TiSA : des enjeux spécifiques aux économies des partenaires
Une vingtaine de pays, dont l’UE, participent aux négociations du TiSA (Trade in Services Agreement). Les gains de ce potentiel accord en termes de débouchés, de compétitivité et d’accès à de nouveaux services sont conditionnés par les structures économiques des partenaires.
Par Julien Gooris
Billet du 18 août 2014
Jusqu’alors méconnu du grand public, un projet d’accord plurilatéral sur les services a été révélé par la fuite d’un document de négociation via le site Wikileaks, attirant alors l’attention des médias. Désigné par l’acronyme TiSA, pour Trade in Services Agreement (ou ACS, accord sur le commerce des services en français), les négociations de ce potentiel accord ont débuté au printemps 2013. Elles incluent un large groupe de pays composé des membres de l’Union Européenne (UE) et 20 autres pays, dont les États-Unis et le Japon, mais également des pays aux économies moins développées [1].
Les négociations de l’accord TiSA s’inspirent des principes directeurs et de la couverture sectorielle du GATS (General Agreement on Trade in Services ou Accord général sur le commerce des services en français). Ce dernier accord n’avait pas mené à des libéralisations à proprement parler, mais à des engagements de status quo (interdisant ainsi aux pays d’établir dans le futur un niveau de régulation supérieur) et fournit un cadre de discussion adapté aux services. L’initiative TiSA n’est pas discutée sous l’égide de l’OMC dans un cadre multilatéral incluant tous les membres, mais directement entre les pays par des négociations dites plurilatérales.
L’incapacité d’aboutir à un accord dans le cadre du cycle de Doha, symbolisé par le récent véto de l’Inde, a certainement poussé ce large cortège de pays, représentant 68 % des échanges internationaux de services dans le monde (hors-commerce intra-UE) en 2011 [2], à négocier directement hors de l’OMC. L’initiative TiSA est ainsi lancée alors que les accords bilatéraux dans les services se multiplient : de moins de 10 en 2000, il y en avait plus d’une centaine en juillet 2013.
Un tel accord contribuerait à réduire les considérables barrières aux échanges internationaux de services, qui ne représentent qu’un cinquième du commerce mondial, alors qu’ils comptent pour près de 75 % des richesses produites dans le monde annuellement. Ainsi, l’accord portera sur la facilitation des échanges internationaux de services et l’ouverture des frontières pour l’implantation d’entreprises de services de pays partenaires de l’accord grâce à des autorisations d’importation et d’installations pour les membres signataires, mais aussi par la levée de contraintes réglementaires discriminant les pays étrangers. Ces engagements porteront, par exemple, sur la reconnaissance des qualifications des travailleurs étrangers ou encore la suppression des restrictions d’activité et de pratiques commerciales visant spécifiquement les acteurs étrangers. Des avancées dans de tels domaines laissent entrevoir aux partenaires de TiSA plusieurs types de gains.
L’entrée de nouveaux prestataires tendrait non seulement à renforcer la compétition et exercer une pression à la baisse sur les prix, mais aussi à accroitre la diversité des services disponibles. Pour les consommateurs, cela se matérialiserait par des tarifs plus bas dans les secteurs concernés par l’accord et la possibilité d’accéder à des services jusqu’ici indisponibles, autrement dit l’arrivée d’innovations. Les entreprises profiteraient de gains de productivité issus de services intermédiaires plus compétitifs et efficaces.
Toutefois, une des motivations clé de la négociation de TiSA, comme pour les récents CETA (entre le Canada et l’UE) et TTIP (entre les USA et l’UE), est la perspective de nouveaux débouchés pour les entreprises nationales. La quasi-intégralité de ces nouveaux marchés serait saisie par des grands groupes leaders dans les services, qui viendraient renforcer leur internationalisation. Exporter ou s’implanter sur les marchés étrangers, et à fortiori dans le domaine des services, concerne un nombre très restreint de firmes, très majoritairement celles déjà de grande envergure et très productives [3].
