CEPII, Recherche et Expertise sur l'economie mondiale
Le système commercial multilatéral sur le fil du rasoir


Antoine Bouët
Leysa Maty Sall
Jeanne Métivier

Après le bouleversement majeur que le commerce international de marchandises a connu entre les deux guerres mondiales, les pays occidentaux ont désiré fonder le système commercial sur le multilatéralisme : des règles qui s’appliquent à tous les pays, des espaces de discussion et de négociation ouverts à tous, une procédure commune pour régler les différends commerciaux. Le multilatéralisme commercial repose depuis 1995 sur l’Organisation mondiale du commerce (OMC), institution internationale qui a « succédé » à un simple cadre juridique de coopération, le General Agreement on Tariffs and Trade (GATT), mis en place en 1947. Si le GATT a permis de définir des règles et d’organiser une libéralisation commerciale multilatérale significative pendant près d’un demi-siècle, l’OMC a ajouté un Organe de règlement des différends (ORD) chargé de résoudre les litiges commerciaux.

Or ce système commercial multilatéral a subi des remises en question importantes depuis une vingtaine d’années. D’abord, le programme de Doha pour le développement, lancé en novembre 2001, est en « coma artificiel » : un seul sujet de négociation sur les vingt et un listés initialement a fait l’objet d’un accord. Ensuite, l’ORD ne fonctionne que très partiellement depuis la paralysie de sa cour d’appel en décembre 2019. En outre, depuis 2015, l’OMC s’est révélée incapable d’empêcher l’adoption de mesures contrevenant à ses règles. Enfin, la XIIIe conférence ministérielle de l’OMC en février 2024 s’est conclue sur un maigre bilan, à l’image des douze précédentes.

Le multilatéralisme commercial a-t-il périclité ? Pas encore, mais sa remise en cause définitive n’est pas loin.

En effet, l’OMC fonctionne toujours. Son importance tient certes désormais moins à sa capacité à organiser une libéralisation multilatérale qu’à son système de règles (non-discrimination, consolidation, transparence, traitement national…) qui régissent le commerce mondial et à sa capacité à arbitrer et procéder au règlement des différends commerciaux, pour éviter des guerres commerciales ruineuses et inéquitables et réduire l’incertitude économique. Et si, aujourd’hui, une libéralisation commerciale multilatérale semble impossible, des accords plurilatéraux restent envisageables. Quant à la capacité de l’institution à régler des différends commerciaux, la remise en cause est forte depuis 2019, mais, en dehors des États-Unis, une volonté de réactiver cet organe existe.

Cela étant, l’accès au pouvoir d’une nouvelle administration américaine encline à lancer une nouvelle guerre commerciale sonnerait probablement le glas du système commercial multilatéral. Bref, si en 2024 le système commercial multilatéral est encore sur le fil du rasoir, un coup fatal pourrait lui être porté en 2025.

Dans ce chapitre, nous illustrons les difficultés croissantes rencontrées par l’OMC au cours des vingt dernières années : les tentatives inachevées de libéralisation commerciale, le non-respect des règles commerciales multilatérales et le dysfonctionnement de l’ORD. Puis nous livrons les résultats d’une simulation de l’impact qu’aurait une guerre commerciale lancée par une nouvelle administration américaine à partir de 2025.
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 L'économie mondiale 2025
La Découverte, 2024

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