique devrait être déterminé de manière administrative, en maintenant des écarts entre pays pour limiter l’aléa moral. Par exemple, le taux pourrait être modulé selon le niveau de dette totale de chaque Etat-membre. Cela permettrait de maintenir des écarts de taux d’intérêt entre Etats-membres selon la situation des dépenses publiques tout en évitant le surajustement des spreads en cas de crise de confiance.
En combinant obligation synthétique et fonds d’amortissement, on ne résout toujours pas le problème du surendettement de certains Etats. Pour traiter ce problème, la seule solution est la restructuration voire la décote. La décote pourrait être appliquée au fur et à mesure du basculement des dettes dans le nouveau système, à l’échéance des titres ou bien en cours de maturité. La décote serait alors justifiée par le risque moindre associé aux titres de substitution. La perte pour les banques serait amoindrie par le fait qu’une part importante des titres est comptabilisée en valeur de marché, donc avec une décote pour les pays en difficulté. A l’issue du processus, le risque souverain se trouverait mieux réparti entre les différentes banques européennes, ce qui renforcerait aussi la résilience du système bancaire à la difficulté d’un Etat. La boucle explosive entre risque souverain et risque bancaire serait ainsi coupée. Les problèmes d’aléa moral seraient atténués par la limite de 60% du PIB imposée aux pays pour participer à l’obligation synthétique, l’impossibilité, sauf crise grave, d’accroître la dette contenue dans le fonds de remboursement, les conditions associées à ce fonds, les spreads de taux d’intérêt et l’interdiction faite aux Etats d’émettre sur le marché des titres nationaux. Et la BCE pourrait devenir moins réticente à pratiquer, le cas échéant, un véritable assouplissement monétaire par acquisition d’un titre public « zone euro » qui pourrait préfigurer un futur Eurobond.
La défiance des Etats-membres les uns vis-à-vis des autres doit être considérée comme une donnée du problème. Inutile, donc, de chercher à imposer à l’Allemagne la mutualisation immédiate de toutes les dettes de la zone euro. Pourtant, il est à craindre que la crise se poursuive tant qu’une solution radicale ne sera pas trouvée pour les dettes souveraines des pays périphériques. Sans aller jusqu’à la garantie mutuelle des dettes par les Etats-membres, la solution dessinée ci-dessus permettrait de résoudre les problèmes de court terme tout en offrant aux Etats-membres une période probatoire permettant de reconstruire la confiance perdue, avant une étape ultérieure réellement fédérale.
Références pour l’ensemble de l’article (épisodes 1 à 3) :
Beck, T., Uhlig, H. et W. Wagner (2011), « Insulating the financial sector from the European debt crisis : Eurobonds without public guarantees », VoxEU.org, 17 septembre.
Brunnermeier, M., Garicano, L., Lane, Ph., Pagano, M., Reis, R ., Santos, T., van Nieuwerburgh, S. et D. Vayanos (2011), « European Save Bonds (ESBies) », Mimeo, 26 septembre.
German council of Economic experts (2011), « A European redemption pact », www.sachverstaendigenrat-wirtschaft.de.
Gros, D. (2011), “Eurobonds: wrong solution for legal, political and economic reasons”, VoxEU.org, 24 août.
Schoenmaker, D. et D. Gros (2012), “A European deposit insurance and resolution fund”, CEPS working paper No. 364, mai.
>>> Pour une approche progressive de la mutualisation des dettes souveraines en Europe (2/3)
Une solution à la crise des dettes souveraines en zone euro serait de combiner l’obligation synthétique avec le fonds d’amortissement. L’idée serait de faire disparaître du marché les obligations souveraines nationales telles que nous les connaissons aujourd’hui. En-dessous de 60% du PIB, les obligations nationales seraient combinées dans les obligations synthétiques [1] ; au-delà, elles entreraient dans le fonds de remboursement proposé par les sages allemands. Sur le marché ne s’échangeraient alors plus que deux sortes de titres : des titres synthétiques (sans garantie mutuelle) et des titres du fonds d’amortissement (avec garantie mutuelle), ces deux types d’actifs pouvant être refinancés auprès de l’Eurosystème. Les Etats-membres auraient alors interdiction d’émettre des titres de dette en-dehors de ces deux dispositifs [2] et la BCE n’accepterait plus les titres nationaux en collatéral des refinancements bancaires. Cette interdiction des émissions nationales se substituerait favorablement à la surveillance a posteriori opérée par le pacte de stabilité, qui a prouvé son inefficacité. Elle suppose cependant de mettre en place des mécanismes de flexibilité, fonction de la conjoncture, sur le rythme de réduction des dettes incluses dans le fonds d’amortissement. On peut aussi imaginer que le Mécanisme européen de stabilité soit utilisé pour financer temporairement un pays soumis à un choc spécifique, sous conditionnalité stricte.