L’hétérogénéité du groupe négociant fournit des indications claires sur les motivations propres à chaque pays. Comprenant des économies avancées comme les USA, le Japon, le Canada ou les membres de l’Union Européenne, TiSA met aussi autour de la table des négociations des pays aux économies moins avancées et dont la maturité du secteur des services est inférieure : le Chili, la Colombie, la Turquie ou encore le Pakistan par exemple. Sauf pour de rares exceptions, la contribution des services au PIB, comme représenté sur la carte pour chaque membre du groupe TiSA, constitue un bon indicateur de cette maturité. Des pays comme les États-Unis, l’Angleterre ou le Japon présentent des économies très investies dans les services, qui pèsent environ 80 % de leur PIB national, alors qu’ils n’atteignent à peine 50 % dans les économies du Pérou ou du Pakistan (aussi inclus dans les négociations). Par ailleurs, la Chine a été fortement sollicitée pour joindre TiSA au lancement des discussions, mais elle a rejeté, en novembre 2013, les pré-conditions posées par les autres membres et semble ne pas vouloir revenir sur ses positions en dépit des sollicitations émises ce mois de juillet, en particulier par la voix du ministre au commerce australien.
Les pays spécialisés dans les services peuvent raisonnablement prétendre à de nouveaux débouchés pour leurs entreprises championnes, par exemple, dans la finance, la gestion d’infrastructures ou encore les transports. A l’opposé, cet enjeux est bien secondaire pour les pays aux économies moins avancées, tant il est peu probable que leurs acteurs nationaux s’internationalisent dans des secteurs de services où ils ne sont pas spécialisés. Intégrer TiSA relève d’autres ressorts pour ces pays. En particulier cet accord serait un vecteur de libéralisation des services (encore fortement réglementés dans ces pays, relativement aux économies plus avancées), permettant d’améliorer la compétitivité et d’accroitre la diversité des services disponibles. La libéralisation des services pour ces pays aurait un impact positif sur la productivité des firmes domestiques, à la fois de services mais aussi productrices de biens, et pour stimuler de la croissance. Ainsi depuis 2004, l’Inde a entrepris de telles réformes, certes sur une base unilatérale. Le Chili s’inscrit sur cette même dynamique en s’appuyant, lui, sur des accords commerciaux bilatéraux dans les services, dont celui de 2005 avec l’UE.
A ce stade, le périmètre et les niveaux des engagements d’ouverture des marchés domestiques restent inconnus. Seule une partie des éléments de négociation relative au secteur financier a été rendue publique via la fuite diffusée par Wikileaks. En plus de générer de fortes inquiétudes dans une partie de l’opinion publique, le manque d’information empêche d’identifier les barrières réglementaires qui seraient levées. Plus encore que pour les projets CETA (entre le Canada et UE) et TTIP, cette opacité empêche donc toute quantification économique des gains, mais aussi potentiellement des pertes pour certains secteurs nationaux. Cette absence de visibilité économique renforce l’appréhension de la société civile et des décideurs politiques face à l’initiative TiSA.
Les négociations de l’accord TiSA s’inspirent des principes directeurs et de la couverture sectorielle du GATS (General Agreement on Trade in Services ou Accord général sur le commerce des services en français). Ce dernier accord n’avait pas mené à des libéralisations à proprement parler, mais à des engagements de status quo (interdisant ainsi aux pays d’établir dans le futur un niveau de régulation supérieur) et fournit un cadre de discussion adapté aux services. L’initiative TiSA n’est pas discutée sous l’égide de l’OMC dans un cadre multilatéral incluant tous les membres, mais directement entre les pays par des négociations dites plurilatérales.
L’incapacité d’aboutir à un accord dans le cadre du cycle de Doha, symbolisé par le récent véto de l’Inde, a certainement poussé ce large cortège de pays, représentant 68 % des échanges internationaux de services dans le monde (hors-commerce intra-UE) en 2011 [2], à négocier directement hors de l’OMC. L’initiative TiSA est ainsi lancée alors que les accords bilatéraux dans les services se multiplient : de moins de 10 en 2000, il y en avait plus d’une centaine en juillet 2013.
Un tel accord contribuerait à réduire les considérables barrières aux échanges internationaux de services, qui ne représentent qu’un cinquième du commerce mondial, alors qu’ils comptent pour près de 75 % des richesses produites dans le monde annuellement. Ainsi, l’accord portera sur la facilitation des échanges internationaux de services et l’ouverture des frontières pour l’implantation d’entreprises de services de pays partenaires de l’accord grâce à des autorisations d’importation et d’installations pour les membres signataires, mais aussi par la levée de contraintes réglementaires discriminant les pays étrangers. Ces engagements porteront, par exemple, sur la reconnaissance des qualifications des travailleurs étrangers ou encore la suppression des restrictions d’activité et de pratiques commerciales visant spécifiquement les acteurs étrangers. Des avancées dans de tels domaines laissent entrevoir aux partenaires de TiSA plusieurs types de gains.