La disparition des obligations souveraines nationales du marché aurait pour inconvénient de faire disparaître les taux d’intérêt de marché associés à ces titres. Dès lors, l’écart de taux d’intérêt que chaque pays aurait à verser par rapport au taux de marché de l’obligation synthétique devrait être déterminé de manière administrative, en maintenant des écarts entre pays pour limiter l’aléa moral. Par exemple, le taux pourrait être modulé selon le niveau de dette totale de chaque Etat-membre. Cela permettrait de maintenir des écarts de taux d’intérêt entre Etats-membres selon la situation des dépenses publiques tout en évitant le surajustement des spreads en cas de crise de confiance.
En combinant obligation synthétique et fonds d’amortissement, on ne résout toujours pas le problème du surendettement de certains Etats. Pour traiter ce problème, la seule solution est la restructuration voire la décote. La décote pourrait être appliquée au fur et à mesure du basculement des dettes dans le nouveau système, à l’échéance des titres ou bien en cours de maturité. La décote serait alors justifiée par le risque moindre associé aux titres de substitution. La perte pour les banques serait amoindrie par le fait qu’une part importante des titres est comptabilisée en valeur de marché, donc avec une décote pour les pays en difficulté. A l’issue du processus, le risque souverain se trouverait mieux réparti entre les différentes banques européennes, ce qui renforcerait aussi la résilience du système bancaire à la difficulté d’un Etat. La boucle explosive entre risque souverain et risque bancaire serait ainsi coupée. Les problèmes d’aléa moral seraient atténués par la limite de 60% du PIB imposée aux pays pour participer à l’obligation synthétique, l’impossibilité, sauf crise grave, d’accroître la dette contenue dans le fonds de remboursement, les conditions associées à ce fonds, les spreads de taux d’intérêt et l’interdiction faite aux Etats d’émettre sur le marché des titres nationaux. Et la BCE pourrait devenir moins réticente à pratiquer, le cas échéant, un véritable assouplissement monétaire par acquisition d’un titre public « zone euro » qui pourrait préfigurer un futur Eurobond.
La défiance des Etats-membres les uns vis-à-vis des autres doit être considérée comme une donnée du problème. Inutile, donc, de chercher à imposer à l’Allemagne la mutualisation immédiate de toutes les dettes de la zone euro. Pourtant, il est à craindre que la crise se poursuive tant qu’une solution radicale ne sera pas trouvée pour les dettes souveraines des pays périphériques. Sans aller jusqu’à la garantie mutuelle des dettes par les Etats-membres, la solution dessinée ci-dessus permettrait de résoudre les problèmes de court terme tout en offrant aux Etats-membres une période probatoire permettant de reconstruire la confiance perdue, avant une étape ultérieure réellement fédérale.
Références pour l’ensemble de l’article (épisodes 1 à 3) :
Beck, T., Uhlig, H. et W. Wagner (2011), « Insulating the financial sector from the European debt crisis : Eurobonds without public guarantees », VoxEU.org, 17 septembre.
Brunnermeier, M., Garicano, L., Lane, Ph., Pagano, M., Reis, R ., Santos, T., van Nieuwerburgh, S. et D. Vayanos (2011), « European Save Bonds (ESBies) », Mimeo, 26 septembre.
German council of Economic experts (2011), « A European redemption pact », www.sachverstaendigenrat-wirtschaft.de.
Gros, D. (2011), “Eurobonds: wrong solution for legal, political and economic reasons”, VoxEU.org, 24 août.
Schoenmaker, D. et D. Gros (2012), “A European deposit insurance and resolution fund”, CEPS working paper No. 364, mai.
[1] Selon une pondération correspondant au poids de chacune des dettes nationales (sous la barre des 60% du PIB) dans le stock total de dette participant au dispositif, le pourcentage dans le panier étant mécaniquement plus faible que le poids dans le PIB de la zone pour les quelques pays (Estonie, Luxembourg, Slovénie, Slovaquie) dont la dette reste inférieure à 60% du PIB. Les pondérations évolueraient au cours du temps en fonction de l’évolution des dettes nationales. Pour les pays endettés à plus de 60% du PIB, toutefois, la priorité serait le remboursement de la dette située dans le fonds d’amortissement, les titres inclus dans l’obligation synthétique étant renouvelés à chaque échéance. Le fonds émettant les obligations synthétiques ferait progressivement converger les maturités des différentes dettes nationales de manière à offrir une gamme d’obligations synthétiques de différentes maturités.
[2] Ils ne pourraient pas non plus garantir les émissions de gouvernements régionaux ou locaux.