L’entrée de nouveaux prestataires tendrait non seulement à renforcer la compétition et exercer une pression à la baisse sur les prix, mais aussi à accroitre la diversité des services disponibles. Pour les consommateurs, cela se matérialiserait par des tarifs plus bas dans les secteurs concernés par l’accord et la possibilité d’accéder à des services jusqu’ici indisponibles, autrement dit l’arrivée d’innovations. Les entreprises profiteraient de gains de productivité issus de services intermédiaires plus compétitifs et efficaces.
Toutefois, une des motivations clé de la négociation de TiSA, comme pour les récents CETA (entre le Canada et l’UE) et TTIP (entre les USA et l’UE), est la perspective de nouveaux débouchés pour les entreprises nationales. La quasi-intégralité de ces nouveaux marchés serait saisie par des grands groupes leaders dans les services, qui viendraient renforcer leur internationalisation. Exporter ou s’implanter sur les marchés étrangers, et à fortiori dans le domaine des services, concerne un nombre très restreint de firmes, très majoritairement celles déjà de grande envergure et très productives [3].
L’hétérogénéité du groupe négociant fournit des indications claires sur les motivations propres à chaque pays. Comprenant des économies avancées comme les USA, le Japon, le Canada ou les membres de l’Union Européenne, TiSA met aussi autour de la table des négociations des pays aux économies moins avancées et dont la maturité du secteur des services est inférieure : le Chili, la Colombie, la Turquie ou encore le Pakistan par exemple. Sauf pour de rares exceptions, la contribution des services au PIB, comme représenté sur la carte pour chaque membre du groupe TiSA, constitue un bon indicateur de cette maturité. Des pays comme les États-Unis, l’Angleterre ou le Japon présentent des économies très investies dans les services, qui pèsent environ 80 % de leur PIB national, alors qu’ils n’atteignent à peine 50 % dans les économies du Pérou ou du Pakistan (aussi inclus dans les négociations). Par ailleurs, la Chine a été fortement sollicitée pour joindre TiSA au lancement des discussions, mais elle a rejeté, en novembre 2013, les pré-conditions posées par les autres membres et semble ne pas vouloir revenir sur ses positions en dépit des sollicitations émises ce mois de juillet, en particulier par la voix du ministre au commerce australien.
Les pays spécialisés dans les services peuvent raisonnablement prétendre à de nouveaux débouchés pour leurs entreprises championnes, par exemple, dans la finance, la gestion d’infrastructures ou encore les transports. A l’opposé, cet enjeux est bien secondaire pour les pays aux économies moins avancées, tant il est peu probable que leurs acteurs nationaux s’internationalisent dans des secteurs de services où ils ne sont pas spécialisés. Intégrer TiSA relève d’autres ressorts pour ces pays. En particulier cet accord serait un vecteur de libéralisation des services (encore fortement réglementés dans ces pays, relativement aux économies plus avancées), permettant d’améliorer la compétitivité et d’accroitre la diversité des services disponibles. La libéralisation des services pour ces pays aurait un impact positif sur la productivité des firmes domestiques, à la fois de services mais aussi productrices de biens, et pour stimuler de la croissance. Ainsi depuis 2004, l’Inde a entrepris de telles réformes, certes sur une base unilatérale. Le Chili s’inscrit sur cette même dynamique en s’appuyant, lui, sur des accords commerciaux bilatéraux dans les services, dont celui de 2005 avec l’UE.
A ce stade, le périmètre et les niveaux des engagements d’ouverture des marchés domestiques restent inconnus. Seule une partie des éléments de négociation relative au secteur financier a été rendue publique via la fuite diffusée par Wikileaks. En plus de générer de fortes inquiétudes dans une partie de l’opinion publique, le manque d’information empêche d’identifier les barrières réglementaires qui seraient levées. Plus encore que pour les projets CETA (entre le Canada et UE) et TTIP, cette opacité empêche donc toute quantification économique des gains, mais aussi potentiellement des pertes pour certains secteurs nationaux. Cette absence de visibilité économique renforce l’appréhension de la société civile et des décideurs politiques face à l’initiative TiSA.
Pays négociants du TiSA et poids des services dans leur économie.
[1] L'Australie, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, Hong Kong, Israël, le Japon, la Corée, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, le Pakistan, le Panama, le Paraguay, le Pérou, la Suisse, Taiwan, la Turquie et les États-Unis.
[2] Marchetti, J & Roy, M. 2013 The TiSA Initiative: An overview of market access issues. WTO Staff Working Paper. 2013-11.
[3] Crozet, M., Mirza, D. & Millet, E. 2012. "Le club 'ultra-select' des firmes exportatrices de services," Problèmes économiques, 12 septembre 2012.
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